Céline l’antisémite, Céline le misogyne, Céline le fou. De son vrai nom Louis Ferdinand Destouches, Céline est probablement l’auteur le plus controversé de la littérature française.


Et pourtant, Voyage au bout de la nuit est cité comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du XXème siècle. «Pour les uns, ce livre est une ordure; pour les autres, une œuvre de génie.», affirme le critique littéraire André Rousseaux. Prix Renaudot en 1932, il rate de peu le Prix Goncourt. Mais peu importe, la légende est lancée : Céline devient l’auteur le plus en vogue de l’entre-deux guerre.


Pourquoi ce roman suscite-t-il autant d’engouement, et comment son auteur, autrefois la coqueluche du Tout Paris, est-il devenu un paria forcé à l’exil et emprisonné ?


Ferdinand Bardamu s’enrôle dans l’armée pendant la Grande Guerre contre les Allemands. En quête d’héroïsme, le soldat va rapidement déchanter. Confronté à l’absurdité des combats et à la violence des hommes, Bardamu découvre la guerre par la peur. Il veut partir, loin, là où les hommes sont meilleurs. Le Voyage commence. De l’Afrique aux Etats-Unis, Bardamu assiste à l’exploitation coloniale des Africains, au fordisme et à l’indifférence des New-Yorkais, et finit par s’établir comme médecin dans la banlieue misérable de Rancy. Désillusion. Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, Bardamu se heurte à la fatalité de l’existence : les hommes ne sont pas meilleurs ailleurs.


Vous l’aurez compris, Voyage au bout de la nuit est tout sauf un roman feel-good. C’est même carrément déprimant. L’écriture de Céline, juste et hyper-réaliste, accentue le pessimisme du lecteur, témoin de la dégénérescence du narrateur. Ce qu’on enlèvera pas à Céline, c’est la pertinence de sa plume. J’ai rarement pris autant de notes pendant une lecture. Je me retrouve même avec une dizaine de pages Word remplies de citations. Céline, le roi de la punchline. Le mec t’aurait plié un rap contenders en 3 phrases. Truffé de descriptions détaillées, le roman peut sembler un peu filandreux à certains moments. Malgré ces quelques longueurs, Céline parvient à maintenir le suspens tout au long du récit.


Voyage au bout de la nuit est un roman qui m’a mis organiquement mal à l’aise. En inventant le style parlé, Céline donne une voix à la phrase, et transporte le lecteur dans les limbes du cerveau de Bardamu. J’ai ressenti son désespoir face à l’absurdité du sang versé, vécu ses traumatismes, absorbé ses doutes, et recraché toute la misère du monde. Je suis tombée amoureuse de Lola, j’ai haï Musyne, j’ai voulu quitter Molly. À la fin du roman, j’avais autant d’espoir dans l’humanité que dans un dictateur. En partie autobiographique, le roman relate les expériences de Céline en tant que soldat et médecin, ce qui apporte de l’intensité et une dimension vraisemblable au récit.


Voyage au bout de la nuit n’est pas un roman facile à lire. Il faut pouvoir plonger le nez dans l’horreur pendant 600 pages, se noyer dans le cerveau d’un homme en détresse sans soi-même perdre pied. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai perdu toute foi en l’humanité en lisant Céline, mais j’ai tout de même été enveloppée par une vague de pessimisme qui ne me quitte plus depuis. C’est après tout ce que je recherche chez un auteur. Sa capacité à transmettre des émotions fortes au lecteur, à le faire basculer du rôle de spectateur à celui d’acteur.


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ElodieAngiolini
8
Écrit par

Créée

le 26 sept. 2022

Critique lue 41 fois

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