Incontournable

Il y a des textes fondateurs qui ont marqué notre civilisation. Tristan et Iseut, célèbre roman courtois mis à l'écrit par Béroul, en fait partie. Comme beaucoup de légendes et d'histoires qui ont traversé les âges, leurs origines ne sont jamais certaines. L'histoire du chevalier Tristan et de la Reine Iseut est très certainement issue d'une tradition orale qui aurait été couchée sur le papier à partir du XIe-XIIe siècle ap. J.-C. Il s'agit de la plus ancienne version connue de Tristan et Iseut, hélas lacunaire. En effet, le poème d'amour démarre au cœur du récit par la rencontre secrète entre nos deux protagonistes sous l’œil suspicieux du roi Marc, caché dans un arbre, qui soupçonne son épouse Iseut de lui faire des infidélités. Formidable scène burlesque qui augure déjà des pièces de théâtre de Molière !

La légende se passe principalement en pays de Cornouailles (au Pays de Galles) où Tristan part à l'aventure au service de son oncle, le roi Marc. Il tue le géant Morholt et même un dragon sur les terres d'Irlande. Blessé, il rencontre par deux fois Iseut et sa mère qui le guérissent. Pour remercier la belle Iseut, Tristan lui promet un mariage avec son oncle. Pendant le voyage retour en bateau, Tristan et Iseut tombent amoureux sous l'effet d'un élixir "herbé" administré par la servante d'Iseut, Brangien. La suite du récit est un enchaînement de situations burlesques, tragiques voire héroïques qui mettent en scène les amours cachés de la reine Iseut avec Tristan alors qu'elle est mariée au roi de Cornouailles. Ils risquent leur vie à tous les instants ce qui donne une intensité dramatique au récit. Très empreint de religion, le récit nous montre avec quel ferveur les gens de l'époque étaient attachés au culte et à la morale.

Dans cette version française modernisée, le texte garde tout de même le ton parfois abrupte et sec de Béroul. On ne raconte pas des histoires au XIIe siècle de la même manière qu'aujourd'hui, vous devez vous en douter. Les dialogues plein d'emphases sont parfois très drôles car les personnages sont capables d'une candeur extrême comme d'une grande violence au sein d'une même phrase. Il n'y a pas de demi-mesure et ça rend les héros d'autant plus touchants et surprenants. Réfractaire à la lecture de livres trop épais, sachez que les aventures de Tristan et Iseut se lisent un peu comme un conte pour enfant (la violence en plus) et de manière très rapide. L'excellente introduction de Philippe Walter est plus que la bienvenue car elle permet le cadrage de l'histoire dans son contexte géographique et culturel de l'époque. Enfin, le dossier à la fin du livre réalisé par Corina Stanesco est la partie que j'ai le plus apprécié. L'auteur met en lumière le trouvère Béroul ainsi que la légende tristanienne, puis l'origine celtique de celle-ci, le sens de certains passages qui peuvent aujourd'hui nous échapper pour terminer sur la fortune du récit à travers les siècles jusqu'à notre époque moderne.