Le prix Nobel de littérature 1934 nous sort le bazooka de l’hyper-conscience qui rend fou.
« Chacun veut imposer à autrui l'univers qu'il porte en lui, comme si cet univers était extérieur, comme si tout le monde devait en avoir une vision conforme à la sienne, et comme si les autres ne pouvaient être différents de l'image qu'il s'en fait. »
A partir d’un détail anodin le personnage principal du roman comprend qu’il n’est pas un individu unique, cohérent et indivisible mais autant d’individus - tous différents - qu’il existe de personnes rencontrées. Ce qu’il est pour sa femme est différent de ce qu’il est pour son voisin, est encore différent de ce qu’il est pour son père, est encore différent de ce qu’il est pour chaque personne rencontrée, est différent de ce qu’il pense être, est différent de ce qu’il est vraiment. Un être multiple, protéiforme, changeant. Cette prise de conscience soudaine, brutale, lui explose à la figure et bouleversera sa vie en profondeur.
Son « moi » disparait peu à peu, se fait insaisissable, indicible. A qui dire « moi » ? Pour autrui ce mot n’a aucun sens et a une valeur qui ne sera jamais sienne. Horreur sans fond d’une profonde solitude.
« Vous renfermez en vous-même, à votre insu, non pas « deux » mais qui sait combien de personnages, tout en vous croyant, toujours « un » »
A partir de là le protagoniste cherche à montrer à son entourage son vrai « moi » et entreprend une déconstruction systématique de tous les « moi » qui ne sont pas lui. Une déconstruction, une destruction, une démolition en règle et définitive, jusqu'à l'apothéose de l'abandon.
Pirandello gratte et récure pour nous le vernis des relations quotidiennes, celles qui nous semblent les plus naturelles et normales, pour en percer à jour les bouffonneries. Il pose gravement - sous couvert d’un style léger - la question de l’identité, du déterminisme, de la contingence existentielle, du hasard de la naissance et de la culture en héritage.
"-Pourquoi me regardes-tu ainsi ?
Et personne ne songe que chacun de nous devrait toujours avoir ce regard, qu’emplit l’effroi de sa propre solitude sans issue"