No More Heroes
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No More Heroes

Morceau de The Stranglers (1999)

La vie de merde, vue par... 4 - The Stranglers (Disorder in the UK)

No more heroes est un morceau célèbre et que je trouve superbe, mais, à mon avis, pas une chanson-Logos. En fait, ce que j’en pense, c’est qu’elle délivre un message full of shit (en gros, « bidon », « pas crédible », « non fiable ») et donc ajoutant à la merde dans la maison Vie De Merde. Mais c’est justement à ce titre que je l’identifie comme marquante et importante.


Un manifeste dont toutes les pages sont blanches, c’est beau comme un samizdat. Tout le monde peut y écrire ce qu’il pense, et les idées circulent à la vitesse de la lumière, encore mieux que celles des dominants. Mais quelles idées, et est-ce que tout le monde interprétait le punk dans le même sens, et l’exprimait de la même manière ? Comme l’ont fait les dominants avec leur néo-libéralisme ?


Le thème du chaos a rarement été traité de front : seuls Joy Division et plus tard les Smiths puis Bérurier Noir l’ont fait (et parmi eux, seuls Joy Division en ont fait leur thème central). On sentait bien que l’anarchie, c’était pas ça, et on sentait bien aussi que l’anarchie punk, c’était un peu ça quand même. Malaise. Mais, avec l’intitulé de leur album testamentaire, The Great Rock’n’roll Swindle (« La grande arnaque du rock’n’roll »), les Sex Pistols avaient levé un gros lièvre, et donné à leurs frangin-e-s punks un sacré os à ronger tous-ensembleu, tous-ensembleu, ouais ! ouais !


Alors le thème du chaos fut abordé par déplacement, dans le thème-symptôme de la fin des héros. Ce thème-là a été largement et durablement traité : les Damned l’ont fait avec Fan Club dans leur emblématique Damned Damned Damned, Joy Division l’ont invité un peu partout (aussi) dans leur emblématique Unknown Pleasures, Patrik Fitzgerald y a consacré au moins cinq ou six chansons sur la durée, et les Stranglers et Stiff Little Fingers ont appelé des albums entiers No more Heroes et Nobody’s Heroes, emblématiques eux aussi. Des années, des décennies après, des groupes continuaient à s’appeler Teenage Fan Club, Pop Will Eat Itself, The Dead 60s, et NOFX, dont le Kill Rock Stars n’est qu’une histoire d’embrouille classique entre féministe hardcore et gauchiste hardcore, n’en ont pas moins repris le titrepour baptiser leur propre label.


Thème abondamment abordé, donc, mais jamais de la même manière (même d’un titre à l’autre chez le même artiste). Consciemment, parce que penser par soi-même, c’est une invention punk, et ça, les punks en sont très fiers. Inconsciemment, parce que cette fixation collective en mille morceaux exprime un noeud de conflits profonds et non résolus à ce jour sur la façon dont il convient de prendre le pouvoir dans la maison Vie De Merde, et ça, les punks en sont moins fiers.


J’aimerais pouvoir nier que, de tous, c’est le No more heroes des Stranglers qui a réussi à s’imposer durablement dans les mémoires alors que, de tous les messages, c’est celui dont le niveau de conscience était de loin le plus bas. Mais tel est bien le cas. Pour une raison toute bête : les Stranglers étaient un grand groupe, au sens artistique du terme tel qu’on le comprend habituellement. C’étaient des musiciens surdoués, et qui jouaient avec une grande musicalité à une époque où c’était le dernier souci de tous les autres. Ils furent encensés (à juste titre) pour cette raison, et cela suffit à transmettre avec succès les insanités qu’ils proféraient sur leurs somptueuses compositions. Il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant d’admirer un artiste : vous bouffez son système de pensée tandis que vous vous régalez de son talent.


Comme Sid Vicious (qui lui, du moins, ne savait pas jouer), les Stranglers furent des intégristes de la provoc, qui investirent gaiement le créneau humour douteux et image de machos réacs bas du front. Ce qui est quand même plus style qu’avouer qu’on n’est pas clair dans sa tête, et qu’on ne dit rien avec l’air de dire quelque chose.


Et comme Sid Vicious, ils furent vite dépassés par les conséquences de leur choix. L’emmerdant avec les masques, c’est qu’ils sont faciles à mettre mais pas à enlever.


Les intégristes de la provoc sont au fond des esthètes. Mais de lard. Cette défense immunitaire, qui devait s’avérer promise à un grand avenir dans le long no future qui suivit, fut valorisée sous le nom d’« attitude », et même parfois de « bonne attitude », pour peu qu’on trouve la sienne plus branchée que celle de son plouc de voisin.


Qu’est-ce qui est arrivé à Léon Trotsky ?
Il s’est mangé un pic à glace
Qui lui a brûlé les oreilles


Qu’est-ce qui est arrivé à ce bon vieux Lenny ?
A la grande Elmyra ? (1)
Et à Sancho Panza ?


Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?


Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
A tous les héros de Jexpire ?
Ils ont regardé leur Rome brûler


Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
Il n’y a plus de héros nulle part
Il n’y a plus de héros nulle part


Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
A tous les héros de Jexpire ?
Ils ont regardé leur Rome brûler


Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
Qu’est-ce qui est arrivé aux héros ?
Il n’y a plus de héros nulle part
Il n’y a plus de héros nulle part
Il n’y a plus de héros nulle part
Il n’y a plus de héros nulle part


( 1 ) Lenny, c’est peut-être Lenny Bruce (sans garantie). La grande Elmyra, je sais pas qui c’est. Honnêtement, j’ai pas cherché. Je crois pas que ce soit d’une importance cruciale.


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Apparemment, l'idée des Stranglers dans No More Heroes était de répondre à la chanson Heroes de David Bowie.


Mais ils lui répondent quoi ?


« Use your twentieth century imagination - if you've got any ! », nous défiait Hugh Cornwell dans School Mam. OK hipster. J’en ai, et je relève le gant.



  • Pourquoi Trotsky, Hugh, qu’est-ce qu’il vous a fait ? A part être assassiné par un sbire de Staline ? Pourquoi le dire avec une joie mauvaise ? Bien fait pour lui, c’est ça ? Malheur aux vaincus, c’est ça ?


J’imagine la réponse de Hugh (amusé et déguisé en macho réac bas du front) : On dégomme toutes les statues, pourquoi pas celle-là ? T’es trotskiste ?



  • C’est pas la question, Hugh. Pourquoi Sancho Panza, alors que c’est même pas un héros et même pas un vrai être humain, et qu’en plus il a même pas eu un destin de merde dans Don Quichotte ? Tu sais, toi, ce qui lui est arrivé dans le roman, à Sancho ? Au départ paysan pas fute-fute, il a fini par étonner, par sa sagesse, le peuple qu’il administrait lorsqu’il fut nommé par dérision gouverneur d’une île. Alors, pourquoi lui ?


J’imagine la réponse de Hugh (agacé mais toujours déguisé en macho réac bas du front) : Oh là là ! Tu vas en chier une pendule ? Parce que c’est fun, connard. F-U-N. Tu captes ou c’est trop fort pour toi ?



  • Eh non Hugh, je capte que dalle. Qu’est-ce qui est fun, le relativisme et le confusionnisme ? Non mais réponds s’il te plaît, ça m’intéresse. Sortons du ras des pâquerettes là.


J’imagine la réponse de Hugh (rouge de colère) : Tu vas me casser les couilles longtemps avec ta sociologie à deux balles ? C’est moi qui sais ce que je ressens, d’accord ? Allez dégage le binoclard, avant que j’te fasse bouffer tes lunettes ! No more intelloes any more ! No more intelloes any more !



  • OK hipster, t’as raison, c’est toi qui sais ce que tu ressens. Qu’est-ce que tu ressens alors ? Nous y voilà. Qu’est-ce que ça veut dire, No more heroes ? C’est un constat ? C’est un désir ? Il n’y a plus de héros et c’est angoissant car nous sommes tout seuls ? Il n’y a plus de héros et c’est libérateur car les héros échouent et nous égarent ? Vous avez mis une belle couronne mortuaire sur la pochette, c’est bien que vous les pleurez, les héros ! Et vous vous foutez de leur gueule, c’est bien que vous leur en voulez cependant ! Alors pourquoi cet évitement par la dérision ? Pourquoi ce que vous ressentez, vous le dites pas ? Hugh ?.... Hugh ?....


J’imagine pas la réponse de Hugh.


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le 1 mai 2021

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