Voilà un dinosaure. Pas si vieux que ça, après tout, seulement vingt-cinq ans ! En cherchant un peu on trouve encore quelques exemplaires (d’occasion) à la FNAC, d’une édition de 2008. Celle en ma possession date de 1998 et a coûté 198 Francs à ma femme. Mais pour ce prix elle a eu droit à une dédicace de l’autrice (mot inusité à l’époque) qu’elle était allée voir présenter son livre à la librairie Mollat à Bordeaux (une institution).

Ça fait donc 25 ans que ce livre prend la poussière sur une étagère attendant que je me décide, enfin, à l’ouvrir. Ma femme vient de me faire l’aveu qu’elle l’avait acheté en pensant à sa future petite-fille, qu’elle pourrait initier ainsi à la musique. Quelques années plus tard ce fut un petit-fils qui nous arriva et, tel qu’il est, elle n’a pas jugé opportun d’essayer de le guider dans les arcanes de la musique classique…

Et pourtant Michèle Lhopiteau-Dorfeuille accomplit des miracles de pédagogie en rendant son ouvrage d’initiation non seulement très accessible, mais absolument passionnant !

Native du bordelais, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille est professeur de musique et chef de chœur. Elle collabore, en 1985, avec Jean-Claude Casadesus et l'Orchestre national de Lille à une tournée africaine. Aux États-Unis, elle fonde et dirige pendant trois ans le Chœur international de l'Alliance française. De retour à Bordeaux en septembre 1995, elle crée le Chœur international de Bordeaux qu'elle dirige jusqu’en 1999, date où elle retourne aux États-Unis. Elle vit actuellement en Dordogne et dirige trois chœurs mixtes pour adultes, dont un à Bordeaux-Mérignac.

Dans la collection "Toutes les clés pour explorer la musique classique", elle a édité :

• En 1998 : "De l'Antiquité à nos jours" avec 2 CD audio (celui dont on va s’entretenir).

• En 1999 : "La musique Vocale Sacrée", avec 3 CD.

• En 2001 : "La musique instrumentale sous toutes ses formes", avec 3 CD.

• En 2005 : "L'opéra dans tous ses états", avec 4 CD.

• En 2011 : "Wolfgang Amadeo Mozart", avec 2 CD.

• En 2013 : "Brèves histoires de chœurs", un recueil de 40 nouvelles.

• En 2014 : "Jean-Sébastien Bach, un sacré tempérament", avec 2 CD.

• En 2017 : "Ludwig van Beethoven, l’Art pour unique raison de vivre", avec 2 CD.

• En 2019 : "Franz Schubert, la Musique du Cœur", avec 2 CD.

• En préparation : "Georges Frédéric Haendel, un homme libre", avec 2 CD.

Ma culture musicale personnelle est relativement limitée bien que pendant ma jeunesse j’ai pratiqué un instrument dans un orchestre à cordes pendant une dizaine d’années, pendant que je découvrais, en autodidacte, quelques grands compositeurs grâce à un abonnement à la Guilde Internationale du Disque commencé avec l’intégrale des symphonies de Mozart (un coffret de douze 33 tours) qu’il m’arrive encore d’écouter 70 ans plus tard. En effectuant quelques recherches, j’ai appris que la Guilde avait pris naissance en 1953 et avait disparue dans les années 80 mais qu’elle fait, encore aujourd’hui, le bonheur de quelques collectionneurs…

Alors, c’est avec un plaisir qui me surprend moi-même – je craignais cette lecture nettement plus austère – que je tourne les pages de ce livre, me laissant bercer de périodes en époques et de découvertes en révélations, le casque sur les oreilles pour écouter les plages musicales commentées (153) des deux CD d’accompagnement.

Ainsi, si les « Civilisations antiques » nous ont laissé des temples majestueux et des pyramides imposantes, des peintures et des bas-reliefs montrant des musiciens, des danseurs et des chanteurs, elles ne surent immortaliser leur musique sur le papyrus ou la pierre. On ne sait rien de leur culture musicale.

Puis vint le « Moyen Âge », une longue période considérée comme obscure et souvent méprisée (du Ve au XVe siècle). Pourtant elle vit l’élaboration d’un système de notation musicale qui pris six à sept siècles. C’est dire que ce n’était pas évident. Ce sont d’abord les moines – les seuls à posséder un minimum d’instruction et à accéder à l’écriture – qui se mirent à dessiner des accents ascendants ou descendants au-dessus des chants en latins qu’ils interprétaient pendant les offices religieux. Voilà qu’un jour quelqu’un eut l’idée géniale de choisir une note fixe pour servir de point de repère, ce fut la note sol, désignée par les anglo-saxons par la lettre majuscule G qui, entre les mains expertes des moines enlumineurs, finit par donner, au fil des siècles, notre clé de sol moderne qui trône au début de chaque portée…

Et puis les moines – toujours eux – dessinèrent une ligne horizontale à partir de ce G et des petits carrés noirs de part et d’autre de la ligne… l’ancêtre de la portée ! Quelques siècles plus tard elle comptait jusqu’à 11 lignes et 7 clés !... Mais ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que la notation moderne fut fixée avec ses 5 lignes, ses noires, ses blanches, ses croches, ses silences, etc. (les barres de mesure attendront le XVIe siècle).

Une époque pas si nulle que ça donc, surtout si on ajoute l’épanouissement du chant Grégorien, l’avènement de la polyphonie vocale et, n’oublions pas qu’à l’époque l’église interdisait l’usage d’instruments de musique (et des voix de femmes – impures) lors des offices mais qu’à partir de l’an mille sous couvert de reprendre le tombeau du Christ tombé aux mains des Turcs, les croisés vont découvrir une civilisation arabe bien plus avancée que la leur, ce qui va brutalement faire avancer l’histoire de la musique avec l’utilisation d’instruments de musique ramenés d’Orient : la famille des cordes frottées, les hauts bois, les bassons, de nombreuses percussions, etc.

Et comme pour enfoncer un peu plus cette période, on a appelé la suivante « Renaissance » (fin XVe à fin XVIe siècle) ! En fait, c’est en peinture, sculpture et architecture que cette renaissance – un retour à la culture antique – a eu lieu, mais pas en musique, et pour cause (voir plus haut). L’auteure nous rappelle la délicatesse et le raffinement de l’époque, celle des Borgia, de la Saint Barthélémy, de l’Inquisition, des assassinats d’Henry IV ou du Duc de Guise… mais aussi celle de Ronsard, de Marot et de Botticelli…

En musique, la Renaissance a vu la généralisation de l’usage des accords modernes (exemple : do, mi, sol et non plus do, sol comme précédemment). L’emploi systématique, dans la polyphonie, des quatre voix mixtes. Le retour des voix de femmes dans la musique sacrée dont elles étaient exclues (d’où l’usage de castrats et de contre-ténors). Et des progrès techniques dans la fabrication des instruments comme a naissance de l’épinette ancêtre du clavecin (lui-même précurseur du piano).

De la fin du XVIe siècle à 1750 (mort de J.S. Bach) voici l’époque « Baroque », un terme qui, dans le domaine de l’art peut parfois prêter à confusion, allant jusqu’au "style rococo", surchargé et excessif. Mais en musique, « le foisonnement des notes, l’éclat des chœurs, la grandiloquence des sujets d’opéra ou d’oratorio, et surtout l’explosion de la musique instrumentale ont fait de cette période l’une des plus brillantes » illustrée magnifiquement par des œuvres de Georges Frédéric Haendel, Antonio Vivaldi ou Jean-Sébastien Bach, pour ne citer que les plus célèbres. Alors, Le Baroque, c’est la naissance de la véritable musique instrumentale qui accueille les grandes orgues, le clavecin, les trombones à coulisse, les hautbois, bassons et autres trompettes baroques, et le violon. En Italie, c’est la généralisation des concerts publics, l’apparition du Concerto, de l’Oratorio et de l’Opéra. Et dans toute l’Europe de la Suite instrumentale ou orchestrale.

Suit la période la plus courte de l’histoire de la musique, de 1750 à 1797 : l’époque « Classique ». Je n’ai pas compris si c’est le type de musique qui a donné son nom à la période en question ou, inversement, si c’est cette période qui a prêté son patronyme à l’ensemble de la musique dite « savante ». Toujours est-il que cette ère est née avec le pianoforte porté par des génies comme Wolfgang Amadeus Mozart et Joseph Haydn, la naissance de la Symphonie et de la Forme Sonate à deux thèmes. Le siècle suivant sera celui du Romantisme, mais avant d’aborder cette période si riche en compositeurs prestigieux, faisons une pause.

Non, ne vous fiez pas à ce que j’écris, mon texte est muet ! En effet, ce livre n’est pas ce que je laisse paraître : "un livre d’histoire de la musique". Non ! Ce serait oublier les disques d’accompagnement. Ce livre donne bien des « clés » pour reconnaître les époques. Ainsi pour montrer, après le foisonnement Baroque, le retour à la rigueur et à la simplicité du mouvement "Classique" : « C’est désormais le règne des lignes mélodiques simples, à peine soutenues par des accords verticaux, sans surcharges, comme celles,plage 37, de la"Danse des Esprits" de Gluck. » Ou encore « Nous retrouvons le pianoplage 39avec une œuvre de Joseph Haydn, l’autre génie de cette période. Il incarna, du moins dans sa jeunesse, le prototype du compositeur classique […] Dès le premier mouvement de son"Concerto pour piano N° 4", carré et enjoué, comme mû par un rythme d’horloge, nous prenons la mesure de l’insouciance et de l’énergie vitale du personnage. »

Et des plages sonores commentées, les deux CD qui accompagnent le livre en proposent 143, plus un "Quiz" – encore un néologisme inutilisé il y a 25 ans – de dix plages en fin d’ouvrage, pour vérifier ses acquis.

« Le Romantisme » (de 1797 au début XXe) pris ses racines dans l’affectation du détachement rigoureux du Classicisme précédent. Et si j’en crois notre charmante Chef de chœur et autrice « Nous abordons ici pour la première fois un style extrêmement complexe, car l’appellation de "Romantisme" recouvre des réalités tellement diverses qu’elles en sont parfois contradictoires. » Pour l’illustrer elle utilisera pas moins de 36 plages musicales rendant hommage aux grands noms du romantisme, depuis Beethoven et Franz Schubert, en passant par Frédéric Chopin et Robert Schumann, sans oublier Franz Liszt et son piano magique, Brahms et Berlioz lequel inventera l’orchestre symphonique moderne, avec plus de cent musiciens, de nombreux cuivres et l’usage systématique des percussions. Ce qui constitue un point de repère pour la musique symphonique romantique : adieu le petit orchestre classique à base de cordes et de bois.

Quant à la musique de chœur, quel ne fut pas ma surprise d’ado – qui pensait déjà tout savoir – de découvrir le chœur du 4e mouvement de la "Neuvième" de Beethoven, moi qui pensais que les symphonies étaient toutes purement instrumentales…

Mais là, arrivé à la fin du chapitre romantique, j’en veux beaucoup à Madame Lhopiteau : pas un mot sur mon compositeur préféré, pas une note sur la symphonie révélatrice de ma jeunesse que j’écoutais en boucle comme d’autres l’ont fait, plus tard pour des Johnny et autres Cloclo… Et mon Anton, alors !...

Eh bien non, Madame Lhopiteau ne l’a pas classé parmi les romantiques mais au chapitres des « Écoles Nationales » (de 1850 à nos jours) nées, pour de tristes raisons politiques, de la rupture avec l’universalisme ou du moins de l’européanisation qui présidait jusque-là dans le domaine de l’Art. Pourtant, il est alors directeur du Conservatoire national de New York (1892-1895) lorsque Antonín Dvořák composa sa célèbre 9e symphonie, dite « La symphonie Du Nouveau Monde » (que l’on retrouve sur la plage 17 du second CD) et que Madame Lhopiteau a classé dans l’École Tchèque qui, comme l’École Italienne est en rupture du joug autrichien éprouvant le besoin d’écrire une musique nationale correspondant à leurs traditions.

Et pour faire bonne mesure, on apprendra les spécificités des Écoles Hongroise, Norvégienne, Espagnole, Sud-Américaine, Russe, Allemande, Française et Américaine.


Attention, Terrain miné ! Nous voici parvenus à l’époque « Contemporaine » : le temps n’a pas encore fait le tri ! (Et n’oublions pas que le livre a été écrit alors que le XXe siècle n’était pas achevé) Rappelons-nous qu’en leur temps J.S. Bach fut qualifié de médiocre, ou que l’on reprocha à Mozart d’écrire trop de notes (!?) tandis que Salieri était porté aux nues…

« Il ne doit pas faire bon être un artiste créateur au XXe siècle. Il suffit en effet qu’un musicien ou qu’un peintre s’inspire de l’écrasant passé, pour que d’aucuns lui reproche aussitôt de n’être qu’un vulgaire plagiaire. Que, dans un louable soucis d’innover, il bouscule au contraire les règles et les codes établis avant lui, et c’est alors souvent le public qui part en courant… »

Notre autrice en veut pour exemple Erik Satie (1866-1925) dont la modernité des œuvres pour piano annonçait tellement les surréalistes que sa place se situe bien parmi les contemporains. Dans les années 20, sa musique fit un triomphe chez les surréalistes, il devint la bête noire des musicologues dans les années 30 et ne retrouva le succès que dans les années 80. Dans les années 60, le compositeur Jean Barraqué écrit dans un ouvrage dédié à Debussy, au sujet de Satie, qu’il s’agit d’un « bouffon », d’un « pauvre hère » et d’un « analphabète musical » … Et dont Madame Lhopiteau nous permet d’écouter un extrait de sa si poétique « Première Gymnopédie » Et commente son œuvre d’« Harmonies étranges et amicales, climat mélancolique, absence de tout effet grandiloquent, la musique de Satie, reflet de la fin d’un siècle, semble, après avoir été totalement ringardisée pendant 40 ans par une certaine intelligentsia parisienne, coller parfaitement avec la sensibilité de cette autre fin de siècle que nous sommes en train de vivre. »

Je vous fais grâce des travaux d’Arnold Schœnberg et de sa musique dodécaphonique – ou musique sérielle – qui défie les lois de la physique et risque de vous rendre accro au Paracétamol. Néanmoins, on doit à son « Pierrot Lunaire » une modification du concept de la beauté : « Une œuvre d’art n’a plus désormais à être nécessairement harmonieuse, jolie ou délicate pour être "belle". » (!?)

J’avoue que l’écoute de la Gavotte de la « Suite pour piano opus 25 » purement sérielle, datant de 1921 (plage 41 du 2e CD), considérée comme LA référence en la matière, m’a laissé un sentiment de désordre cacophonique dénué de sens… Moi qui n’ai jamais pu supporter longtemps les Valses de Chopin, je crois qu’après ça, je vais pouvoir les écouter avec délice…

Si l’on en croit Madame Lhopiteau, tous les compositeurs contemporains n’ont pas adhéré au modèle sériel mais « La musique du XXe siècle est d’une telle richesse et d’une diversité que bien d’autres nouvelles voies, originales tout en étant moins radicales, furent explorées. »

Alors j’ai essayé de me familiariser avec la « polytonalité » d’un Stravinsky, avec les « dissonances » d’un Ravel, avec les « mouvements rotatoires » d’un Wyschnegradsky, la « musique concrète » d’un Schaeffer et même, pourquoi pas, « aléatoire » … etc.

Je dois reconnaître que Papy n’est plus dans le coup. Dépassé, le vieux ! Manifestement, il y a des chercheurs, laissons-les chercher, il y a des trouveurs, laissons-les trouver et revenons voir dans un siècle ou deux ce qui subsistera. C’est un travail de longue haleine, laissons du temps au temps. Et éduquons nos oreilles comme nous devons éduquer notre regard.

J’en ai fait l’expérience avec la peinture, un jour, par amusement, j’ai peint une nature morte (fruits et légumes, succursale de marchand primeur) très réalistes, en clair-obscur, en m’inspirant de l’École Flamande, pour voir… Travail facile, une copie de la nature, qui ne demande qu’une bonne technique (de la m… quoi), ceinturé d’un beau cadre doré par les soins de mon épouse, le tableau trône quelque part dans mon séjour et fait l’admiration de quelques visiteurs, proche d’un autre, nettement moins figuratif, qui m’a demandé de l’imagination et de longs tâtonnements pour obtenir le dynamisme souhaité et des recherches de couleurs pour ajouter aux mouvements, simplement posé sur un chevalet, maintenant au chômage, un vrai travail de création (à mon modeste niveau)… parfaitement invisible à tous !

Quant au livre de Madame Lhopiteau, un coup de cœur dont je la remercie chaudement pour tant de richesse dans un si petit volume !

Philou33
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le 19 mars 2023

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