La petitesse vue par…. 10 - Jarvis Cocker

Les commentaires de Jarvis : « J’étais au plus bas, émotionnellement, à ce point de ma vie. C’était les jours sombres des mid-80’s, "On va vers une vague de prospérité, soyons heureux". Nous étions à des années-lumière du trip mainstream. Et puis, j’étais en plein dans ma première relation digne de ce nom, je m’en dépêtrais pas et ça me déprimait terriblement de découvrir qu’on sort avec quelqu’un pendant 6 mois et qu’on en passe 18 à essayer de rompre. Bref, je n’étais pas heureux. » (dans Record Collector, 1994). « J’aimais bien le ridicule d’écrire Master of the Universe alors que j’étais au chômage et que je ne maîtrisais rien du tout. C’était l’hiver où j’étais tombé par la fenêtre, j’étais coincé dans un fauteuil roulant, à regarder Lovejoy chez ma mère. La chanson ne manque donc pas d’humour noir. » (dans Mojo, 2003)

On peut penser à plein de choses en lisant les paroles de Master of the Universe. La dialectique du maître et de l’esclave ? La réversibilité des relations sado-masochistes ? Le désarroi des parents dont les enfants s’émancipent ? L’adéquation entre aimer commander et aimer obéir ? Le pouvoir de l’esprit critique contre les totalitarismes ? La fragilité ultime des egos mégalomanes ? Orson Welles dans Cagliostro ? Y’a même un internaute qui y a vu la lutte d’un maître pour remettre à sa place son chien rebelle ! Ce qui est épatant dans ce texte né d’un fantasme compensatoire, c’est que c’est un véritable Rorschach. Et pour récompenser sa polysémie, c’est sur lui que va conclure le Maître de la Liste.

Je suis le Maître de l’Univers
Et j’ai tant grandi que ça fait mal
Lève les yeux et érafle-toi les genoux
Car ton Maître est mécontent
Parce que tu as osé mettre ses paroles en doute
Sa surface impeccable se ternit et se lézarde
Ton rire amer lui casse le dos

Je suis le Maître de cet Univers
Je t’ai appris tout ce que tu sais
A présent, ploie sous la malédiction de ton Maître
Car je ne te laisserai pas t’en tirer
A présent, parcours cette ville jusqu’à l’aube
Montre-toi dans tous les endroits publics
Le regard de ton Maître pesant sur toi

Oh, mais regarde ce que tu as fait
Tu as tout gâché pour tout le monde
Ton Maître se masturbe seul
Dans un coin de ton chez-toi
Tu le nourris de rogatons quand tu es d’humeur
Tu le bats sans pitié et le forces à rester nu
Tu as humilié et dégradé ton maître (1)
A présent, il crie en pleurant

A présent, il supplie nuit et jour
Il te laisse le prendre sur tes genoux
Il finit par perdre conscience
Il chérit sa nouvelle Maîtresse
A présent, il répète toutes les nuits
Toutes les nuits à en crever :
« Tu es le Maître de cet Univers »

A présent, il crie en pleurant :
« Tu es le Maître de l’Univers
Tu es le Maître de l’Univers
Tu es le Maître de l’Univers
Tu es le Maître de l’Univers »

(1) « cut sb down to size » = littéralement, « réduire la taille de quelqu’un »

(extrait de Freaks)

https://www.senscritique.com/liste/La_petitesse_vue_par/2802783