Incontournable Février 2022


Une lecture qui arrive à point pour la Journée Internationale de la Femme, en ce 8 mars 2022. Mes hommages à toutes!


Ce roman est une pure friandise. Quand on en savoure chaque ligne, ma foi, c'est bien là le minium à en dire, non? En alternant la prose et le vers, Del Socorro nous offre un personnage historique d'une rare modernité, véritable électron libre et femme en avance sur son temps comme on en voit pas souvent: Madame Julie d'Avigny, dites "Madame de Maupin", cantatrice, bretteuse et femme véritablement "libre".


Il y a peu, j'avais fait la lecture du roman "Olympe de Roquedor", dont malheureusement je n'ai pas retrouvé le féminisme et la modernité que j'escomptais trouver. Petite adolescente n'ayant aucune habileté à la lame, éternelle demoiselle en détresse qui aura frôlé le buché pour avoir porté des vêtements d'homme une seule fois, on est dans une logique totalement opposée avec Julie d'Avigny, ce qui est quand même comique, puisque c'est un personnage réel et non pas fictif comme Olympe. Julie en aura fait des choses jugées immorales à son époque: avoir droit à une éducation de page - réservée aux jeunes hommes - manier l'épée, avec la tenue conséquente; porter ladite tenue de bretteuse aussi souvent que ses robes de chanteuse d'Opéra; boire de l'alcool, parfois beaucoup trop; aimer passionnément les hommes comme les femmes, plébéiens, soldats ou nobliaux; essayé plusieurs types de métiers ; être non-pratiquante, voir peut-être athée ; montrer ses seins pour prouver son genre; voyager un peu partout seule ou accompagnée; être graciée par deux fois et manier la plume pour ses amours ( très jolie d'ailleurs!).


Julie d'Avigny était une force de la nature, artiste et fine lame, maniant aussi surement le Verbe que sa rapière, en incarnant presque un Cyrano en version femme. Dépeinte comme une femme sans complexes, au tempérament bouillonnant, mais avec un cœur sincère, Julie aura eu aussi des moments plus sombres. Elle aura fait fasse à des décès de gens qu'elle aimait beaucoup, aura été par deux fois condamnée ( puis graciée) et elle aura souvent eu des doutes, qu'elle s'est gardée de montrer aux autres. Elle aura été combattive pour sa liberté, farouchement défendue, toute sa vie.


Mephisto aura été un personnage phare, un compagnon de route espiègle, roublard et solidaire. À bien des égards, ce Diable m'aura fait penser au personnage de "Lucifer" dans la série éponyme. Version modernisée contre-biblique qui tient plus de l'ange "libertin" que du démon foncièrement malveillant, Mephisto a aussi en commun avec Lucifer d'être très dandy, séducteur et teinté d'une sagesse liée à sa connaissance fine de l'esprit humain et de sa longévité. C'est en outre un fervent défenseur de la libre interprétation: selon ses dires, on ne connait pas la "Vraie" histoire, puisque c'est la version du vainqueur que l'on a, donc celle de Dieu. L'auteur aura pu, à travers ce personnage attachant, jouer sur les diverses facettes de la religion, comme les personnages de la Bible, les fléaux qui se sont abattu sur le monde, les réelles raisons de la déchéance du paradis du Diable, etc. C'était franchement comique - pour un athée en tout cas.


L'humour, oui, il y en a. Parfois caustique, parfois sarcastique, parfois référentielle, on ne peut pas ne pas rire - en tout cas, pas si vous aimez ces formes d'humour. Les répliques sont savoureuses, les piques bien trouvées, Mephisto et Julie en sont de vrais maîtres.


Il y a un autre aspect que j'aurai beaucoup aimé du personnage de Mephisto, c'est cette façon de philosopher. Immortel de son état, il en a vu d'autres et il met volontiers sa sagesse au service de Julie, dans ses moments de détresse et de doutes. Il y avait également quelque chose de beau à voir ce ténébreux ( mais sympathique!) personnage suivre Julie de cette manière, comme si le Diable avait, au final, lui aussi besoin de compagnie. La façon dont la relation entre les deux tourne me laisse penser qu'il a trouvé une égale en la personne de Julie, esprit libre et aiguisé capable de ruser et de piler sur les codes sociaux qui avaient court à l'époque.


Oui, parce que soyons francs: Les codes, Julie les a souvent allégrement piétinés, même si elle connait les limites et sait aussi se montrer courtoise. Convolant d'amants en amantes en dépit de son statut de femme mariée, ayant mit le feu à une chambre de couvent et ayant même donner des volées à des hommes, qu'il le mérite ou non, Julie n'était pas un ange - ce qui a surement du beaucoup plaire à Mephito, maintenant que j'y pense. Pour les modernes que nous sommes, ça peut sembler peu, mais en contexte historique, ça devait être surement moralement condamnable. Par contre, c,est ce qui fait que c'est si jouissif, pensez qu'une femme a eu à ce point de culot, c'est génial.


On aura de nombreuses références, parfois petites et subtiles, mais bien présentes. Elles sont souvent liées à des œuvres phares telles que Cyrano de Bergerac de Rostand, les Trois Mousquetaires de Dumas et même L'Odyssée d'Homer. On sent la présence des romans de capes et d'épées de l'époque et c'est un régal d'en avoir ENFIN un avec une femme comme héroïne. Elle occupe d'ailleurs toute la scène, épaulée quelque fois de Mephisto, mais bien au centre de l'Histoire, contrairement à "Olympe de Roquedor", où la demoiselles n'occupait que le tiers du roman.


Entre autres particularités, ce roman en prose regorge de vers, parfois dans les répliques au cours des duels d'épée ( façon Cyrano) ou au début des "Actes" qui font office de chapitres. Une étonnante hybridité qui sert très bien son sujet et nous rapproche de ce que fut la vie de Julie: Une passionnante pièce de théâtre rempli de coup de théâtres! On retrouvera également les diverses sources en bas de page, car certaines lignes originaires de textes réels, dont une lettre qu'à écrite Julie à son amant Joseph. Une rigueur que j'apprécie, surtout pour bien distinguer l'historique du fictif. Dans ses précisions à la fin, l'auteur nous expose d'ailleurs ce qui fut vrai dans ce roman et c'est incroyable de penser que presque tout est effectivement arrivé. C'était une femme véritablement extraordinaire. Je comprend pourquoi l'auteur d'y soit intéressée.


Un mot aussi sur un concept qui a fait défaut à Olympe de Roquedor et je j'avais espéré dans ce dernier: Le Consentement. Dans Olympe, jamais on ne le mentionne, alors que de nombreux mâles impose leur façon de faire. Dans "Une pour toutes", c'est omniprésent. Que ce soit Julie qui déclare au Diable "Que non, Mephisto, est un NON" ou que la marquise de Florensac, qui estime de pas être une marchandise dont on se dispute l'exclusivité à trois prétendants forts choqués d'être escamotés, on table sur le fait que les femmes sont capables de prendre des décisions pour elles même, qu'elles ont le droit de dire NON et qu'il est désobligeant de s'imposer sur le simple fait d'être Homme. Aussi, j'admire la capacité des personnages masculins d'avoir des sentiments et d'être capables de vulnérabilité. Le père de Julie, monoparental, a toujours eu à cœur le bien être de sa fille, pas seulement d'un point de vue matériel, mais aussi psychologique. La relation qu'il entretiens avec sa fille est émouvante et sincère. Bref, on sort des stéréotypes. En ce sens, "Une pour toutes" est véritablement féministe ( égalité des sexes).


On a foison de thèmes dans ce roman, sur plusieurs axes. Certaines relève de la philosphie, comme la course du temps, la fragilité de la vie, l'urgence d'aimer, la lutte pour sa liberté de pensée, alors que d'autres sont plus sociaux, comme la condition des femmes, la rigidité des codes sociaux, les absurdités de la guerre et bien sur, les relations sociales, qu'elles soient amicales ou amoureuses. En outre, d'une certaines manière, nous avons une omniprésence des arts, ceux de la scène, ceux de la voix et celle des Lettres. C'est donc riche de pleins de thèmes, servies de manière efficaces, que ce roman nous fait naviguer entre émotions et actions.


Il y a un élément qui m'aura intrigué et c'est le fait que dans l'histoire présente, personne n'a émit de commentaires sur la bisexualité et les vêtements d'homme de Julie, comme si aussi mal vu que ce soit, ça reste dans le champs des possibles. J'imagine que si Julie n'a pas été condamnée pour cela, c'est que c'était donc effectivement des choses faisables. Étonnant, donc!


Et finalement, le texte en lui-même, vraiment succulent. Il y a de jolies tournures de phrases, des mots forts aux bons endroits et une richesse de vocabulaire qui font savourer chaque ligne - j'étais incapable d'en rater une. Je suis ravi de voir ce roman rejoindre les bons textes de la littérature jeunesse, car je réitère que nos jeunes ne sont pas cons et qu'ils méritent des plumes aussi magnifiques que celles qui sont au service de la littérature adulte.


Julie d'Auvigny est ce genre de femme en avance sur son temps que j'aurais et j'aimerais voir peupler davantage la littérature jeunesse, plus particulièrement les romans pour ados, trop souvent peuplés de petites gourdes stupides en déraisonnable pâmoison pour de petites raclures qui ont le culot de se décrire comme des '"bad boys". Je réitère qu'être une femme forte ce n'est pas de porter du cuir et des DocMartens en pestant sa colère comme la terre entière, non, c'est d'être capable de reconnaitre qu'on a une valeur et d'avoir assez de bon sens et d'amour-propre pour la défendre - Et accessoirement, de trouver des partenaires amoureux qui nous aime pour ce qu'on est.Mon humble et impertinent avis, bien sûr! Julie l'a parfaitement comprise, chaque femme et homme l'estimait, toute atypique qu'elle doit, authentique et vivante qu'elle doit. Juste pour ça, merci Del Socorro!


C'est donc au rayon des incontournables parmi les incontournables que va se retrouver ce roman - et sur mes tablettes personnelles, soyez-en sur! Un personnage aussi légendaire, ça n'arrive pas assez souvent.


Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15 ans et plus.


Pour les bibliothécaires et professeurs: Il n'y a pas de scène explicitement sexuelles, plutôt des allusions et blagues salaces, avec du sexe implicite. Il n'y a pas de scène de violence outrancières non plus.

Créée

le 8 mars 2022

Critique lue 111 fois

Shaynning

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