L'incroyable arrivée du jeu vidéo dans le pays aux 1000 fromages

Des histoires du jeu vidéo, il y en a eu, et il y en aura encore. Ce n’est pas le propos du livre d’Alexis Blanchet et de Guillaume Montagnon, dont le titre et le sous-titre sont éclairants : « Une Histoire du jeu vidéo en France, 1960-1991 : des labos aux chambres d’ados ».

Il s’agit ainsi de recentrer l’étude sur le cas de la France, comment notre pays a expérimenté sur les dispositifs ludiques et s’est inscrite localement au sein de ce nouveau média, techniquement, socialement et commercialement. L’histoire globale des jeux vidéo est habituellement celle des États-Unis voire du Japon, pourtant il y a beaucoup à apprendre de cas particuliers et locaux tels que la France, qui a participé à sa manière à cette histoire. L’écriture de cette histoire du jeu vidéo dans l’hexagone permet aussi de pouvoir comparer avec cette « Grande » histoire. Le si connu et cataclysmique krach du jeu vidéo sur console de 1983 était américain, il n’en sera quasiment pas question car il n’a eu que peu d’influences de notre côté de l’océan.

Les recherches réalisées sont éclairantes, et permettent ainsi non seulement de tordre le cou à quelques idées reçues mais aussi d’apporter de nouveaux angles à cette écriture du passé du jeu vidéo. Le média semble jeune, toujours moderne, mais ses premiers pas sont mal connus, quand ils ne sont pas circonscrits à un acte de naissance qui serait la création de machines de jeux de l’ « arcade » ou l’arrivée des consoles de salon de Nintendo ou Sega. L’historique est bien plus complexe que ces clichés colportés, et la France y a eu sa place, mais avec des stratégies particulières. Ce sera ainsi l’occasion de découvrir comment le vocabulaire du jeu vidéo s’est imposé, avec différentes graphies, mais aussi d’en savoir plus sur sa reconnaissance juridique, avec quelques avancées et autres retours en arrière sur la nature du jeu vidéo. L’angle traité est vaste mais nous éclaire sur les premiers pas franchouillards de ce média considéré bien trop vite comme americano-japonais.

Le travail d’Alexis Blanchet et de Guillaume Montagnon est d’ailleurs avant tout une histoire industrielle plutôt qu’une histoire culturelle ou sociétale, même si l’un et l’autre seront bien sûr présents. Le jeu vidéo en France n’est pas qu’une histoire de studios de jeux vidéo (Loriciels, Titus, Infogrames, Ubisoft, etc.). Ils auront droit à leurs présentations et le témoignages de certains de leurs membres du personnel. Mais le documentaire s’éloigne de l’approche de certains auteurs habituels qui écrivent pour glorifier les « capitaines d’industries », créatifs et programmeurs célèbres dont la parole a depuis été recueillie des centaines de fois. Sauf qu’ils n’ont pas été les seuls à porter ce jeu vidéo en France.

Ce culte des grands hommes est donc mis de côté pour aller rechercher de nouvelles voix, nombreuses et variées, chercheurs en informatique, ouvriers d’usines de meubles de jeux vidéo, employés de compagnies de distribution, etc. Une soixantaine d’entretiens et d’échanges sur plusieurs années ont été réalisées pour retrouver des informations précieuses et même inédites. La mémoire du jeu vidéo français s’était jusque là principalement faite sans la voix de personnalités plus mineures ou moins rattachées à la dimension « culturelle ». Une mémoire qu’il fallait récolter, car les premiers pas du jeu vidéo ne sont plus si récents, beaucoup des acteurs de ces premiers temps sont aujourd’hui assez âgés, quand ils ne sont hélas pas morts depuis.

Le travail de recherche s’est aussi fait avec l’étude minutieuse de nombreux documents d’archive. Si quelques sites, revues ou livres (Grospixels, les éditions Pix’n Love, etc.) ainsi que quelques travaux de recherche précédents (comme celui de Colin Sidre) ont pu fournir de base, les auteurs sont aussi allés éplucher les revues professionnelles ou grand public, les publicités, la documentation technique, les rapports institutionnels, etc. bref tout ce qui a pu aider leur imposant travail pour constituer un sérieux fonds de faits, de citations et d’informations précieuses. La vingtaine de pages sur leurs sources confirme le sérieux du travail fait, mais offre aussi à ceux qui voudraient aller plus loin de précieuses bases pour compléter les recherches du livre.

Un travail minutieux de collecte d’informations qui a mené le livre vers une ossature semi-chronologique, avec quelques incartades. Les grands axes de cette Histoire du jeu vidéo en France commencent donc avec l’informatique ludique dans notre pays, où comment les différentes expérimentations des centres de recherche sur les possibilités de l’ordinateur, si elles ont mené vers certaines expérimentations ludiques, n’ont pas eu le même impact qu’aux États-Unis (avec Spacewar). L’indépendance financière de ces labos qui n’avaient pas forcément besoin de commercialiser leurs brevets technologiques mais aussi un certain mépris contre le jeu (qui reviendra à plusieurs reprises au fil des chapitres) en seront les responsables de ces expérimentations quasiment inconnues. Ces premiers pas des jeux vidéo en France seront ainsi circonscrits à ces murs, et c’est aussi l’un des avantages de l’ouvrage de révéler tout un pan de cette histoire mal connue.

Le chapitre du jeu vidéo d’arcade concerne un sujet un peu plus habituel, mais là encore comment le marché s’est implanté en France et a été développé restait assez flou. D’ailleurs le terme d’ « arcade » étant bêtement repris de l’anglais il faudrait plutôt parler d’automatique, car tel était le nom de ce secteur forain et de cafés en France. Un marché d’opportunités, où la création française était assez rare avec par exemple Le Bagnard de Valadon Automation en 1982 tandis que la copie des grandes célébrités vidéoludiques moins, avec quelques procès mais aussi quelques collaborations avec les éditeurs étrangers. Avec ce chapitre est mis en évidence comment le jeu vidéo de l’automatique est un marché industriel, entre des acteurs locaux, un public (pas toujours bien présenté dans les revues grand public de l’époque) mais aussi des interlocuteurs étrangers, montrant les formes d’échanges possibles. Le jeu vidéo se mondialise et la France veut sa part du gâteau.

Les auteurs s’intéressent ensuite aussi au marché domestique, soit les salons et les chambres des familles, quand le jeu vidéo s’exporte des salles considérées comme mal famées (à tort ou à raison) pour se trouver une nouvelle respectabilité dans les foyers. Il ne sera pas question, ou si peu, des 8 bits de Nintendo et Sega, mais avant tout des clones de Pong qui ont inondé le marché. Des machines qui étaient alors à brancher aux téléviseurs sur les prises antenne, voire pour certaines intégrées à certains télévisions. Une profusion de clones aujourd’hui bien oubliée, même si on peut parfois en retrouver dans les brocantes ou les enchères en lignes, et à qui les auteurs ont voulu offrir pour les représentants français un inventaire le plus exhaustif possible en fin d’ouvrage.

Mais c’est un autre volet concernant le marché domestique qui représente le chapitre le plus fourni, avec celui de la micro-informatique. Cela permet de détailler l’émergence des premiers réseaux de création et de diffusion de jeux vidéo crées en France, le plus souvent en se basant sur quelques boutiques d’informatique qui se sont lancées dans l’aventure à plus ou moins grande échelle. Une base de passionnés mais aussi avec quelques opportunistes qui sentirent les nouvelles possibilités financières offertes par ces micro-ordinateurs. La profusion des ordinateurs dans ces années fastes (1978-1991) permettra de remettre la lumière sur certains représentants français, mais aussi de montrer comment d’autres sociétés se sont occupés de l’import ou de l’adaptation de systèmes étrangers au marché français. La technique, la création et la communication sont ainsi présentées pour mieux comprendre comment tout se structurait à l’époque.

Le dernier chapitre poursuit d’ailleurs cette thématique, en se consacrant plus en détails sur ce qui a été une des spécificités du programme made in France, le jeu d’aventure. Une certaine ébullition en ces temps là régnait alors, de recherches techniques parfois inspirées des modèles américains à des créations aux thématiques très françaises. La bande-dessinée était ainsi proche de ce milieu (avec les jeux et les jaquettes de Froggy Software), partageant un sens du visuel (une fois les jeux d’aventure en mode texte passés) mais aussi ce côté un peu débrouillard, un peu désorganisé et aventureux au moins à cette période. Les softs proposaient aussi des titres en lien avec des thématiques historiques (l’esclavage en Martinique avec Méwilo chez Coktel Vision) ou actuelles (Dossier « G. », l’Affaire du Rainbow Warrior de Micro Style, sur le scandale du même nom). Bien évidemment, les produits à licence se sont vite aussi acclimatées au climat français, avec par exemple Marche à l’ombre d’Infogrames ou les quelques adaptations de bandes dessinées (Astérix, Iznogoud, Les Passagers du vent, etc.).

Le résumé ici proposé ne trace que quelques lignes fortes, avec quelques exemples, mais il en reste bien d’autres à découvrir. On pourrait penser qu’une recherche sur internet permettrait de compléter les informations données par les auteurs, mais l’indigence des résultats montre que cette histoire française des années 1960-1980 reste encore trop criminellement boudée.

Un riche programme, souvent inédit, assurément bien copieux. Le livre ne comporte qu’un petit cahier d’illustrations en couleurs à la fin, pour apporter quelques visuels aux éléments forts de l’ouvrage, mais cela reste chiche. L’ambition est bien d’en faire un livre de recherche et qui ne se contente pas de recopier les habituels clichés et banalités, avec parfois une certaine aridité dans le ton. L’écriture ne cherche pas à prétendre que le lecteur est son meilleur ami comme d’autres livres un peu trop familiers. Il ne faut pas avoir peur du nombre de notes, qui ne rappelle que le sérieux du travail fourni. La présence de certaines anecdotes sur ces temps anciens permet heureusement d’apporter quelques informations plus légères mais qui en disent long sur cette période. J’en ai glissé quelques unes dans cette liste, mais il y en a d’autres.

Une Histoire du jeu vidéo en France en devient donc un nouvel ouvrage de référence, pour ses recherches et ses précieuses analyses de trois décennies françaises qui bouillonnent avec les premiers pas du jeu vidéo, entre acclimations locales et créations de l’intérieur.

Une époque si riche qu’elle n’a pas être entièrement retranscrite dans cet ouvrage, et oui, il en reste sous le coude. Les auteurs annoncent donc un deuxième volume qui permettront d’aller vers de nouveaux sujets de recherche avec le développement de la presse spécialisée à l’époque, cette spécificité vraiment française du Minitel et des jeux qui y étaient proposés ainsi que la diffusion française des consoles japonaises Nintendo et Sega. Trois grands sujets qui vont certainement permettre à nouveau d’enrichir la compréhension de ce milieu du jeu vidéo dans cette période si mal connue et donc à découvrir.

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le 29 nov. 2023

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