Dublin, lieu mythique...

Ulysse, personnage principal de la célèbre épopée grecque l’Odyssée, devient au début du XXème et plus précisément en 1919 le titre d’Ulysse, un roman de l’écrivain irlandais James Joyce.
L’Ulysse de Joyce est-il un roman d’aventures ? Si le titre du roman rappelle les exploits et les voyages du héros grec, le contenu révèle une aventure d’un genre relativement différent. Autant de ressemblances entre le poème d’Homère et le roman de Joyce, mais aussi autant de différences. Ulysse de Joyce est un récit de voyage dont la scène se passe à Dublin et pendant une seule journée, ce n’est plus l’ère antique mais le début du XXème siècle.
Ulysse est un roman volumineux de quelques neuf cent soixante huit pages, divisé en trois parties, chaque partie se subdivise en plusieurs épisodes, « Télémaque », « Nestor » et « Protée » forment la première partie. La deuxième partie se divise en douze épisodes : « Calypso », « Les Lotophages », « Hadès », « Éole », « Les Lestrygons », « Charybde et Skylla », « Les Rochets Errants », « Les Sirènes », « Le Cyclope », « Nausicaa », « Les Bœufs du Soleil » et « Circé ». La troisième partie contient les trois derniers épisodes : « Eumée », « Ithaque » et « Pénélope ». Un total de dix huit épisodes, tout comme l’Odyssée.
Ulysse hérite de l’Odyssée la forme, aurait-il le même contenu ? Il est clair qu’il s’agit quelque part dans Ulysse de l’errance, mais qui erre, où, quand, comment et pourquoi ? Telle est la question. Ce qui attire remarquablement dans l’Ulysse de Joyce et invite à étudier l’errance comme thème fondamental et dominant sont les passages dans lesquels l’auteur décrit aux moindres détails les déplacements de Leopold Bloom, un personnage qui ne semble avoir aucune relation avec les trois personnages précédemment évoqués par le narrateur, ces trois personnages sont : Mulligan, Stephen et Haines.
Ulysse commence comme dans la messe, par une invocation à Dieu « - introibo ad altare Dei. », on traduit cette phrase en latin par « J’approcherai de l’autel de Dieu », dans une tour de Sandycove. L’Odyssée commence également par une invocation aux Muses. Je cite :
« C’est l’homme aux milles tours, Muse, qu’il faut me dire, celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte, Celui qui visita les cités de tant d’hommes et connut leur esprit, Celui qui, sur les mers, passa par tant d’angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens. » (Homère, l’Odyssée)
La tour dans Ulysse et l’Olympe dans l’Odyssée sont les lieux suprêmes, c’est à partir de cet endroit que commence le périple ulysséen, c’est une permission aux personnages de prendre leur destin en main, c’est comme une bénédiction divine ou paternelle qui accompagnera chacun des personnages dans sa quête. L’Olympe est la demeure des dieux et celle de Zeus, le maître des dieux, qui représente le pouvoir suprême, ce n’est que par sa volonté que le retour d’Ulysse sera décidé. La tour d’Ulysse prend vue sur la mer, elle est l’œil divin, c’était à partir de cette tour qu’un embarquement napoléonien avait été prévenu, mais elle est aussi le lieu ou Haines s’est installé, comme l’invasion des Anglais en Irlande, comme la prise du pouvoir danois par le roi Claudius. Sentant une frustration semblable à celle d’Hamlet, Stephen décide de quitter la tour et devient le Télémaque du roman.
Dans le deuxième chapitre « Nestor », on est dans le collège ou Stephen enseigne l’Histoire, c’est le lieu des multiples questions, touchant les puissants, les batailles antiques, la poésie, les naufrages. Je cite :
« Si Pyrrhus n’était pas tombé dans Argos sous les coups d’une mégère ou si Jules César n’était pas mort poignardé. La pensée ne peut les congédier. Le temps les a marqués de son fer rouge et les a enchaînés dans la chambre des possibilités infinies qu’ils ont exclues. » (James Joyce, Ulysse)
Stephen est devant Mr Deasy, on discute finances, politique, maladies bovines et autres. Dans l’Odyssée on est à Pylos, royaume de Nestor, Télémaque s’y trouve dans l’espoir de trouver son père, Nestor lui donnera des informations intéressantes (Nestor conte à Télémaque quelques souvenirs de Troie et lui fait le récit de son retour, précise les circonstances qui ont entouré le meurtre d’Agamemnon et retardé le retour de Ménélas, invite Télémaque à se rendre chez ce dernier.). Comme Nestor, M. Deasy parlera à Dedalus de l’Eire, des Juifs et des Anglais, cela provoquera chez Stephen des questionnements divers.
La maison de Bloom va correspondre à deux lieux mythiques : les cavernes de Calypso (4ème chapitre) et Ithaque (dernier chapitre).
Dans Ulysse, Bloom prépare le petit déjeuner pour son épouse Molly. Dans l’Odyssée, c’est plutôt Calypso qui sert le repas d’Ulysse et tente de faire renoncer son départ. Calypso se couche près d’Ulysse, alors que Mme Bloom semble renoncer à toute pratique sexuelle avec son époux. Bloom songe continuellement à retourner vers son pays d’origine. Il regrette sa fille éloignée et son fils décédé, Bloom semble vivre dans une solitude profonde, par contre Ulysse est plus chanceux, il est entouré par l’amour de Calypso mais cela ne l’empêche pas de regretter sa terre natale et son épouse Pénélope.
Les premières randonnées de Bloom correspondent aux premiers voyages d’Ulysse au pays des Lotophages (6ème chapitre), elles se prolongent jusqu’au chapitre 7 par une traversée de la ville en direction du cimetière.
Toute la compagnie se réunit, à midi, dans les bureaux d’un quotidien, où Stephen vient proposer l’article bovin de M. Deasy. Nous sommes chez Éole, Ulysse y aborde deux fois, la première fois bien accueilli, la seconde, fort insulté. Idem pour Bloom, qui se voit d’abord valorisé en s’enquérant l’annonce Cleys pour finalement entendre les vulgarités de son directeur.
Une heure sonne, Bloom erre dans les rues à la recherche d’un déjeuner. D’elles-mêmes, ses humeurs prennent un tour culinaire. Je cite :
« Bonbons à l’ananas, sucettes au citron, caramels mous. Une fille toute poisseuse pelletant des quantités de fondants au chocolat pour un frère des écoles chrétiennes. » (James Joyce, Ulysse)
Cela rappelle le cannibalisme des Lestrygons, dont les marins d’Ulysse devaient préparer le repas.
Dans le chapitre suivant « Charybde et Scylla », on remarque un discret passage de Bloom à la Bibliothèque Nationale où il évite de justesse l’amant de sa femme, Boylan. Et le voyage recommence, dans les quartiers les plus distants, les Rochets Errants d’Homère se transforment en Dublinois vaquant à leurs occupations. Ainsi Bloom à la recherche d’un roman pornographique Les Douceurs du péché.
Suit le chapitre des « Sirènes », à l’Ormond Bar, il est 4 heures, Bloom déjeune enfin devant un concert offert à Miss Douce et Miss Kennedy.
Devant la mer, les pensées de Stephen prennent un cours éternel ; tous les problèmes rencontrés durant la matinée réapparaissent dans des méditations sur la connaissance, la liberté et la mort. Dans l’Odyssée, on est à Pharos, l’île ou Ménélas s’est trouvé piégé par le dieu marin Protée. Ce monstre doué de la science suprême finit par révéler à Ménélas que Zeus empêche son retour et lui informe du sort des chefs achéens au retour de Troie.
La plage dans Ulysse va correspondre à un autre lieu mythique, c’est le pays des Phéaciens, et plus précisément près du fleuve où Nausicaa lavait le linge. Cette Nausicaa exhibitionniste, c’est Gertie Mac Dowell admirée par Bloom provocant en lui un orgasme.
Dans la maison de Bloom, il est deux heures du matin. Bloom, après avoir passé sa soirée dans un bordel, revient chez lui accompagné de Stephen, rencontré un peu plutôt. Trouvant en Stephen le fils perdu, Bloom semble offrir à Stephen toute l’hospitalité, Stephen, malgré ses longs bavardages avec Bloom, préfère garder ses distances. Dans l’Odyssée, l’atmosphère est plus chaleureuse, les liens charnels prennent un rôle important. Dans Ithaque, Ulysse s’y trouve entièrement, c’est la fin de sa longue solitude, en revanche, dans la maison de Bloom, Leopold ne s’y trouvera jamais, notamment après le départ de Stephen.