Vous et moi vivons englués dans une époque particulièrement cynique.
Tant et si bien que j'ai dans l'idée que cela ne peut pas durer beaucoup plus longtemps. Quelque chose doit changer. J'ignore précisément par quel moyen, hein, après tout je ne suis qu'un critique de jeux vidéo qui tente de se diversifier afin de garder un peu de jeux dans les articulations de ses mains avant d'atteindre la quarantaine. Mais... il me semble assez évident qu'un retour à la transparence doit s'effectuer dans un futur proche si nous comptons survivre en tant qu'espèce. Nous avons besoin d'un changement fondamental d'optique et ça tant d'un point de vue de l'éthique personnelle que de celui de nos sociétés. Sans le savoir nos contemporains s'enfoncent chaque jour plus profondément dans un jeu d'influences insensé rendu possible par un double arsenal bâti autour d'une forme suicidaire de modernité. D'un côté, vous avez la recherche d'une célébrité de pacotille rendue possible par les réseaux sociaux. De l'autre, vous avez son coût : une forme d'érosion constante de cette notion qui est pourtant à la base de toute forme de réflexion humaine. Vous en avez peut-être déjà entendu parler – et ça même si elle semble étrangement désuète de nos jours – il s'agit... de la vérité. Rarement plaisante. Souvent dérangeante. Et pourtant, sans elle, tout tend à s'effondrer.
Alors, à ce stade, j'imagine que vous avez toutes les difficultés du monde à faire un lien entre cette magnifique introduction vantant les valeurs de la vérité et Bojack Horseman. C'est normal, d'ailleurs, j'aurai besoin de quelques phrases de plus avant de réellement arriver à mélanger les deux dans un de ces effets stylistiques qui ont fait ma réputation d'auteur spécialisé dans ce genre d'exercices. Ceci dit... je suis convaincu que les plus futés d'entre-vous savent déjà dans quel sens mon argumentaire est en train de se diriger. Car – dit-il afin de dissimuler le fait qu'il est en train de charger un canari dans sa manche droite d'un habile coup d'épaule – l'équivalent interpersonnel de la vérité consiste tout simplement en une notion aisément résumée en quelques lettres : la franchise. Je suis convaincu que vous en avez déjà entendu parler. Sans en avoir l'air c'est indéniablement la plus grande qualité d'une série comme celle dont je suis en train de vous causer de manière détournée. La petite tragi-comédie de Raphael Bob-Waksberg tranche de manière décisive avec l'étrange sarabande faux-cul que représente de nos jours l'humour américain. Comme, par exemple, ces sitcoms sirupeux et consensuels écrits par des auteurs devenus alcooliques à force de se frotter à la médiocrité du public qui les fait vivre. Ceux où l'on sent que toute remarque dotée d'une quelconque forme d'intérêt a été savamment passée au papier de verre pour devenir une parodie lisse et sans aspérité de ce qu'elle aurait pu être. Vous savez... ces horreurs que vous regardez d'un air béat par divers moyens illégaux en inondant les réseaux sociaux de citations soi-disant drôles à la recherche de l'approbation de drones anonymes qui, comme vous, sont dépourvus d'un sens de l'humour.
Je n'ai rien contre les sitcoms à la mode, hein, autant le préciser. Mais je sais précisément sur quels types de formules ils sont construits. Il suffit d'avoir vu l'un ou l'autre exemple des décennies précédentes pour piger avec une facilité déconcertante comment ils fonctionnent. Certains ne sont pas totalement nuls, d'ailleurs. (Toujours eu de la sympathie pour Frasier ou That 70's Show, dans le genre, c'est plutôt bien écrit ; toutes choses considérées.) Ceci dit, ils suivent une formule devenue tellement prévisible de nos jours qu'il est dur de garder les yeux ouverts tandis qu'ils passent à l'écran... dit-il en activant d'un coup de poignet expert le mécanisme qui sert à charger le petit volatile dissimulé dans sa manche droite vers la position confortable à partir de laquelle il sera bientôt catapulté dans le visage du spectateur. Leur principal ressort ? Le mensonge. Machin a menti à Truc ce qui fait qu'il a besoin de Floubitchou – il me manque un troisième nom générique, faudra vivre avec celui-ci – qui lui même devra rentrer dans diverses situations « cocasses » pour tirer son pote de l'embarras. Si possible, le tout en répétant des catchphrases qui n'étaient déjà plus vraiment drôles lors de la seconde saison tandis qu'un public forcé à l'applaudissement par des chauffeurs de salles professionnels vous disent quand rire. On ne sait jamais que vous ayez oublié, hein, tant l'exercice est drôle. L'on est loin, ici, de Black Books, Mr. Show où même du Flying Circus. Très loin, même, pour ne pas dire aux antipodes.
Face à tout ceci la force d'une émission comme Bojack Horseman réside dans un protagoniste qui se surprend parfois à cesser de mentir. Ce ressort d'une facilité terrifiante nous montre pourtant que la dernières des épaves peut, le temps d'un naufrage, être de la trempe des braves. (M***e, je viens de citer une chanson de d'Étienne Daho. Si ça c'est pas un étrange lapsus.) J'imagine que les plus jeunes générations prennent pour de la franchise la constante litanie d'insultes qui sortent de sa bouche plus ou moins chevaline. Et pourtant... ce n'est pas vraiment de ça dont il est question. L'on apprend petit à petit que l'homme-cheval n'était pas – du moins, à la base – une horreur sur pattes doté d'un problème de boisson renforcé par ses déboires. À ses débuts, c'était un gars-équidé étrangement clean et doté du type d'humour lisse que l'Amérique sait vendre. Puis, le succès aidant, il a du subir les gens qui l'entouraient. Ses excès sont ceux d'un animal étrangement humain obligé de supporter un univers totalement dépourvu de vérité. Sa franchise ? On ne l'a trouve que dans les moments, rares et fugaces, où il se souvient pour quelques instant qu'en fait – malgré tout – il est encore un être humain-cheval. Car, quoi que vous fassiez, si vous chassez le naturel... il revient au galop. Et ça, les enfants, c'est la grande leçon d'une émission com... le mécanisme dissimulé dans la manche du MaSQuE se déclenche quelques secondes trop tôt et expulse un canari en parfaite santé directement contre la vitre d'une fenêtre adjacente, le tuant sur le coup dans une explosion tachiste étrangement esthétique de plumes maintenant multicolores.