Acheté presqu’au hasard, "Wastburg" correspond bien à l’excellente définition des moutons électriques en présentation du roman dans sa version numérique : "Crapule Fantasy" au même titre que "Gagner la Guerre" de Jaworski. Une fantasy d’inspiration médiévale avec ce qu’il faut de magie pour complexifier l’univers, sans dragons ni trolls où les coups bas sont élevés au rang d’art et l’action se déroule principalement à l’abri des regards dans les coursives d’un palais où dans l’arrière salle d’une taverne miteuse entre deux personnages louches.
Ce qui fait de Wastburg une cité remarquable dans l’univers créé par Cédric Ferrand c’est sa situation géographique et politique. Ville franche indépendante sur une île dans le delta d’un fleuve, elle est le point de rencontre de deux royaumes aux mœurs bien distinctes. D’un côté les Waelmiens qui sont décrits comme un peuple aux accents germanique avec tout ce que cela comporte de clichés, de l’autre les Loritains à l’image d’une nation latine. Ainsi donc Wastburg est la cité où s’entrechoquent ces deux cultures si différentes avec leur lot de préjugés xénophobes sur l’autre partie de la ville. Dirigée par un burgmaester omnipotent et mystérieux puisqu’il n’apparait plus jamais en public, la cité se réinvente sur les vestiges de l’ancienne caste dirigeante de magiciens, aujourd’hui disparus comme la magie de ce monde.
Paradoxalement, c’est la construction du roman qui en fait sa force et sa faiblesse. Chacun des chapitres suit un aspect de la ville et de ses habitants sans lien immédiatement apparent avec les autres chapitres. Ici on est complice d’un larcin orchestré par une bande de malfrats pour récupérer du salpêtre sur un bateau, là on assiste au réveil d’une bande de gosses des rues ou encore à la veille de deux frères chargés de protéger un cimetière. Si les rapports entre les parties apparaissent dans toute leur finesse au fil de la lecture et que l’on finit par deviner réellement la trame globale qui unit les 15 chapitres, ce qui révèle finalement l’intelligence et la précision de construction de l’auteur, on jongle trop souvent à mon goût sans prendre le temps d’apprécier les situations et de s’attacher vraiment aux personnages charismatiques. J’aurais vraiment apprécié d’en savoir plus sur le prisonnier évadé de la Purge ou sur Polkan le recruteur manchot.
Par la diversité des protagonistes et des lieux parcourus, Cédric Ferrand nous fait ressentir le pouls de Wastburg avec brio, la saleté des impasses, l’odeur des rustres qui éclusent une mousse, l’humeur exécrable des gardes derrière leur bouclier. En voulant mettre l’accent sur la rudesse et la gouaille de la langue des habitants de Wastburg, l’auteur nous fait profiter de conversations au vocabulaire fleuri qui m’a parfois semblé « anachronique ». Cela peut sembler étrange pour un roman de fantasy mais certains termes ne « collent » pas à l’ambiance médiévale.
Un livre que j’aurai dû adorer et que je n’ai finalement que beaucoup aimé, 7/10