Un pays fracturé

Pour le commun des mortels (moi compris), la guerre de Sécession est un conflit lointain, ayant opposé les Nordistes abolitionnistes aux Sudistes esclavagistes, sous la conduite respective d'Abraham Lincoln et du général Ulysses S. Grant d'un côté ; et du général Robert E. Lee de l'autre.

En 9 épisodes denses et bien illustrés, cette série documentaire complète et corrige cette vision réductrice, en s'appuyant sur les nombreux témoignages de protagonistes de l'époque, anonymes ou célèbres (Ex : Lincoln, Jefferson Davis, Grant, Lee, Walt Whitman). Elle présente ainsi :

1) Une guerre pas si lointaine : puisqu'elle a eu lieu de 1861 à 1865, soit vers la fin de la conquête de l'Ouest et des guerres (amér)indiennes. À titre de repère européen, c'est sensiblement après Napoléon Bonaparte et juste avant la guerre franco-allemande de 1870

2) Des causes plurielles : si la question de l'esclavage est centrale, la guerre civile est plus largement due aux dissensions, notamment économiques, entre Nord et Sud (Ex : agriculture contre industrialisation, libre-échange contre protectionnisme). Bien que la place est Noirs soit évidemment plus enviable au Nord, ils y restent clairement des citoyens de seconde zone (Ex : dans un premier temps, renvoi des Noirs ayant fui au Nord vers leurs "propriétaires" du Sud et interdiction pour eux de s'enrôler dans l'Union, faisant du conflit une guerre entre Blancs, puis faible nombre de Noirs décorés ou gradés). La guerre de Sécession a donc eu lieu pour plusieurs raisons immédiatement palpables, intimement liées entre elles (esclavage, économie, préservation de l'Union), et sur fond de questionnements plus lointains (place des Noirs, droit à faire sécession)

3) Des similarités entre camps : malgré ces dissensions, les deux camps ont en réalité une majorité de points communs, qu'il s'agisse évidemment de la langue, de l'histoire, des institutions, du rapport à Dieu, ou encore du fédéralisme. Ce dernier prend la forme d'une "Union" pour le Nord (dirigée par Abraham Lincoln, avec Washington pour capitale) et d'une "Confédération" pour le Sud (dirigée par Jefferson Davis, avec Richmond pour capitale), les deux villes étant d'ailleurs géographiquement très proches. Le général Lee, qui était plutôt hostile à la sécession, aurait même pu commander l'armée de l'Union, si sa fidélité à son État natal (la Virginie) ne l'avait pas finalement poussé dans le camp de la Confédération. Pour l’anecdote, sa femme était en outre parente de George Washington (personnage historique qu'il admirait par ailleurs et ayant donné son nom à la capitale de l'Union), tandis que son père était l'un des généraux de ce même Washington

4) Une guerre moderne : marquée par l'utilisation inédite des chemins de fer, des ballons d'observation et des premiers cuirassés. Elle augure en cela d'autres guerres, que ce soit par son terreau idéologique (ici lié à l'esclavage), par ses outils (Ex : blindage, tranchées, voire mitrailleuses) ou par sa forme (Ex : industrialisation du conflit, prémisses de la guerre totale et de la terre brûlée, camps de prisonniers amaigris à l'extrême)

5) Des protagonistes plus humains : qu'il s'agisse de Lincoln, pas toujours populaire (et dont les soldats virent même le caleçon lors d'une sortie à cheval) ; de Lee, stoïque, mais parfois tiraillé par sa conscience ; et surtout de Grant, énième commandant de l'Union, qui aurait tout à fait pu demeurer anonyme et qui connut la pauvreté, au point de mettre des biens en gage pour offrir des cadeaux de Noël à ses enfants. Dans cette série, on croisera également la route de Custer, de Nathan Bedford Forrest, et de Jesse James

6) La victoire de l'État fédéral sur l'État local : à cette époque, nombre de combattants étaient plus attachés à leur État de naissance, qu'ils avaient rarement quitté, qu'à leur pays dans son ensemble, qu'ils n'ont parcouru que pendant la guerre. Au terme de celle-ci, ce dernier supplante doucement l'État local, que ce soit en termes de rapports de force, de législation (Ex : abolition de l'esclavage à l'échelle fédérale), de symboles fédérateurs (Ex : fin des travaux du capitole des États-Unis), ou d'attachement sentimental (Ex : envers le drapeau national)

Et pour conclure, il est toujours surprenant de voir les participants à une guerre s'imaginer que celle-ci sera brève, différente des autres, et naturellement victorieuse pour leur camp.