The Americans
7.3
The Americans

Série FX (2013)

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Pourquoi "The Americans" est l'une des meilleures séries de la décennie

"Je n’arrive pas à comprendre que si peu de personnes soient obsédées par cette série. (...) Il y a tout ce que j’aime dedans : de l’espionnage, de la romance, des perruques affreuses et des courses-poursuites rythmées par Fleetwood Mac." Pour le magazine Vice, comme pour la plupart des critiques américains, la faible popularité de The Americans est un mystère. Boudée tant par le grand public que par les Emmy Awards (les Oscars de la télévision), cette série, dont la diffusion s’est achevée au printemps, est pourtant à ranger aux côtés des chefs-d’œuvre du genre, comme Mad Men ou Breaking Bad.


Lundi 17 septembre 2018, à Los Angeles (Californie), The Americans aura une ultime occasion de prouver qu’elle est une des séries majeures de la décennie en concourant pour le plus prestigieux Emmy (ses deux interprètes principaux sont également en lice dans leur catégorie respective) : celui de la meilleure série dramatique. Ce prix, amplement mérité, récompenserait enfin une œuvre qui a su tenir en haleine son public pendant cinq ans – une prouesse à l’ère du binge watching – avant de tirer sa révérence dans un series finale (un dernier épisode) magistral.


Une histoire folle (qui s’inspire de l’Histoire)


Pour vous en convaincre, il faut remonter trois ans avant la première diffusion du pilote de la série. En 2010, le FBI révèle avoir démasqué dix "illégaux", des agents russes du SVR, le service de renseignement russe (anciennement KGB), installés aux Etats-Unis et se faisant passer pour des citoyens américains grâce à de fausses identités. C’est de cette incroyable révélation, et plus particulièrement de l’histoire rocambolesque – racontée par Le Monde – d’un des couples arrêtés, qu’est née l’idée de The Americans. "Le président de Dreamworks m’a appelé et m’a demandé si je voulais réfléchir à une série qui s'inspirerait de cette histoire", raconte Joe Weisberg à Télérama. Cet ancien collaborateur de la CIA, reconverti en scénariste, connaît bien le KGB et les méthodes des espions russes. Très vite, il décide de raconter une histoire similaire, mais en la transposant en pleine guerre froide, sous Ronald Reagan, une période "qui reste encore fascinante pour les Américains", selon lui.


Aidé du scénariste Joel Fields, il invente les Jennings, un couple d’agents dormants, activés au début des années 1980. Nés en URSS, Nadezhda et Mischa ont été, très jeunes, recrutés et entraînés par le KGB, puis envoyés dans les années 1960 sous de fausses identités aux Etats-Unis. Là-bas, ils deviennent Elizabeth et Philip Jennings, un couple d’Américains apparemment ordinaires qui s’installe dans une paisible zone pavillonnaire près de Washington et y fonde une famille. Le jour, ils élèvent leurs deux enfants, Paige et Henry (nés de leur union sur le sol américain pour renforcer leur couverture), tout en dirigeant une agence de voyage. La nuit, ils endossent une de leurs multiples identités.


A coups de perruques et autres accessoires, ils se métamorphosent pour remplir les missions que leur assigne leur agent de liaison. Leur quotidien : collecter des informations, débaucher des taupes, mais également éliminer tous les potentiels ennemis de l’URSS (et ils sont nombreux à avoir trépassé, comme le rappelle Vulture). Pour pimenter cette histoire déjà folle, les scénaristes créent le personnage de Stan Beeman, un agent du FBI qui vient s’installer juste de l’autre côté de la rue où vit le couple, et qui va se lier d’amitié avec les Jennings, en particulier Philip.


Une série d’espionnage, mais pas seulement


Cette étrange dualité des époux, qui surfent entre convocations au collège et assassinats sordides, est une des clés de la réussite de The Americans, mélange parfait entre le thriller d’espionnage et le drame familial. Car, au-delà des missions d'infiltration, la série dépeint les relations d'un couple formé artificiellement, peu à peu confronté aux affres du quotidien et à l’ambivalence de ses sentiments, d’abord dictés par le sens du devoir avant d’évoluer vers un véritable amour.


*"Ce qui fait que The Americans est une des grandes séries de l’âge d’or de la télévision, c’est qu’elle ne parle pas juste d’espions. Tout comme Les Soprano n’est pas vraiment une série sur la mafia, Mad Men une série sur la publicité et Six Feet Under une série sur les enterrements. (…) Comme beaucoup d’autres grandes séries dramatiques, The Americans parle de la famille et de la difficulté à s’affirmer en tant qu’individu, surtout lorsque l’on doit sacrifier une part de son identité pour le bien commun"*, explique The Guardian.


Des déguisements et des hommes


Pour accomplir leur devoir, les époux Jennings ne reculent devant rien. Véritables pros de l’infiltration, ils ont à leur disposition un impressionnant dressing dans lequel ils puisent pour endosser de multiples identités. Leur talent : s'inventer des vies pour en détruire d’autres. Parmi les personnages récurrents incarnés par le couple, on a une tendresse particulière pour Clark, joué par Philip pendant cinq saisons. Pourtant affublé d’une perruque ridicule, il séduit puis "épouse" Martha, une secrétaire de la CIA qu’il convainc d’installer un micro espion dans le bureau de son patron. Twitter manifestera même son empathie pour cette pauvre femme à travers le hashtag #PoorMartha.


Ces incroyables panoplies (de la costumière Katie Irish), typiques des années 1980, ont contribué à l’originalité de la série. Cent vingt tenues différentes ont ainsi été créées pour le couple durant les six saisons, rappelle le site Racked tandis que Vulture s’est amusé à recenser toutes les perruques portées dans la première saison. Si le procédé peut sembler un peu grossier, il n’en est pas moins exact : les déguisements sont toujours utilisés par les services secrets du monde entier, avec plus ou moins de succès, comme nous le racontions dans cet article.


L’identité au cœur du récit


Cette question de l’identité, matérialisée par des déguisements parfois risibles, est au cœur de la série. Bien qu'ils soient russes, Elizabeth et Philip se sont parfaitement intégrés dans la société américaine. Au fil des saisons, la brutalité des missions qu’on leur impose sans explication remet en question leur engagement pour une nation dont ils se sont éloignés. Moins endoctriné qu’Elizabeth, Philip, tellement largué qu’il se perd un temps dans des conférences de développement personnel, (attention, spoiler) raccroche même à la fin de la cinquième saison pour se consacrer (sans succès) à la direction de son agence de voyage. Le constat est sans appel : s’il a finalement succombé aux sirènes du capitalisme, Philip était plus doué pour espionner que pour gérer une entreprise.


"'The Americans' nous confronte aux idéaux de ses personnages, aussi bien aux rêves de capitalisme qu’aux rêves de socialisme, et nous aide, peut-être, à réfléchir à un équilibre qui n’a pas encore été trouvé."
Joel Fields, scénariste à Télérama


Quant à leurs enfants, dont on suit plus ou moins l’adolescence, ils ne savent, au moins au début de la série, rien des origines ni des activités parallèles de leurs parents. De lourds secrets qui deviendront de plus en plus difficiles à préserver au fil du temps (les soupçons de Paige, la fille aînée, débutent dès la fin de la première saison).


Toute la force de The Americans est là. Les missions de renseignement, de soutien ou de déstabilisation des Etats-Unis sont finalement accessoires. Elles ne sont que le prétexte à explorer d’autres problématiques, spirituelles, psychologiques, et à provoquer de l’empathie chez le spectateur.


Une histoire d’amour hors normes


Dès le pilote, on comprend en une scène ce qui se joue pour ce couple factice. "Tu es ma femme !" lance Philip à Elizabeth qui le repousse alors qu’il tente de l’embrasser. Cette dernière, cinglante, lui répond un "Vraiment ?" qui brise toute tentative de rapprochement. Au fil des saisons, les époux vont tour à tour s’observer, se rapprocher, s’ouvrir l’un à l’autre, s’éloigner à nouveau mais, surtout, apprendre à s’aimer.


"Le mariage de façade entre Elizabeth et Philip a laissé place à une intimité timide tout en non-dits, sans cesse contrariée par des missions où la séduction des sources est de mise", décrypte Constance Jamet, spécialiste séries au Figaro. Et pourtant, jamais un couple ne nous aura paru aussi solide et sincère.


Des acteurs éblouissants et un scénario subtil


Cette extraordinaire alchimie entre les deux acteurs principaux, Keri Russell et Matthew Rhys, est évidemment à mettre au crédit de leur talent. Mais le directeur de casting avait sûrement eu le nez creux. Quelques mois après le début de la diffusion de la première saison, l’actrice annonce son divorce avant d’officialiser quelques mois plus tard sa relation avec son partenaire dans The Americans. Le couple, aussi complice à la ville qu’à l’écran, a depuis donné naissance à un enfant.


Et si Matthew Rhys (aperçu auparavant dans la sympathique série Brothers and Sisters) incarne à la perfection un Philip plus perméable qu’Elizabeth (certains diront plus humain), submergé régulièrement par le doute, c’est la performance de Keri Russell (surtout connue jusqu’alors pour son rôle dans la série Felicity) qui marque le spectateur dès les premières minutes du pilote. Séductrice diabolique, glaçante et sauvage, elle incarne la parfaite anti-héroïne, la "tough one", comme elle le déclarait lors d’une conférence au festival d’Austin en juin dernier. Egalement nommée dans la catégorie meilleure actrice dans une série dramatique, elle mériterait amplement de succéder à une autre Elisabeth, Moss, récompensée l’an dernier pour son rôle dans The Handmaid’s Tale et encore en lice cette année.


Le jeu extraordinaire des acteurs est, en outre, porté par un scénario d’une rare subtilité. Sans manichéisme, Joe Weisberg et Joel Fields décryptent la guerre froide en y ajoutant le recul apporté par notre époque. Car, comme l’écrit le New York Times, *"The Americans a toujours baigné dans la mélancolie, en partie à cause de son cadre historique. On sait depuis le début qu’Elizabeth et Philip se battent pour une cause perdue."*


Fleetwood Mac, Peter Gabriel, The Cure…


La bande-son impeccable est pour beaucoup dans cette ambiance si singulière. Deux morceaux fleuves résument l’importance de la musique dans The Americans. Le chamanique Tusk de Fleetwood Mac, qui rythme la première course-poursuite de la série, quelques minutes après le début du pilote. Et le déchirant Brothers In Arms de Dire Straits, au moment où nos anti-héros scellent leur destin lors du splendide series finale.


Entre les deux, c’est le meilleur des années 1980 : quelques morceaux (parmi les moins commerciaux) de Peter Gabriel, Elton John, Phil Collins, The Cure, Bauhaus, Crowded House ou encore Leonard Cohen ont cristallisé les plus belles scènes de la série. Une sélection fidèle à l’esprit exigeant qui a été celui des showrunners pendant six saisons.


Excellente de bout en bout, The Americans a su, comme d’autres grandes séries avant elle (Six Feet Under, dont le series finale reste légendaire, mais aussi Les Soprano ou Breaking Bad), terminer avec panache. Le 30 mai dernier, l’aventure des Jennings a pris fin de manière aussi éprouvante qu'éblouissante. Après 71 épisodes où l’on a craint pour leur vie ou leur couverture, Elizabeth et Philip ont mis fin au suspense lent dans lequel le spectateur était enveloppé depuis cinq ans.


"Comme beaucoup d’entre vous, The Americans vont me manquer", écrivait Barack Obama sur Facebook le 16 juin, quelques jours après la diffusion de cet ultime épisode. Faire le deuil d’une grande série n’est jamais chose aisée mais, on doit l’avouer, quelques mois après, pour moi, c’est toujours aussi compliqué.


Article publié sur franceinfo.fr.

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le 17 sept. 2018

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Elodie Nelson

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