Pour être libre
2.5
Pour être libre

Série TF1 (1997)

Avant toute chose, il est utile de préciser que "Pour être libre" est probablement le projet le plus ambitieux de Jean-Luc Azoulay, le Orson Welles de la production audiovisuelle inepte. Cette éphémère série est le symbole de son empire : parvenir à capter le pire de l'époque pour en faire un objet à regarder, à partager ou à vendre.


Grand gagnant du TF1 des années 90, par la grâce d'un juteux contrat avec la maison Bouygues, J.L.A est surtout un énorme bosseur. Alors on me dira "oui c'est facile, il fait de la merde". En effet, c'est de la merde, et c'est facile, mais il en fait beaucoup, il en fait une quantité colossale, une masse de travail dénuée d'âme qu'aucun être humain n'aurait été en mesure d'abattre ni même d'assumer devant un miroir : chansons de Dorothée et de ses esclaves lobotomisés par la coke, le pognon et la vague célébrité, séries par dizaines, scénarios par centaines, chaines de télé câblées, bref un empire du néant, des millions de dollars accumulés via l'exploitation de goitreux incompétents.


Transformer de la merde en or est un art, c'est également le fantasme de bon nombre d'escrocs. Peu y parviennent, ce Midas des Temps modernes l'a fait tranquillou dans sa forteresse de solitude de la Plaine Saint-Denis. Rien que pour cela, il mérite une forme de respect, celui qu'on doit aux mafieux grandiloquents qui peuplent les films de Scorsese.


Pour être riches et célèbres


En 97, son empire du programme jeunesse décérébré est en perte de vitesse. Il a décliné à outrance les séries autour de la famille Girard - ses Rougon-Macquart à lui - et ses gloires maisons n'intéressent plus grand monde. La vague Boys Band déferle et cible exclusivement son public de pucelles... il manque même de passer à côté, un comble.


Christophe Rippert ne sera jamais Elvis, mais JLA a l'opportunité de lancer les nouveaux Beatles. Ou les nouveaux World Apart du moins, pour lui c'est la même chose dans le fond, des types qui déclenchent les premiers émois adolescents. Pour cela pas besoin d'être profond, ou intelligent. Il faut être beau, présentable, jeune et ne pas faire l'apologie de la drogue.


Avec sa collaboratrice Arianne Carletti, ils entreprennent de raconter l'histoire véridique de ce boys band français originaire de la banlieue de Longjumeau. Trois potes qui se rencontrent au lycée, tous férus de breakdance, de coupes au gel et de phrases mal construites. De quoi sceller une amitié pour la vie, et nourrir l'imaginaire d'un vieux scénariste sans scrupules.


Homo-érotisme Pasolinien, et austérité iranienne.


JLA restitue l'ennui banlieusard avec la même intransigeance que les cinéastes iraniens. Il ne se passe rien dans les épisodes, car il ne se passait rien dans leur vie. Entraînements à la salle de gym de la MJC, discussions anodines sur la taille des pectoraux, sur la couleur des yeux de telle voisine, ou sur les problèmes de pression des pneus de la twingo de Mr Bellefeuille... Au regard de la désincarnation totale des personnages et de l'absence d'acting des 3 gus, il y a fort à parier qu'un Bresson aurait adoré les 40 épisodes de l'unique saison du show... une saison à 40 épisodes vous vous rendez compte ?!


Filip, la tête pensante du groupe, décrit la ville de son adolescence comme une "banlieue pourrie". Il n'y a pas grand chose à faire là-bas, à part pratiquer un sport, draguer les filles, aller en boite et se dro... non pas se droguer. Sinon cela ressemble bigrement à ce que raconte Jarvis Cocker de sa ville de Sheffield. Filip Nikolic est le plus charismatique des 3 breakdancers, il a une voix de fausset quand il s'écrie cinq fois pas épisode "Non mais j'halluuuuccciiiinnne !", il se montre dragueur, impulsif mais il faut lui reconnaître un bon fond. Si vous permettez un parallèle franchement abusif avec le cinéma italien, Filip c'est Gassman dans le Fanfaron. Un dragueur invétéré, nombriliste et farceur. Celui qui lui trouve un air de Cristiano Ronaldo avec la pudeur d'un ange de la téléréalité n'aura pas tort non plus.


Franck est un type effacé et pudique (ah... ce jeu des contrastes vous le devez à Monsieur Azoulay !). C'est le side-kick de Filip, quand ça chauffe avec les loubards du café d'en face, c'est le premier à donner des coups de chaussons de danse à des types trois fois plus gros que lui. Il est enfermé dans une relation toxique avec Aurélie, une pète couille de compétition (intello évidemment) qui fait régner une abstinence sexuelle au sein du couple. Si vous me permettez un parallèle franchement abusif avec le cinéma italien, Franck c'est Mastroiani dans le Bel Antonio. Couilles pleines et regard de cocker.


Adel est aussi effacé que Franck. Son jeu est mystérieux, très difficile à déchiffrer Adel, il flirte avec l'expressionnisme. Il a toujours une sorte de sourire un peu crispé au coin des lèvres, on ne sait pas s'il lutte contre un fou rire ou s'il va craquer nerveusement et insulter la terre entière (surtout quand Laplace lui demande de finir d'installer un carburateur alors qu'il a une répète).


A ce stade nous sommes obligés de mentionner Monsieur Laplace, un personnage important du sitcom. Patron d'Adel, il incarne la grandeur de la France éternelle qui refuse les préjugés et sait reconnaître la valeur du travail bien fait. Il se prend d'amitié pour Adel, ensemble ils entretiennent une relation filiale basée sur la confiance, le respect et les filtres à huiles. Un binôme qui n'est pas sans rappeler Gabin et Delon dans "deux hommes dans la ville".


A noter la constante ambiguïté sexuelle qui règne entre les 3 amis, la faute aux scènes de douches et aux viriles accolades après un pas de dance réalisé parfaitement. Si vous permettez un parallèle franchement abu... Bref Pasolini quoi.


Toubifri sana in corpore sano


Il est souvent question de douches dans les épisodes, il y a en moyenne une scène par épisode (parfois deux quand les copines du trio font du sport de leur côté). N'allez pas y voir la moindre malice racoleuse, simplement une pure logique dans la narration. Les 2 be 3 sont des sportifs, ok ? Ils s'entraînent, et donc transpirent.


Par voie de conséquence ils se douchent ensuite ! Ça permet de grappiller des minutes de remplissage, mais ça nous donne une belle occasion de rentrer dans la psyché des personnages. Ce sont des gros d'hygiénistes ces gars-là. Et si les ados - réputés crades - des années 90 sont passés sous le jet d'eau plus facilement, c'est peut-être à eux qu'on le doit. Non je déconne, c'est évidemment un prétexte pour filmer ces jeunes gens musclés et nus sous toutes les coutures.


On pourrait dire qu'Azoulay participe à l'éveil de la sexualité chez une génération d'adolescentes. Bon le problème étant qu'il fait naître une passion chez certaines filles pour des types limités capables de faire des exercices de gainage pendant 4 heures sans s'emmerder une seconde. Azoulay a toujours été dans le culte du corps, comme s'il se méfiait de l'esprit.


Cela se confirme en examinant les figures intellectuelles dans ses séries. Des freaks maigrelets avec des grosses têtes et des ptits corps, des binoclards toujours puceaux et peu amusants chez les garçons. Des emmerdeuses frigides ou des pots à tabac frustrées chez les filles. Jean-Luc a quelque chose à faire payer au cerveau, des années lycée difficiles ? Un complexe intellectuel ? Toujours est-il qu'il a imaginé un royaume où les imbéciles sont rois. Une idiocracy idyllique où les derniers de la classe courent se réfugier après les cours.


On pourrait penser que la série ronronne et se contente de brasser des thématiques peu sulfureuses. Il n'en est rien. Certains fléaux de la société sont abordés sans le moindre complexe : le racisme, le drame du chômage, la dénonciation des conditions de vie en univers carcéral, l'ultra violence dans le milieu de la production artistique et en exagérant on peut même voir une forme rétroactive de dénonciation (involontaire) du harcèlement de rue avec ce porc de Filip.


"Pour être libre" est un objet ahurissant, une escroquerie sublime qui semble constamment improvisée, c'est dans tous les cas une oeuvre symbolique du créateur d'AB prod.

Negreanu
10
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le 16 déc. 2018

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Negreanu

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