Vipère au poing
6.8
Vipère au poing

livre de Hervé Bazin (1948)

Vipère au poing est un drame, comme le dit lui-même le narrateur, Jean Rezeau ("Et ce récit devient drame" conclut-il à la mort de sa grand-mère dans les premières pages), c'est l'histoire d'un enfant transformé par la haine que lui porte sa mère et par la haine qu'il lui rend. Paule Rezeau, née Pluvignec, est une femme qui ne vit que pour le malheur de ses trois fils ; de son arrivée à la demeure familiale ("La Belle Angerie") avec son mari et son dernier enfant, Marcel, suite à la mort de la grand-mère paternelle qui avait alors à sa charge Brasse-Bouillon (surnom de Jean) et Frédie (diminutif de Ferdinand), au départ des trois frères au collège, jamais ne survient en elle un sursaut de tendresse, d'empathie, voire d'humanité. Elle n'est que cruauté et c'est en sa progéniture qu'elle trouve son exutoire (Jean ne dit-il pas lui même que "la pureté n'exige pas la rétention, mais l'exutoire" ?).
Mais ce n'est pas tant Folcoche (comme la rebaptisent les jeunes protagonistes - contraction de "folle" et de "cochonne") que les conséquences irrémédiables de ses agissements sur Jean qui sont exposées dans le récit d'Hervé Bazin. On ne peut s'empêcher de ressentir de la pitié, de la compassion pour les enfants, et surtout pour Brasse-Bouillon qui nous livre au fil des pages l'intimité de ses sentiments, qui nous partage sa tristesse et son désarroi face à un courroux sans motif dont il ne peut saisir la portée. Pourtant très vite, un malaise s'installe quand celui-ci décide de ne pas rester camper à son statut de victime. Orgueilleux, critique acerbe envers ses frères et son père qui ne l'aident pas dans sa lutte, Jean s'avère ne pas calquer à la figure de l'opprimé et cherche à se venger - les "VF" signifiant "Vengeance à Folcoche" qu'il grave dans l'écorce des arbres semblent s'élever comme un hymne et un leitmotiv.
Alors qu'il est encore jeune, son combat ne consiste qu'en une résistance à la tyrannie mais le temps passant, se libérer du joug maternel présente nécessiter des actions : souhaiter la mort de quelqu'un est une chose (les trois frères attendent impatiemment la "mauvaise nouvelle" quand Folcoche tombe gravement malade), vouloir la provoquer en est une toute autre, et c'est avec un étonnement teinté d'effroi que l'on assiste de par les yeux du jeune narrateur à la recherche d'une solution définitive pour se débarrasser de sa mère, la faire passer de vie à trépas. Il y aura même des tentatives. Ce combat impitoyable que mène Brasse-Bouillon le transforme et bien qu'il finit par privilégier la fuite et la ruse à l'assassinat on ne peut se sortir de l'esprit qu'il est devenu similaire à son bourreau - il concède d'ailleurs lui ressembler en de nombreux points, semblant même en tirer une certaine fierté, et fait part au lecteur à plusieurs endroits du livre que sa mère vient à lui manquer quand son absence se prolonge.
Les derniers chapitres (ceux que j'ai personnellement préféré de par le changement de ton et la virtuosité des déclamations mentales de Jean) sont significatifs de ce changement, qui se manifeste dans son incapacité à ressentir de l'affection pour Madeleine, sa première aventure "amoureuse", et le mépris, l'irrespect qu'il lui porte, mais surtout par ses pensées, empreintes de révolte, teintées d'une haine féroce. Jean a été sans doute conditionné par la lutte qu'il mena toute son enfance et adolescence, c'est donc dans l'ordre des choses qu'il la choisisse à la fin du roman. S'il connut d'autres choses dans son passé, elles sont trop lointaines pour qu'il s'en souvienne, et c'est ainsi qu'il dit dans l'ultime chapitre : "L'homme doit vivre seul. Aimer, c'est s'abdiquer. Haïr c'est s'affirmer. Je suis, je vis, j'attaque, je détruis. Je pense, donc je contredis." Cette phrase est emblématique dans la compréhension de ce qu'est devenu le narrateur de cette histoire ; ayant été seul dans son combat, et n'ayant eu pour seul soutien dans ce dernier que sa haine toujours croissante, il fait le choix de l'opposition et de la défiance, il fait de la révolte une affaire personnelle.
Loic_H
7
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Créée

le 10 janv. 2013

Modifiée

le 31 janv. 2013

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Loic_H

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