Nous sommes tous des enfants de Sheila et Frank Alamo

Non, je veux dire, c'est fantastique.

Alors pour sûr, ça me rajeunit pas tout ça, on prend petit coup de vieux, et on se dit qu'on est déjà de la génération précédente.
Allez savoir pourquoi, sans doute en réaction au fait que je passe mes journées à bosser sur la musique des films de Béla Tarr, une furieuse envie de critiquer une chanson bien pourrie que j'écoutais plus jeune me taraudait depuis déjà une bonne heure.
Alors moi, bonne âme, je grattouille dans les listes prévues à cet effet (nombreuses), puis je tombe sur ce titre. J'avais jamais entendu. Je veux dire, on m'avait déjà fait profité du gratiné « Ma soirée msn » de Lylloo, mais là... Du tout nouveau. Puis c'est le clip aussi qui fait tout.
Ce truc vaut de l'or : http://www.youtube.com/watch?v=Wxio7XI2ZSU

Y'a plusieurs attitudes face à ce genre de musiques.
Y'a le haineux. Il avait 15 – 18 ans quand c'est sorti, ni assez jeune pour aimer, ni assez vieux pour être intéressé et poser un regard curieux.
On a le sociologue de comptoir, cas très courant, qui à trop vouloir contextualiser la chose et parler du fossé générationnel en oublie toute la musique. Il va sans dire qu'il est trop vieux.
Puis y'a celui qui va, devant ça, écarquiller yeux, oreilles, et orteils ; et non pas détester, mais au contraire éprouver une sorte de fascination (un tantinet morbide) pour la chose. La Chose.

C'est trop facile face à ça de produire un constat depressionniste digne des journaux à sensations. Beaucoup plus difficile en revanche (mais Ô combien plus gratifiant !) de filtrer la rage potentielle pour ne garder que l'impression de « Wahou ! Mais qu'est-ce qui vient de passer dans mon champ audio-logo-visuel ! ».

Le premier contact a été incroyable. Je veux dire, j'avais le visage qui se crispait et se tordait, dans des mimiques reflétant tour à tour une intense jouissance et un sentiment d'horreur prononcé, le tout constamment soutenu par un sentiment d'incrédulité fanatique. En même temps je repensais à toutes ces séries comiques qui jouent sur la gène du spectateur (« The Office » en tête) et qui n'arrivent pas à la cheville de l'effet produit par une telle vision.
Vous n'avez pas idée de combien je serai prêt à payer pour voir ça, en face, de près. Tous les instincts que ça réveille en moi. Et pas les plus propres ni les plus gentillets, croyez-moi. Ça réveille l'animal carnassier qui est en moi, le méchant, le vicieux, celui qui veut taper là ou ça fait mal. Puis ça réveille aussi le pédophile en moi, après Brenda Lee chantant Dynamite, voici Be Wiz'U, avec la petite en rouge slash mini-short, miam, plus de pitié !

Laissant l'aspect sémantique, le logos, aux autorités compétentes (bon, j'avoue, j'en toucherai peut-être bien un mot ou deux, dur de résister), je vais me recentrer sur l'audio-visuel. C'est déjà tellement fort.
Je trouve ici la descendance de mes plus beaux yé-yés des sixties. Force est de constater que dans un demi-siècle ce truc sera redécouvert (mais d'ici là, militons pour qu'il ne soit pas oublié) par des espèces de jeunes à moitié alcooliques qui se pâmeront devant la candeur naïve du morceau, les expressions alors complètement désuètes, et le sous-texte, ma foi, guère pire que celui que l'on trouve chez une France Gall pré-67 ou une Ria Bartok.

« Nihil novi sub sole » comme on dit, on ne fait ici que répéter l'histoire du kitscho-ridicule, en rajouter une nouvelle tranche. Ceci, mes amis, est la génération 00's – 10's, qui construit son propre patrimoine musical, et comme aujourd'hui nous célébrons allègrement le retour des tubes des années 60 et 80 (et même la disco 70's pour certains grands malades), demain nos enfants, ou au mieux les enfants de nos enfants, célébreront cette Chose. « En vérité je vous le dis » nos enfants et petit-enfants viendrons nous voir, avides de connaissance, et nous demander : « dis papa, c'était comment les 00's ? En ce début de millénaire, avec quoi vous amusiez-vous ? » Et ils viendront avec des singles de choses que vous croyiez enterrées si profond que personne ne les déterreraient, avec des CD deux titres achetés une fortune sur ebay à d'autres collectionneurs, chinois ou américains probablement. La fuite du patrimoine, Berlioz vendu outre-Atlantique.

Comme nous nous esclaffons en rêvant d'un monde où la coiffure de Sheila était au top de la mode, ils nous demanderont de rendre des comptes sur ce monde passé, révolu depuis longtemps (pour pire encore sans aucun doute). Et nous de ressortir de vieilles photos de classe, de repenser à ce qui était « in » et ce qui était « out ». Ce sera dur, mes amis.

Comme nous nous esclaffons en revoyant ces images d'archives où Annie Cordie nous gratifiait du twist du siècle (Zizi) et Lulu d'un déhanché à faire rougir les saints et à donner matière à une suite des métamorphoses coquines de Jupiter (Shout), ils regarderont avec passion ces images témoignant d'un temps où la danse voulait dire autre chose, où les mouvement des corps s'articulaient différemment, où mettre en avant sa poitrine, avec les bras en arrière, ou bien fléchir un genou en jetant ses bras tour à tour dans un sens puis dans l'autre suffisaient pour danser avec classe (et nous de leur dire que déjà à cette époque ils étaient néo-kitsch, ou quelque chose dans ce goût là). Ce sera dur, mes amis.

Comme nous nous esclaffons de la coiffure extraordinaire de Sheila (http://tinyurl.com/bbkeav6), de la subtilité dans l'organisation de la pilosité de Sylvie Vartan (http://tinyurl/bcw5zl4), de l'incomparable mise en scène capillaire de Gillian Hills (http://tinyurl/bxo6pw5), ils chercheront ces franges, ces petits mouvements de tête latéraux pour l'empêcher (solution à court terme s'il en est) de tomber sur les yeux, frange éternellement encadrée par deux mèches plus longues sur les côtés. Une coiffure masculine directement hérité de Bieber Himself, avec des cheveux juste trop longs (et là, quand ils nous diront « mais, grand-père, pourquoi les couper juste assez long pour qu'ils soient incommodes ? », que leur répondront nous ?). Vous savez déjà comment ce sera, mes amis.


Et ainsi de suite, Shéhérazade pourrait tenir son Roi de Perse (quel génie celui-là !) aux aguets des nuits durant avec des comparaisons, des aller-retours 60's – Ça, Ça – 60's, aussi allons nous nous recentrer sur le « Ça ».

Quelques remarques en vrac, visuelles encore :

Ils ont caché les moches avec des cartons smilisés, je trouve l'idée fantastique.
Les gros plans sur l'appareil dentaire du gosse valent, à eux seuls, tout l'or du monde.
La gestuelle rend la chose merveilleuse. Les petits cœurs avec les mains, le cadre de l'appareil photo... C'est déjà tellement daté, et pourtant ça n'a que deux ans !
Et que dire des petits coups de keffieh (comment ça s'écrit ça ? Ce truc arabe repris par les hippies repris par les fashions ?) que la petite met, l'air de rien, vers 2'55 ?! D'un ridicule (je m'étais promis de ne pas dire ce mot, mais là il faut que ça sorte) tellement achevé ! On dirait qu'elle mime les attitudes érotico-affriolantes d'une Monroe transposée dans notre millénaire, effrayant et hypnotisant.
Je prédis d'ailleurs à leurs petits clins d’œil féminins un grand avenir.


Quelques remarques en vrac, auditives cette fois :

La richesse des rimes qu'ils laissent à entendre. Ronsard peut aller se rhabiller, ici « utile » rime avec « futile » cinq sons sur six, c'est presque un sans faute.
Le vocodeur final est in-croy-able. Une kitscherie monstrueuse, je n'en crois toujours pas mes oreilles.
On remarquera les mêmes codes vocaux que chez mes yé-yés d'amour, la jeunesse collégiale de ces enfants est caractérisée vocalement par une absence de cette vibration vocale que l'on attribue (bien stupidement) à une pseudo-maturité de la voix, comme si vibrer = maîtriser.
Des voix innocentes, suaves, claires, sans profondeur.
Les instrus sont des purs produits de Daddy Dj, alors que ces gosses n'en ont sans doute pas la moindre conscience, c'est fantastique, encore une fois.
Il va sans dire que la modulation est inconnue au bataillon, et le changement harmonique peu commun.


Alors tout ça soulève en moi une question fondamentale. « Et si ça arrivait à mes enfants ? Mes propres enfants, chair de ma chair ? » Voyons les choses en face, on dit toujours « ça n'arrive qu'aux autres », et Jankélévitch le premier souligne le caractère impersonnel de la mort : Je le sais, mais n'en suis pas conscient. Je ne l'envisage pas, et si c'est un fait reconnu, si la mort frappe tout être né, elle ne me frappera pas, moi. Occultation semi-consciente du fait. Réveillons-nous, personne n'est à l'abri.
Aujourd'hui le traditionnel « c'est pour ton bien » est relégué au même rang qu'un « tu comprendras pourquoi quand tu seras grand », à l'état d'un décridibilisant à prise rapide
Alors, la question demeure : « Je laisse mes enfants s'humilier à vie, ou réaliser ce qui doit s'apparenter alors à leur rêve ? »

Edit : Je viens de découvrir leur "live" : http://www.youtube.com/watch?v=yplD7melNCk
C'est quelque part encore plus malsain, pousse cette sensation de déchirement intérieur entre une volonté de rire et un profond malaise quant au ridicule de la scène. Ils n'arrivent pas à danser en rythme, ils ont des moments de mou, le montage, la mise en scène, et la chorégraphie clipesque ne sont plus là pour les sauver, et l'impression d'attente entre chacune de leurs interventions est mille fois plus flagrante, c'est proprement incroyable. "Pauvre Rolland" nous dirait ce bon Jacques Becker.
Adobtard
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le 15 mars 2013

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Adobtard

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