L'autre jour, j'ai regardé les deux premières minutes des quelques épisodes qui traînent sur Youtube, et j'ai tellement hurlé de rire que mon voisin est venu sonner à ma porte pour me demander de me taire.

Le paroxysme avait été atteint, je crois, lorsque l'on découvre une Marie-Antoinette paniquée, fardée comme une bimbo de supermarché et éclairée par des chandeliers halogènes trois mille watts, en train de détacher les zirconiums de ses bijoux pour les confier à son amant, un bellâtre ténébreux sans grand intérêt, qui parvient tout juste à s'enfuir de la salle tout dorée par la porte toute dorée avant qu'une bande de quatre paysans en guenilles bien repassées et armés de fourches n'ayant jamais connu la terre fasse irruption en proférant des menaces de mort. Rien ne manque à cette délectable reconstitution, ni les caractères héroïques ("Ma place est ici, je ne peux pas m'enfuir"), ni l'enjeu ("les joyaux de Marie-Antoinette", c'est le titre), ni l'indice qui révélera au spectateur la clef de l'énigme bien avant que Sydney elle-même ne mette la main (le téton ?) dessus.

Sydney Fox l'aventurière, c'est une série brillante, parfaite, délicieuse. Grâce, tout d'abord, à un trio digne des plus grandes épopées, aux personnalités bien définies :
- Sydney, la bombasse en cuir moulant qui maîtrise le kung-fu et sait faire voler les pistolets des mains des méchants d'un coup de talon bien senti (à l'instar de MacGyver, elle omet toujours de les ramasser par la suite, les laissant à la portée desdits méchants lorsqu'ils se réveillent ; sans doute ses valeurs l'empêchent-elles de s'abaisser à porter une arme à feu, vulgaire par essence). Détail intéressant : Sydney a couché avec tous les mâles hétérosexuels de la planète.
- Niegel, le traducteur polyglotte qui sait déchiffrer dans le fin fond d'une grotte sans lumière aux parois visqueuses les quatre lignes du dialecte qu'utilisèrent, durant trois ans seulement, et uniquement pour s'échanger des poèmes cochons, les moines du temple de Blombourkhan-sur-Gartempe. Détail intéressant : Niegel n'a jamais couché avec Sydney, donc Niegel est gay. Même s'il prétend le contraire. Il se ment, c'est évident.
- Claudia, la secrétaire blonde (donc stupide) qui ne pense qu'à se limer les ongles et à appeler Niegel dans les situations les plus critiques, lorsqu'il est au fond d'une prison médiévale en train de déchiffrer en silence (les méchants sont derrière la colonne) l'alphabet cunéiforme de la culture de Suse IV qu'un templier dyslexique a recopié avec d'horribles fautes de grammaire. Détail intéressant : Claudia rêve de coucher avec tous les mâles hétérosexuels de la planète. Mais pas avec Neigel, ce qui est bien une preuve de plus.

À ce trio impeccable s'ajoutent les personnages les plus fantasques et les plus incroyables nés de l'imagination de l'Homme :
- Le gentil qui devient méchant mais qui est en fait gentil parce que ce sont les méchants (les vrais) qui l'ont forcé à être méchant, promis je le jure (un par épisode).
- Les prêtresses folles de la déesse Bastet en bikini doré qui vénèrent des statuettes aux yeux qui s'allument (pratiques pour lire dans le noir) (une par saison).
- Les mafieux avides de pouvoir et d'argent qui ne rêvent que d'enrichir leur collection personnelle au détriment du musée de Trinity (où enseigne Sydney, et qui doit contenir à peu près la totalité des trésors de l'Humanité, si on en croit la série) (trois par saison).
- Les milliardaires psychopathes dont l'unique quête depuis vingt ans est de retrouver l'emplacement du diamant magique qui, pilé en poudre, mélangé au sang de quatre coqs noirs et appliqué en cataplasme matin, midi et soir leur conférera l'immortalité (rien que ça) (il est à noter que Niegel, grâce à sa connaissance approfondie du vieil araméen, retrouve l'emplacement en une minute vingt-sept) (trois par saison).
- Les gardiens du diamant sus-cité, revenus tout droit de l'époque amarnienne et n'ayant eu pour toute lecture depuis trois mille cinq-cents ans qu'un catalogue très approximatif des tendances de la mode féminine des années 1890, dans lequel ils ont visiblement puisé toute leur inspiration vestimentaire (deux par saison).
- Les rivaux de Sydney, professeurs d'archéologie et de physique nucléaire, aventuriers sans scrupule, pilleurs de tombes au torse velu, anciens amants égarés depuis leur rupture dans les bras de trop de femmes de mauvaise vie (un par épisode).
- Les hommes de mains de tous ceux-ci, japonais, chinois, coréens, égyptiens, français, mexicains, italiens, hongrois, anglais, transylvaniens, brésiliens, campeurs, alpinistes, montreurs d'ours, avaleurs de sabres, guides touristiques, incrédules, badauds, chalands, cuisiniers, fakirs, mentalistes, éleveurs de poules, fornicateurs, prêcheurs, stylistes, photographes, forgerons, transsexuels, nymphomanes, gamins et autres transformistes engagés, qui se couchent par terre dès qu'ils sont touchés (une quarantaine par épisode).

Tout ce beau monde évolue sur une planète à la profondeur historique vertigineuse, dans de folles courses-poursuites qui les emmènent de San Antonio à Tokyo en moins de vingt minutes (il suffit de changer à Châtelet), où tout le monde parle un anglais parfait (avec une pointe d'accent, tout de même, ça fait typique) et où l'on arrive à dégoter un déguisement de danseuse du ventre trapéziste (idéal pour infiltrer la soirée mondaine de l'ambassadeur fourbe qui recherche la lance de cobalt de Long-Long) dans le premier restaurant de ramen venu.

En bref, Sydney Fox c'est une ode à l'histoire de l'art, un manifeste à l'érudition et un panégyrique de l'archéologie. J'admire avec la plus grande des sincérités la manière dont scénaristes, accessoiristes, décorateurs et metteurs en scène parviennent à montrer exactement ce que le spectateur s'attend à voir quand on lui dit que l'action se déroulera en Chine, en Inde, au Tibet, au Mexique, en France, au Gabon, au Japon, en Russie ou au Nevada. Cette maîtrise de la représentation mentale collective est époustouflante, même si elle est donc extraordinairement cocasse pour ceux qui savent qu'au milieu du troisième millénaire avant Jésus-Christ, les palais chinois ne ressemblaient pas à la Cité Interdite. Cocasse et rafraîchissante.
Anonymus
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le 21 janv. 2011

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Anonymus

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