Les années se suivent et les Utopiales restent. Malgré les coupes budgétaires et les menaces qui semblent affluer de partout, les nantais du futur semblent toujours aussi prompt à nous offrir un salon de qualité dédié à la science-fiction, aux mondes de l'imaginaire et à l'avenir !
On le sait maintenant, la version 2015 de l'anthologie des Utopiales avait placé la barre extrêmement haut en terme de qualité. Un quasi sans faute pour la tripoté d'auteurs/auteures qui avait eu la délicate mission de parler de la réalité.
Cette année, sans doute pour coller à l'actualité technologique (entre Tesla, réalité virtuelle, et robots conçus pour coloniser Mars), le thème du salon est « La Machine ». Sujet vaste et complexe qui devrait permettre aux auteurs présents dans ce recueil de s'en donner à cœur joie. Et des auteurs de prestiges il y en a ici : Paolo Bacigalupi, Ann Leckie, Gérard Klein ou encore Catherine Dufour et bien d'autres encore.
Comme d'habitude, le livre s'ouvre sur une préface (de Gérard Klein cette fois) toujours très documentée et qui nous permet d’aborder la problématique des machines sous un angle tant technique que philosophique (comme on aborde un problème en SF finalement). Et le bal commence :


Simon Bréan– La Vieille Dame: Cette année, on ne choisit pas la facilité pour démarrer l'anthologie. La Vieille Dame est un texte court et relativement obscure qui suit un homme accompagnant de vieilles I.As en fin de vie et qui semble cacher quelque chose de pas très net. Pas grand chose à dire sur ce texte efficace et bien écrit. La réflexion sur les intelligences artificielles est intéressante à défaut d'être poussé très loin. Le représentation de ses « grands mères » numériques, elle, est plus intéressante et confère au récit une sorte de violence de velours assez intrigante. Un bon texte sans plus.


Ann Leckie  –  Pour Hesperia et pour La Gloire : Texte étrange que cette deuxième nouvelle. Le récit de Ann Leckie aurait presque pu se trouver dans l'anthologie de l'année dernière. Moins centré sur les machines que sur une réalité divagante, le texte plaît pour son évocation d'un univers de SF pulp à la John Carter. Un peu hors-sujet mais très sympathique.


Catherine Dufour – Deep Space Mine : Le premier coup de poing de cette anthologie ! Catherine Dufour use d'un ton acide au possible pour poser plein de question sur l'adolescence, la signification de la rébellion et l'échappatoire que représente la technologie et les réseaux sociaux. Faussement noir, le texte se veut à la fois ironique, dramatique et parfois même violent. On retiendra une scène de torture insoutenable et des passages d’hallucination virtuelles proprement dérangeante. Un texte puissant et extrêmement riche qui prouve qu'on peut poser un milliard de questions dans une nouvelle de vingt pages.


Raphaël Granier de Cassagnac– La Machine de l'année : Vous avez déjà joué à Deus Ex ? Si vous n'avez pas joué à Deus Ex, l'avenir dépeint dans cette nouvelle pourrait vous sembler original et pertinent. Si vous avez déjà joué à Deus Ex l'avenir dépeint dans cette nouvelle vous semblera original mais déjà vu. Impossible de savoir si l'auteur de ce texte a déjà posé ses doigts sur le jeu de Square Enix mais les ressemblances entre les deux œuvres sont frappantes. Pas un mauvais texte (au contraire, ça raconte la même chose que Deus Ex), mais peut être pas très pertinent ici, puisque le dernier titre Deus Ex ne date que de quelques mois.


Lev Grossman – Fin de Partie : Ce n'est pas une première pour l'anthologie des Utopiales, certains des textes appartiennent à des univers littéraires déjà existants. C'est le cas de la nouvelle précédentes mais également de celle-ci. Tiré de cycle des magiciens du même auteurs (et porté à l'écran par Syfy cette année), Fin de Partie est un texte... bah qu'on ne comprend pas. On saisi l'action, c'est bien écrit mais il règne sur la nouvelle un parfum de private joke qui déconcerte au début, énerve au milieu, et désintéresse à la fin. On se dit juste que le délire de l'auteur n'est pas pour nous, pauvres moldus qui ne connaissons pas l'univers de base. A conseiller aux connaisseurs donc.


Estelle Faye – Le Diable : Une nouvelle au premier abord assez obscure mais qui parvient à nous secouer bien comme il faut. Entre réflexion sur l'obscurantisme, l'évolution technologique et la place de l'humain sur la planète, cette nouvelle, écrite à hauteur d'hommeS, va assez loin dans son développement. Une réflexion post-apocalyptique subtile et sobre qui pose des questions dérangeantes dans ce qu'elle dit clairement (l'homme est responsable, pas la technologie) ou ce qu'elle insinue (retour à la religion après la fin du monde ?). L'un des textes les plus pertinents sur son sujet de cette anthologie.


Ménéas Marphil – La Montre : Voici un texte pour le moins surprenant. Le texte de Ménéas Marphil se situe à Montpellier, de nos jours, où de jeunes étudiants (particulièrement désœuvrés), font une plaisanterie alambiquée à l'un des leurs. La nouvelle interroge de manière pertinente sur la différence entre libre-arbitre et déterminisme. Mais aussi sur la différence entre machine et humanité. Aussi roublard que ses personnages, cette nouvelle se lit avec grand plaisir et représente une bouffée d'air frais dans un regroupement de textes parfois trop anxiogènes.


Ugo Belagamba – Purple Brain : Ancien directeur artistique des Utopiales, M. Belagamba nous offre ici une nouvelle touchante autant qu'exaltante. Cette nouvelle est l'occasion pour l'auteur de rendre hommage au scientifique André Brahic. On y suit le scientifique entre sa venu au Utopiales en 2013, son décès des suites d'un cancer en mai 2016 et... on en dira pas plus pour ne pas gâcher le suspens. Toujours est-il qu'entre référence à Pinochio, recherche d'une intelligence extra-terrestre et réflexion sur l'avenir de l'humanité, ce texte, moins innocent qu'il n'y paraît, trouve parfaitement sa place dans ce recueil.


Olivier Paquet – Tokyodôme : Rock et SF sont à nouveau réuni ici par Olivier Paquet dans une nouvelle douce-amère. A Tokyo, un groupe de Rock inspire à un fan geek la création d'un concert online en réalité virtuelle. L'auteur nous offre ici une très bonne analyse sur ce qui constitue la vie d'un groupe de musique et une réflexion passionnante sur la réalité virtuelle. On nous montre ici une réalité parfois sombre et complexe mais vibrante et vivante. Mais on nous expose également un concert virtuel en forme de lieu de culte pour des millions de fans désincarnés à travers le monde. Le meilleure et le pire des deux mondes pour un des meilleurs textes de ce recueil.


Paolo Bacigalupi – Modèle Mika : L'auteur star à l'origine du génial roman La Fille Automate, nous reviens ici en grande forme pour un récit en mode Tech-Noir court mais efficace. En quelques pages, l'auteur américain nous propose une réflexion intelligente sur la place de la machine dans la société. Le souvenir de l'accident de voiture Tesla nous reviens vite en tête dans cette histoire de meurtre plus complexe qu'il n'y paraît. Doit-on juger une machine où son fabricant ? Ne sommes nous pas nous même des machines au fonctionnement différent ? Autant de question que soulève cette nouvelle réussi mais diablement trop courte.


Gérard Klein – Un Gentleman : Gérard Klein est l'une des figures les plus importantes de la science-fiction littéraire française. Sans lui, pas de Dune en France, excusez du peu. Paru d'abord en 1968, ce texte très court nous conte les déboires sentimentaux d'un gentleman aux manières par trop raffinées. Au point de se voir éternellement coupé de l'objet de son affection sous quelques formes qu'il soit. M. Klein s'amuse également à réfléchir à la femme parfaite pour son étrange gentleman. Maline et grinçante, la nouvelle, si elle n'est pas une des plus renversante du recueil, se lit avec grand plaisir.


Jean Pettigrew – La Caverne aux Tofus : En quelque sorte l'équivalent canadien de Gérard Klein dans l'édition de la littéraire de l'imaginaire, Jean Pettigrew nous offre ici un texte court et complètement loufoque. Ou quand les cavernes de Jupiter renferment le secret du voyage spatiale sous une forme totalement inattendu. Plus le texte avance, plus le récit nous présente des règles bizarres, déconcertantes et vraiment amusantes. L'auteur s'en est donné à cœur joie et on sent, sous le déluge de trouvailles, une réflexion sur la naissance parfois bien précipitée, des cultes. Un vrai plaisir de lecture. Gloire aux Grands Tofus.


Karim Berrouka– Le Truc qui Ressemble à une Machine : Comme d'habitude, l'anthologie des Utopiales 2016 se termine par la nouvelle la plus longue du recueil. Cette fois ci, c'est l'auteur punk Karim Berrouka (chanteur de Ludwig Von 88) qui nous offre un texte proprement hilarant. La nonchalance avec laquelle les deux anti-héros de l'histoire acceptent ce qui leur arrive est le vrai point fort de la nouvelle. Une histoire de machine étrange, d'amitié incongru et surtout, l'occasion pour l'auteur de toujours inventer un nouveau truc farfelu pour faire avancer l'intrigue. Le tout est drôle, agréable à lire et très prenant. Un très bon texte pour clore cette anthologie 2016.


Conclusion : C'est l'auteure Jeanne-A Debats, qui s'occupe de clore cette anthologie 2016 des Utopiales avec le texte Papa, Maman, La Machine et Moi. Ce texte est un résumé du recueil et une réflexion pleine de légèreté sur l'angle qu'on choisi les auteurs pour traiter le sujet des Machines.
Au final, après un démarrage moins percutant que l'an dernier, cette anthologie parvient tout de même à emporter l'adhésion grâce à des textes forts, intelligents, drôles ou touchant. Les auteurs choisissent de nous montrer des machines à la fois meurtrières, transcendantes, facétieuses ou encore troublantes. Des machines aux caractéristiques bien humaines donc. On conseille ainsi ce recueil à tous. Amoureux de science-fiction comme néophytes. Ça se lit vite, bien et ça fais réfléchir. De l’excellente SF en somme. A l'année prochaine !

paul_darbot
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le 1 déc. 2016

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paul_darbot

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