Le boludo, la prolo et De Niro

Un projet original et un début enthousiasmant

A l'heure où j'écris ces quelques lignes Nada n'est pas encore sorti en France mais est déjà un véritable succès en Argentine. Cette mini-série en 5 épisodes d'une trentaine de minutes, qui s'est offert le luxe d'attirer Robert De Niro himself, est un projet original ayant pour objectif de faire découvrir Buenos Aires, et en particulier sa gastronomie, aux yeux et aux palais du monde entier.

Au cours du premier épisode nous faisons la connaissance de Manuel, dandy porteño du troisième âge et célèbre critique culinaire doté d'un sens du cynisme assez exceptionnel.

Son histoire nous est contée par son ami étasunien Vincent (Robert De Niro), qui fait office de narrateur. L'intrigue est véritablement lancée lorsque la femme de chambre de Manuel a la bien fâcheuse idée de décéder, le contraignant ainsi à se débrouiller tout seul. Manuel ne sait absolument rien (nada) faire, et les péripéties du quotidien que doit affronter ce bourgeois incompétent sont souvent drôles.

De plus l'ensemble est plutôt réussi esthétiquement parlant avec une identité visuelle forte (aux couleurs vives notamment, s'accordant parfaitement au style dandy).

Une carte postale un peu vide

Dès le deuxième épisode le charme s'estompe progressivement et les jolis plans de la capitale argentine (et de sa somptueuse bouffe) sont vite ensevelis sous un amas de rien, ou de pas grand chose du moins. Les personnages deviennent vite lassants, même la légende hollywoodienne ne semble pas véritablement savoir ce qu'elle fait dans cette production, et l'intrigue perd de son intérêt.

En revanche le ton humoristique est quant à lui toujours au rendez-vous, et les scènes d'introduction où Vincent nous enseigne le vocabulaire et les expressions (pas toujours très catholiques) de la terre du Pape François sont très intéressantes.

Une certaine romantisation de la servitude

Outre les qualités et défauts brièvement évoqués ci-dessus, j'ai été particulièrement déçu par la représentation des rapports de domination socio-économiques dans cette œuvre. S'il s'agit avant tout d'une comédie, il est évident que cette mini-série a aussi l'intention (ou la prétention) d'être profonde en essayant d'être un reflet de la diversité culturelle et sociale de l'immense cité qu'est Buenos Aires. Mais une fois de plus, cela ne fonctionne pas vraiment.

Les rapports entre Manuel, octogénaire blanc issu d'un milieu très privilégié et sa nouvelle "femme de chambre" Antonia, immigrée paraguayenne de vingt ans venant d'un petit village pauvre sont pour le moins perturbants.

Antonia est entièrement dévouée et soumise à son nouveau patron, généralement de façon totalement absurde (mais malheureusement assez habituelle dans certains pays du continent) sans que cela ne soit remis en question au sein de l'œuvre. Pire, cette situation est romantisée, banalisée et traitée avec beaucoup de légèreté du genre "qu'elle est mignonne et disciplinée la petite immigrée quand elle se plie en quatre pour satisfaire aux exigences les plus excentriques de son patron, qui est un peu chiant, certes, mais qui lui offre tout de même un travail, qu'elle ne se plaigne pas" (ceci n'est pas une citation explicite de l'œuvre).

Les autres soucis de la série m'ont fatigué mais celui-ci me gêne beaucoup plus.

Cependant elle n'en demeure pas moins une œuvre assez intéressante pour tous ceux qui ne connaissent pas l'extraordinaire ville de Buenos Aires et qui n'ont pas eu la chance de goûter à ses succulentes parillas, ou qui aimeraient tout simplement y retourner le temps de cinq petits épisodes.