Magnifique série, mais gâchis annoncé?

[Fin de la saison 1]

Grand Army, le pitch: Série lycéenne où on suit principalement 5 protagonistes: les filles Dom, Joey, Leila, les garçons Sid et Jayson. Ils fréquentent le même lycée public, Grand Army (du nom d'une place de Brooklyn). 5 protagonistes principaux pour 5 arcs narratifs.
Ces 5 jeunes se connaissent et s'entrecroisent, ainsi que leurs amis et leurs proches. Beaucoup de seconds rôles sont remarquablement utilisés.

C'est New York, Brooklyn, et d'emblée, vu les protagonistes, il est question de diversité raciale. Cette série ne cache pas son intention d'évoquer des questions politiques et sociales: racisme, pauvreté, féminisme, homosexualité, quête de soi… Le tout avec une approche franchement progressiste - girls power / BLM etc., -mais je pense que même un public qui pourrait être refroidi par une telle approche (il faut bien admettre que ce discours est actuellement très à la mode, donc redondant avec énormément de clichés, et peut devenir particulièrement pénible quand il se fait trop moralisateur, mais je m’égare) devrait donner une chance à cette série, car cette fois-ci, la construction des situations, la profondeur des personnages, leur cheminement psychologique, font preuve d’une réelle subtilité.

Mon avis est donc largement positif sur cette série de 9 épisodes de 55 minutes en moyenne. J’ai rarement autant eu envie de dévorer les épisodes les uns derrière les autres.
Dès le premier épisode, l’ambiance est donnée : c’est filmé au rasoir, très rythmé, une ambiance suffocante dans les situations tendues, l’environnement lycéen dégage beaucoup de naturel.
Des personnages superbement construits (pas seulement les principaux), des plus sympathiques au plus têtes-à-claques. Il y a deux intrigues majeures et donc deux personnages principaux, Dominique et Joey ; les deux sont très différentes, mais les deux sont très inspirantes chacune à leur manière, et avec ce qu’il faut d’imperfections pour les rendre encore plus attachantes.
A l’inverse, le personnage de Leila a largement déplu au public, si on en juge les réseaux sociaux, mais personnellement je ne suis pas d’accord avec les anti-Leila. Le piège ici, c’est de penser qu’il faut pouvoir s’identifier à n’importe quel protagoniste : c’est sûr que dans ce cas, ce personnage-là déçoit, moi je la vois plutôt comme un contrepoids aux héroïnes principales, et surtout je soupçonne qu’elle a vocation à un rôle bien précis sûrement plus tard dans la série, s’il y a une suite.

L’interprétation d’ensemble est excellente, les jeunes acteurs ont beaucoup de naturel. Odley Jean a énormément plu au public grâce à son charisme, son naturel, et son personnage inspirant. Je suis d’accord, mais Odessa A’Zion c’est encore autre chose, elle réussit une performance fantastique dans un rôle très chargé émotionnellement, la pauvre si ça se trouve elle est sortie rincée du tournage.
Bravo à tous, des scénaristes aux acteurs, cette série prend réellement aux tripes !

Hélas, je lui trouve quelques défauts, qui apparaissent principalement dans le dernier tiers de la série.
L’une des intrigues intègre des séquences animées… Cela ne m’a pas insupporté mais cela n’apporte pas grand-chose.
L’une des intrigues est nettement moins intéressante que les autres, parce que le thème

a déjà été souvent traité dans des teen dramas, et c’est précisément dans cet arc qu’on se retrouve avec des rebondissements cousus de fil blanc. Ici (et ici seulement) c’est du réchauffé, déjà vu, déjà fait.

Une autre intrigue fait usage de ressorts scénaristiques très suspects, bien peu crédibles dans sa dernière partie.

Dommage de se rater à ce point sur les derniers épisodes.
Je ne mets pas la note maximale à cause de cela.
Pour conclure : le final du neuvième épisode laisse la porte grande ouverte à une suite ; toutefois, si la série ne devait pas être reconduite, la conclusion de la première saison, très prenante, ferait une fin définitive tout à fait acceptable.

Malheureusement, je suis pessimiste pour une suite. Actuellement, avec la pandémie, Netflix arrête pas mal de projets, et je pense que celui-ci va être du lot.
La série est dérivée originellement d’une pièce de théâtre féministe de Katie Cappiello, SLUT : basiquement, l’histoire de Joey en est tirée. Sa pièce acclamée, Netflix lui confie un projet, l’histoire de Joey sera reprise mais on va construire d’autres personnages pour plus de diversité raciale et plus de thèmes sociétaux.
Le projet ira au bout, ce sera Grand Army mais des showrunners ont été adjoints à Katie Cappuelo et là c’est le drame : incompatibilité d’humeurs entre créateurs, en cours de route des portes claquent, des scénaristes quittent le navire et sont remplacés.
Peu avant la sortie de la série, une showrunneuse démissionnaire, SJW de combat, torpille Cappiello sur Twitter au motif qu’elle serait raciste (vu la charge BLM de la série, c’est un comble). Certains médias ont relayé la polémique, et le mal était fait. On a l’impression que Netflix, embarrassé, s’est un peu retenu sur la promo au moment de la sortie du show.
Résultats : il semble que les audiences de la saison 1 aient été bien décevantes au regard du coût de production- et surtout, de la qualité de la série ! Et pour Netflix, l’enthousiasme du public qui a regardé ne pèse rien contre le poids d’un public qui n’a pas été trouvé…

Vraiment je suis pessimiste pour une saison 2... et honnêtement, vu les valeurs développées par la série, si elle s'arrête comme cela, ce sera ironique ou consternant, selon le point de vue.