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Miss Scarlet and the Duke


D’emblée, les amateurs de NCSI, passez votre chemin. Pour résumer en une phrase : Miss Scarlet est une femme détective dans le Londres de la fin des années 1870 (et non pas 1850 comme je l’ai lu çà et là. 20 ans de différence, c’est énorme quand on veut coller au réalisme historique et comprendre le mode de fonctionnement d’une société) qui forme un faux duo avec l’inspecteur chief (superintendant) de Scotland Yard William Wellington (d’où le sobriquet Duke).
Jusque-là, rien de bien original. Les duos mixtes (genre, couleurs, voire même catégories sociales ou même rupture culturelle – je pense à The Persuaders déjà dans les années 70, mais plus proche de nous il y a une liste qui serait impossible à dérouler), le modèle de la femme détective (Miss Marple, Muder she wrote…) ou même les enquêtes en dentelles et jupons (Blood in Vienna, Miss Fisher…) ont donné le cadre d’une narration quasi immuable.
Sauf que la série, tout en soignant les décors, les costumes, le réalisme des dialogues et les saillies humoristiques (éléments de la fabrique de la création britannique attendus), aborde un modèle exploité jusqu’à l’usure sous un angle sociétal et humain vraiment inédit. L’affiche est ridiculement trompeuse. Il ne s’agit pas d’une Sherlock Holmes au féminin, pleine de panache et forte de son indépendance qui donne du fil à retordre à un gros bêta bellâtre. Ben non, et il n’y a que le public français abreuvé aux séries merdiques comme Inspecteur Marleau pour ne pas saisir toutes les nuances de ce qui fait de cette mini-série autre chose qu’un bijou divertissant. Pour cela, il y a Barnaby voire, pourquoi pas les différentes déclinaisons de Law & Order, au demeurant excellente série surtout avec Vincent d’Onofrio).
Alors, on n’échappera pas à certains tics et caricatures mais la mini-série se veut aussi un objet de divertissement populaire. Ici, pas de violences à la Peaky Blinders (autre objet télévisuel du reste mais si j’en parle, c’est parce que quelqu’un a osé écrire que c’était du recyclage alors que Peaky Blinders se situe carrément au début du 20ème S !)
Il faudra avoir un minimum de culture globale et d’intérêt pour le contexte socio-historique pour apprécier les nuances de caractères et le processus de réflexion comme la tenue des enquêtes de la série. Et à ce propos, bien que je n’ai eu le temps de ne voir que les 2 premiers épisodes, je peux d’ores et déjà dire que ce qui différencie le modèle de Miss Scarlet de ses dévancières tient avant tout à la fois au hasard (elle tâtonne) et au raisonnement (qui n’est pas loin d’être assimilable à une simple intuition féminine) comme enfin à l’éducation reçue par son père, lui-même détective, et dont l’image régulièrement rappelée d’outre-tombe dans les moments de déprime de Miss Scarlet est peut être l’unique bémol que je peux formuler dans le processus qui conduit une femme, bousculée par les conventions de son époque, qui cherche à se hisser non pas dilettantisme ou provocation, mais par nécessité alimentaire dans un monde où une femme n’a évidemment pas sa place ?
C’est à la fois sa force et un grand handicap et c’est là que le « soutien » du Duke peut débloquer les rouages d’une mécanique rapidement confrontée aux limites que peut exercer en toute indépendance une femme, non mariée de surcroît, dans l’Angleterre du dernier tiers de l’ère victorienne. Une fois de plus, il est important de resituer le contexte sociétal et intellectuel pour saisir toute la finesse de l’écriture.
Bon, on peut aussi se contenter d’apprécier la jolie plastique de Miss Scarlet, toujours tirée à 4 épingles et qui joue même de ses charmes en toute bonne convenance (quoique) pour user de procéder « sournois » (j’adore la relation avec le Duke dont on ne croit pas si rapidement deviner les contours) et s’attarder à des intrigues de meurtres de salons (on vit une vilaine époque, celle de Jack l’Eventreur mais on est loin du climat glauque de Ripper Street) mais avec une atmosphère qui ne ressemble en rien à l’image policée de Miss Marple ou pétillante de Arsenic & Old Lace).
On doit à Rachael New l’idée originale. Rachael New, c’est le soporifique Grantchester sauvé in-extremis de la trappe à la fin de la 1ère saison par le magnifique James Norton (vu récemment dans Mr Jones, l’histoire authentique de ce journaliste gallois qui voyagera clandestinement dans l’URSS idéalisée de Staline et rendra public en Occident la supercherie du miracle soviétique en rapportant la famine en Ukraine etc.). Alors, j’avais quelques craintes. Grantchester combinait déjà un duo improbable : un curé de campagne et un inspecteur de police bourru. Mais le duo fonctionnait curieusement parce que justement Rachael New ne se contenta pas de cette esquisse d’idée et osa souverainement et presque de manière anodine bousculer déjà les conventions et les limites du genre. Grantchester n’est pas Causton et Midsummer de Barnaby. C’est un véritable village dans le Cambridgeshire dans les années 50 où la morale est encore corsetée par un esprit justement pudibond et austère encore aggravée par le lent redressement d’une société abîmée par la fin de l’Empire (au moins la perte du joyau de la couronne, l’Inde, et bien sûr la fin de la seconde guerre mondiale). Alors, Grantchester aurait pu me donner la puce à l’oreille dans ce faux décor où on n’ose pas choquer la ménagère de plus de 50 ans pour le coup mais qui sera vite écorchée par la personnalité et l’environnement « amoral » dans lequel évolue le brave curé de Grantchester.
Et c’est d’ailleurs la force de l’auteure, d’avoir pu presque imperceptiblement, sans fracas, su ébranler les frontières, les lignes du cadre. Miss Scarlet ne fait rien par bavarde mais une fois de plus pas nécessité. Elle est issue de la classe moyenne et tente de conserver son rang, voire les apparences et semble un peu déconnectée des réalités de l’existence. La bonne s’est cassée parce qu’elle n’avait pas été payée depuis seulement… une, non deux semaines ! Oui, cela fait une grosse différence et la propriétaire menace de l’expulser parce que le loyer est impayé. Ce n’est qu’un aspect, presque anecdotique, du personnage mais qui donne une dimension sociale bien plus intéressante et forge in fine le caractère de Miss Scarlet précipitée dans la rude réalité d’une vie de célibataire, indépendante et bien sûr de femme dans un monde où on ne s’attend aucunement à la voir évoluer. En gros : épousez une fortune et procréez, Miss ! Le reste, on verra.
Quid maintenant des enquêtes ? Là, on revient aux fondamentaux de la narration du polar à l’anglaise dans la pure tradition de Sherlock Holmes (pourquoi changer une formule immuable et qui marche ?). L’excellentissime Benedict Cumberbatch dans la série produite par la BBC, Sherlock, a définitivement et pour longtemps repensé le héros de Conan Doyle, on ne fera pas mieux et ce n’est pas la débauche hollywoodienne pourtant produite par Guy Ritchie avec le pénible Robert Downey Jr et ce cabotin de Jude Law autrement mieux inspiré dans ce qui ne s’apparente pas à un blockbuster destiné à faire du fric qui remettra la marque au goût du jour. Question générationnelle ? Non, pas du tout, parce que justement le Sherlock de Cumberbatch restait fondamentalement attaché à l’esprit de Conan Doyle.
Alors, Miss Scarlet ose cheminer dans les pas de M. Doyle mais avec un charme et parfois une naïveté qui fait tout l’attrait de son personnage. Et vraiment, ça fonctionne, d’autant que pour ne rien gâcher, on a accolé à la délicieuse Eliza Scarlet (Kate Phillips, Peaky Blinders) le singulièrement attrayant Duke, Stuart Martin. Stuart est un prénom écossais et on devine dans la tenatative volontairement défaillante de conserver un langage et un accent de Londres, de la « société », une origine du Northumberland. C’est tout le charme aussi de ce personnage qui avec quelques mots parvient à se créer une dimension qui est pourtant dans les 2 premiers épisodes en tout cas encore assez marginal. Bon, il faut bien placer le décor. On pourrait encore parler du reste de la distribution mais je n’ai pas assez de recul pour m’en faire une idée. Elle dévoile pourtant une ambition de fresque qui n’est pas seulement un trombinoscope d’individualités caricaturées ou une galerie qui coche toutes les cases d’identification ciblée.

Jean-lucBorlon
8
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Créée

le 14 févr. 2021

Critique lue 1.2K fois

Jean-luc Borlon

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AmauryMartin
5

Une petite visite touristique...un peu creuse

C´était un bon contexte, un joli decor, une athmosphere trés british, un nouveau Sherlock Holmes interprété par une actrice plutot charismatique et son associé "the Duke"! Ca sentait bon l´intrigue...

le 24 nov. 2020

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