Aimez-vous Brahms...

Drama de An Pan Seok, également à l'origine du très touchant Something in the Rain, Secret Affair raconte l'histoire de la rencontre entre un prodige du piano d'à peine vingt ans, Lee Son Jae, et d'une professeure de piano à la tête d'une prestigieuse fondation artistique sud-coréenne, de vingt ans son aînée, Oh Hye Won.

On retrouve dans ce drama plusieurs des éléments qui m'avaient fait adorer la romance entre les deux personnages de Something in the Rain, à savoir la différence d'âge entre les deux protagonistes (la femme étant bien plus âgée que l'homme), la différence de classe sociale, une héroïne de caractère qui se retrouve néanmoins broyée par un emploi qui la dégrade constamment, l'attirance quasi-magnétique de l'un pour l'autre et le côté très réaliste du suivi de l'intrigue, qui donne à l'ensemble de la série un aspect très crédible et poignant. Avec cependant quelques différences non négligeables : l'héroïne, Oh Hye Won, est mariée, ce qui ajoute un côté immoral à la relation qu'elle entretient avec Lee Sun Jae sur un plan éthique ; le héros, Lee Sun Jae, est issu d'un milieu difficile, duquel son talent exceptionnel au piano lui a permis de s'extirper, avec l'aide du mari de Oh Hye Won, qui décide au début de le prendre sous son aile et d'en faire son protégé.

Oh Hye Won, malheureuse dans son mariage et dans son travail, où elle n'est que le pion d'une hiérarchie familiale qui cherche uniquement à préserver ses propres intérêts, va trouver dans le génie de Lee Sun Jae un catalyseur de ses sentiments en déperdition. Lee Sun Jae, novice en amour, tombe profondément amoureux de cette femme pure et sincère que personne ne considère pour ce qu'elle est réellement.

C'est dans ce contexte que va naître leur relation interdite (jusqu'en 2015, en effet, l'adultère était encore passible de prison en Corée du Sud, et la série est sortie un an avant l'abolition de cette loi), immorale mais s'imposant pourtant rapidement à l'un comme l'autre comme une évidence. L'intrigue se déroule au sein du monde de la musique classique dans la haute société sud-coréenne, et offre donc des moments d'émotion intense, au rythme des mélodies de Schubert, Mozart, Liszt et bien d'autres. Une émotion renforcée par la qualité de l'interprétation de ces morceaux, et de leur intégration parfaite au jeu des acteurs principaux. La musique n'est pas traitée comme un élément secondaire du récit ; au contraire, elle est placée en son centre, et constitue le moteur de toute l'histoire. C'est elle qui matérialise les sentiments d'un Lee Sun Jae souvent poussé au mutisme par un monde dont il se sent en décalage absolu. C'est dans le piano qu'il trouve le moyen de s'exprimer pleinement et sincèrement, sans devoir se conformer aux règles qui lui sont imposées par des cadres sociaux qu'il ne comprend pas, ou plutôt qu'il se refuse à comprendre.

Cette finesse dans l'écriture de la psychologie des personnages est une marque de fabrique des dramas d'An Pan Seok, tout comme l'est sa grande sensibilité dans la façon qu'il a de filmer ses acteurs, avec pudeur et délicatesse comme avec passion et fougue quand il le faut. Les plans sont longs et posés (parfois un peu trop), la mise en scène est minimaliste, le grain de peau des personnages est quasiment laissé à l'état brut. Le tout contribue à rendre la série réaliste et crédible, car elle ne s'attarde que sur les points qui importent au traitement de l'intrigue. Si l'on ajoute à cela la façon dont la musique est abordée, avec une idée de mélodrame jamais poussée à l'excès, on obtient une atmosphère qui tient vraiment du suranné par moments, comme lorsqu'il est fait référence aux pianistes du XXe ou même du XIXe siècle et à leurs trajectoires de vie heurtées ou tragiques (Sviatoslav Richter, Schumann...). Le gros point positif de tout cela c'est qu'en plus ça ne tombe jamais dans l'intellectualisation forcée ou excessive ; au contraire, il y a un réel talent dans la manière dont l'histoire d'amour entre les deux héros est conjuguée avec la musique et son histoire. Cette réussite de l'écriture profite à des acteurs dont le jeu est quasiment sans faute (Yu Ah In notamment, j'ai trouvé Kim Hee Ae plus inconstante, en particulier vers la fin), y compris et surtout du côté des personnages secondaires, lesquels sont tous intéressants (comme dans Something in the Rain, à nouveau...).

Les points négatifs de la série sont à trouver du côté du rythme, qui est lent (ce n'est pas pour me déplaire, l'aspect "contemplatif" lorsqu'il est maîtrisé fait son effet chez moi), parfois à un niveau un peu trop poussé à l'extrême. En outre, l'intrigue qui se développe autour de l'affaire de corruption qui touche à la fondation des arts est d'après moi trop complexe et m'a rapidement perdu sous des renseignements et des retournements de situation souvent abscons (mais la barrière de la langue et des sous-titres doit y être pour quelque chose).

Cela n'empêche pas de faire de Secret Affair un k-drama vraiment à part, et une fois encore je répète que le talent d'An Pan Seok à l'écriture et à la réalisation y est pour beaucoup : le monsieur sait vraiment y faire avec le traitement des sentiments à l'écran et leurs rapports à la société sud-coréenne contemporaine. L'ensemble est sublimé par la place centrale qui est laissée à la musique et aux compositions d'artistes classiques, soutenues par une bande originale aux compositions de très grande qualité (j'y ai retrouvé des tonalités de Scriabine). On en ressort avec une leçon de vie des plus subtiles et intenses, qui ne vient pas forcément de qui on aurait pu l'attendre...