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Ça serait mentir de dire que je ne suis pas assommé. La tête dans l’oreiller, voilà une heure et demie que Normal People atteignit pour moi sa conclusion, et ses images et ses mots me reviennent dans la tête et dans l’âme inlassablement, à répétions, comme un tendre et dou(x)loureux album photo que l’on se surprendrais à feuilleter au hasard d’un soir solitaire, dans le manque amer d’une période singulière d’une vie lointaine. Lointaine dans le temps, peut-être, mais toujours à proximité du cœur.


Voilà presque deux ans que je n’ai pas écrit de critiques, et il me parait enfin évident que dans l’existence, il suffit toujours de se prendre une bonne grosse claque pour se parer du courage de concrétiser ses envies, et mettre en marche sa volonté jusqu’alors boiteuse. Pour ma part, les œuvres d’arts, et notamment celles qui touchent profondément l’ineffable qui réside en nous, savent tout aussi bien s’en charger que mes proches ou les drames.


Vous pardonnerez dès lors la boiterie de mon style, n’ayant pas pratiqué l’écriture depuis un bon moment. Mais les claques, ça fait revenir. Pour le meilleur ou le pire. Mais est-ce que je veux vraiment écrire cette « critique » d’ailleurs ? Je n’en suis pas tout à fait certain, mais je veux au moins adresser un remerciement. J’ai l’impression que ça se déroule toujours ainsi quand j’écris quoique ce soit en fait, une volonté animée par l’envie de dire merci. Des « mémoires », des poèmes, des pensées, des « critiques », pour moi en fait ce ne sont que des remerciements. Je veux dire merci pour m’avoir ébranlé le cœur, d’une manière ou d’une autre. C’est comme rendre grâce à l’univers de nous avoir paré au hasard d’un corps que l’on a pas demandé, et encore moins d’un cœur qui, trop souvent, nous trahi. Alors je vais dire merci. Une fois de plus, avec un peu de force. Un beau merci, surtout. Sinon, à quoi bon.


Allez, c’est parti.


J’ai regardé aucune série et même très peu de films en quelques mois pour être honnête, avalé par la distension du temps inhérent aux années passantes qui nous le vole sans vergogne. Je lui en veux terriblement d’ailleurs, à ce foutu Temps qui nous demande l’autorisation de rien, mais même si je le recherche chaque jour que Dieu fait, je ne le considère jamais comme perdu. Alors j’écris, et j’apprécie avant tout le peu de choses qu’il nous permet de ressentir.


Mes proches semblant me connaître davantage que je ne me connais (n’est ce pas ainsi pour tout le monde ?), on m’avait conseillé Normal People plusieurs fois sans jamais m’y risquer, têtu comme je peux l’être. J’aurais dû leur faire confiance encore plus tôt, car de quoi me serais-je privé alors ? D’un rêve, sans doute.


D’un rêve que je fais depuis longtemps, qu’il m’est arrivé quelques fois de vivre, et d’un rêve que j’ai toujours paradoxalement voulu rêver.


Normal People, c’est un peu le secret dévoilé de ceux qui rêvent d’amour, ceux qui l’ont vécu et ou perdu, et aussi de ceux qui avant tout espèrent le vivre tout en se gardant de le comprendre.


La vie m’a pris beaucoup de choses (c’est bien la perte qui nous réunit tous autant qu’on est), de l’abstrait comme du concret, et Normal People semble en quelque sorte me l’avoir rendu, en 12 épisodes d’une trentaine de minutes. Mais voilà, sans doute, ce que j’aime le plus du cinéma. Qu’il soit d’une heure et demi ou en 12 épisodes, il sait s’étendre en nous bien plus loin que ce que lui permet son format.


La vie m’a même fait croire que j’avais déjà tout vécu, et qu’elle n’avait plus rien à me faire découvrir, aimant d’un amour indicible tout ce que l’on m’a permis jusqu’ici d’admirer. Légitimement, je pense que l’on ne se croit jamais capable d’aimer comme on nous l’a déjà permis. Mais quelle erreur sans doute ! Et c’est bien Normal People, sous de très nombreuses façons, qui ne manqua pas de me le faire souligner.


Voilà quelques effets personnels divers qu’eut sur moi le visionnage de cette mini-série, et je ne fus apparemment pas le seul à être autant touché.


Parce que punaise, au-delà même de mon impression subjective, qu’est ce que c’est sacrément bien foutu !


De ma vie, en excluant le duo Murray/Johansson de Lost in Translation (merci encore Mme Coppola pour ce chef d’œuvre), je n’avais vu une telle osmose entre les deux acteurs principaux que sont Daisy Edgar-Jones et Paul Mescal, et il me semble évident de les acclamer pour leur interprétation. La justesse de leur performance ne fait qu’accentuer l’attachement que l’on porte à leurs personnages et le pouvoir d’identification que l’on peut ressentir vis à vis de leur histoire.


Puis qu’est ce que c’est beau bon sang. Photographie, réalisation qui se veut toujours plus empreinte d’une touchante intimité, précision des cadres et colorimétrie des plans permettant de mettre en exergue leurs émois et les passions qui les embra(s)sent ! La poésie est partout, dégoulinante sans jamais rien inonder d’autre que le dessous de nos yeux. Comme l’impression d’assister à un enchaînement d’haikus mis à l’écran. Chaque image s’ancre et fait couler la mienne : une course vaine dans un champ, l’isolement qu’exacerbe les grandes villes, la fusion de deux corps sombrant dans l’unité, le mal être qu’engendre une perte ou une absence (à soi, au monde ou aux autres), le lyrisme des retrouvailles, la fougue naïve des promenades près des vagues et en vélo, et avant tout les portraits de la solitude. Celle avec un grand s, qu’on ressent tous mais que l’on se garde bien d’exprimer autrement que par l’affection que l’on porte à ceux qui l’effacent.


Musicalement, au visionnage de Normal People, j’ai perçu la poésie de Nick Cave, la rage brisée de Jeff Buckley, les accords d’Elliott Smith, l’enfance des Suburbs d’Arcade Fire, et tant d’autres encore que je ne saurais pas nommer…


Ne se perdant pas dans d’innombrables dialogues prompts à nous éloigner de la cohérence de leur relation, nos deux protagonistes parlent toujours assez pour nous toucher en profondeur. Rigueur des paroles ponctuée à celui des silences, tout se dit ici comme dans un rythme que l’on entend entre eux à chacune de leur réunion. Un huis-clos ne s’est jamais senti aussi libre. Quant au scénario, risquant de sombrer à chaque moment dans un trop plein de mélodrame et de gavage émotionnel, il sait s’émanciper par le sage allongement (no spoil) de l’histoire sur plusieurs années. Ça reste logique, efficace et empli d’une inextinguible tendresse, si bien que l’on ne pourrait plus se passer de les voir grandir en même temps que grandit notre affection pour eux.


Car on se reconnaît en Marianne et Connell. C’est indéniable et souvent douloureux, mais bon sang que c’est enrichissant (non, ce n’est pas une définition douteuse de la vie). On voudrait rester pour toujours avec eux, suivre leur histoire comme on prendrait plaisir à suivre la nôtre. Mais ça s’arrête. Un peu trop vite même. Et pourtant ça reste dans la tête comme une emprise, et ce n’est pas parce qu’ici toutes les bonnes choses ont une fin, mais parce que ça s’arrête là où il faut. Et c’est d’autant plus parfait.


Et ça continuera. Pour eux, sans nous. Dans l’imaginaire. Ou dans ce qu’on pourrait retenir de cette histoire d’amour comme une autre, que l’on se plairait à vivre ou à ignorer. Mais il nous en reste, des choses à apprendre.


Est ce que Normal People a vraiment changé ma vie ? Non, pas vraiment. Mais d’une certaine manière, elle me l’a rendue. Elle m’a ramené au sentiment, m’a rappelé la beauté sans artifice que j’aime par dessus tout, et la transparence qu’offre la pureté des histoires où le cœur des êtres priment. Et dans ce cas, ça n’est pas pour le meilleur ou pour le pire, mais seulement pour le meilleur.


Oh que non, pauvre ami, il reste encore ici bas des milliers de choses à vivre, et plus d’un million à aimer. Et je remercie Normal People d’avoir su m’éclairer de l’évidence de ce fait, en plus d’être devenue sans aucun doute l’une de mes œuvres favorites au monde.


J’espère ne pas en faire trop. Je fais avec ce que j’ai.


Allez regarder Normal People, s’il vous plait. Et invitez moi aussi, tiens. Ça peut être au moins un bon moment pour certains, ou un très long pour d’autres.


Pour moi ce fut une véritable révélation. En fait, je pense avoir toujours rêvé de voir une œuvre comme Normal People. Elle me fit réaliser qu’on peut prendre de l’âge, certes, que l’insensibilité nous guète, mais que le romantisme ne se perd jamais vraiment.


Ah, et voilà une liste non exhaustive de mes réactions lors de mon visionnage des 12 épisodes :



  • j’ai pleuré quatre fois

  • J’ai sangloté une fois (bon ratio)

  • J’ai crié trois fois

  • J’ai soupiré de frustration au moins une quinzaine de fois

  • J’ai fumé 3 clopes durant l’épisode 8 (soit pratiquement toute la durée de l’épisode)

  • J’ai dis quatre fois « ça c’est mon gars sûr »

  • Pour suivre avec au moins 3 fois après : « mais punaise tu fais chier mec » (j’ai pas été aussi poli, c’est pour la forme)

    • j’ai hurlé cinq fois « Mais bouge-toi le cul !!! »

  • J’ai rongé mes ongles.

  • J’ai fais quelques pauses pendant les épisodes pour lire des poèmes des Méditations Poétiques de Lamartine, parce que hein, on est clichés jusqu’au bout ou on ne l’est pas

  • Et j’ai surtout réfléchi à si l’amour existait vraiment, si je l’avais vraiment vécu, si j’allais le vivre, pour finalement arriver à la conclusion qu’après tout je m’en foutais pas mal, qu’il n’y a pas beaucoup de remords dans la vie, et encore moins de regrets, et que je suis satisfais de l’avoir aperçu par intervalles chez ceux qui m’entourent et qui savent aimer éperdument.


Sur ces bonnes paroles, je vous remercie de m’avoir lu (mais faut d’abord remercier Normal People qui m’a permis d’aller aussi loin à vrai dire). On se revoit sans doute très vite ici ou ailleurs, et je finis sur cette merveilleuse phrase de Stendhal dans De l’Amour qui synthétise grandement ce que j’ai vraiment su comprendre de Normal People, après y avoir vu l’un des plus beaux poèmes qu’il m’ait été donné de vivre :



« J’étais petit avant d’aimer précisément parce que j’étais tenté
quelques fois de me trouver grand. »


Lafonthug
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le 16 mars 2022

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