Dans un futur indéterminé, notre galaxie est divisée en plusieurs zones. Au coeur de celle-ci, dans les Profondeurs Inconscientes, aucune civilisation ne semble en mesure de naître et de se développer. Autour du centre galactique s’étendent les Lenteurs Profondes, où les civilisations naissent et meurent dans l’ignorance des autres car incapables de voyager au-delà de la vitesse de la lumière. Ensuite, aux quatre cinquièmes environ du disque galactique, vient l’En-Delà, où une multitude de civilisations communiquent, se rencontrent, commercent, et échangent des informations grâce à une technologie avancée, qui permet des automations poussées et le voyage supraluminique. De nombreuses civilisations, au bout de leur évolution, quittent l’En-Delà pour la Transcendance, aux extrémités de Voie Lactée, où les possibilités technologiques sont immenses et où elles donnent naissance à des Puissances, super-intelligences artificielles dont on sait peu de choses. En explorant un trésor enfoui aux confins de la galaxie, une expédition réveille une Puissance endormie, qui se révèle être une Perversion qui a pour seul but la conquête et la destruction. Un seul vaisseau parvient à s’échapper et s’échoue dans les Lenteurs sur une planète inconnue . Les deux enfants qui survivent à l’atterrissage se retrouvent au beau milieu d’une guerre médiévale dans un monde peuplé par des chiens télépathes qui doivent former des meutes de 4 à 6 individus pour créer une entité intelligente. Sur le vaisseau échoué se trouve peut-être le moyen de vaincre la Perversion, aussi de nombreux vaisseaux se lancent-ils vers cette planète. Le compte à rebours est lancé.


Un feu sur l’abîme est un excellent space opera. L’univers qui sert de cadre au roman est cohérent, plutôt original et sous certains aspects fascinant. L’existence des Zones qui découpent la galaxie ouvre des perspectives alléchantes pour développer les rebondissements du récit comme pour établir les grands axes des bouleversements qui vont l’accompagner. Et le résultat est tout sauf décevant, tant cette toile de fond tourne à plein régime comme moteur de l’histoire.


L’omniprésence du questionnement sur l’intelligence artificielle plonge également le roman dans l’actualité des réflexions sur le sujet. Le prologue narrant l’éveil de la Perversion est d’ailleurs particulièrement glaçant. Il reste beaucoup de questions à la fin du récit, mais accompagner des êtres biologiques pensants, humains ou non, dans leur lutte contre une Super-Intelligence Artificielle dont les pouvoirs et les objectifs demeurent obscurs sera une expérience fascinante pour tous les lecteurs intéressés par le sujet.


L’espèce des Dards, les meutes de chiens télépathes, est aussi troublante qu’attachante. L’auteur nous fait partager les détails du fonctionnement particulier d’une psyché assemblée à partir de plusieurs cerveaux qui ne peuvent ni s’éloigner les uns des autres ni s’approcher des autres meutes. Le sentiment d’étrangeté est évident, stimulant et parfois drôle.


Le roman n’est pourtant pas dépourvu de défauts. En premier lieu, la structure du récit est en tous points identique à celle de Au tréfonds du ciel que l’auteur écrira 7 ans plus tard, basée sur les récits parallèles d’une course contre la montre dans l’espace et d’une planète peuplée de créatures étranges empêtrées dans une guerre sans fin, parallèles qui s’incurvent progressivement pour se rejoindre dans un final haletant mais beaucoup trop rapide.


Comme dans Au tréfonds du ciel, on trouve d’un côté un méchant très méchant, des gentils très gentils, et entre les deux beaucoup de victimes passives. Dans les deux romans, la mise en place est très longue et les personnages sont bloqués dans une situation d’attente au beau milieu du livre, ce qui entraîne le lecteur vers un épilogue où toutes les tensions doivent se résoudre en quelques pages grâce à un abracadabra un peu facile et surtout très frustrant. Dans les deux livres également, la description des actes d’une terrible cruauté du méchant de l’histoire n’a d’égale que le destin funeste qui lui est réservé, assassiné par une de ses victimes dans un acte de vengeance très hollywoodien. De ce point de vue, les romans de Vernor Vinge commencent comme un épisode de Game of Thrones pour se terminer comme un Disney.


L’auteur nous inflige également une fâcheuse tendance à casser lui-même le rythme et les tensions du récit, interrompant l’action par une description de bougies sur un meuble ou nous invitant à suivre les réflexions d’un personnage qui se demande s’il va prendre du dessert ou du fromage au repas du soir. Non seulement cela peut-il s’avérer extrêmement frustrant, mais cela implique aussi que dans la première moitié du livre le lecteur va passer à côté de certains détails noyés parmi d’autres mais cruciaux pour la suite de l’aventure, obligeant à plusieurs retours en arrière de quelques dizaines (voire centaines) de pages.


Les idées de Vernor Vinge sont souvent lumineuses, mais son talent pour les assembler dans un récit ressemble souvent à une recette de cuisine appliquée de manière mécanique. S’il n’est pas un chef d’oeuvre, Un feu sur l’abîme reste un excellent space opera. Il a reçu le prix Hugo du meilleur roman en 1993.


https://olidupsite.wordpress.com/2018/07/09/un-feu-sur-labime-vernor-vinge/

OliDup
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le 9 juil. 2018

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