MATRICE



Véritable Hunter S. Thompson du jeu vidéo rétro, The Angry Video Game Nerd n’est ni plus ni moins que la matrice de nos Joueur du Grenier et Benzaie nationaux, qui leur a donné les clefs d’une video game success story. Alors que le JDG en a carrément dupliqué la recette consistant à " rager " devant un jeu vidéo aussi vieux que mauvais (et c’est d’ailleurs là son inspiration première et revendiquée, comme il l'a indiqué en dessous de son premier test, Benzaie en a plus indirectement emprunté la manière quelque peu grivoise et fun d’appréhender les jeux, ainsi que l’esprit geek " hardcore " fait de consoles et autres accessoires associés (il a fait ses débuts en 2006-2007 avec les Games you might don’t Know chez Screwattack.com, la fanbase de l’AVGN " qui est directement devenu (son) héros ", avant de poursuivre sur le site That Guy With The Glasses du Nostalgia Critic avec entre-autres ses incroyables GameFap, pour finalement se concentrer sur la France).


Il leur a également tous deux montré que faire une review n’était pas incompatible avec une dose d’effets spéciaux et de scénarisation hors-jeu pour appuyer le propos tout en le rendant divertissant, que c’était peut être au contraire ce qui contribuait le mieux à se bâtir un univers et à l’ancrer progressivement dans la tête des internautes. Les adaptations filmiques d’AVGN et du Hard Corner viennent de ce point de vue consacrer la vocation narrative de leurs épisodes et rendre central un semblant de scénarisation marginal mais densifié vidéo après vidéo.



HAINE




J'ai fait les deux premières vidéos d'Angry Nitendo Nerd en mai 2004. Elles n'étaient alors destinées qu'à être qu'une blague entre mes amis et moi. Je ne savais pas que la nostalgie du retro gaming montait à ce point. Je ne pensais pas que quiconque puisse seulement comprendre ce que j'étais en train de faire. Toute l'ironie consistait à critiquer un jeu vieux de presque 20 ans et à s'en agacer. Genre, pourquoi quiconque se sentirait concerné par ces vieux jeux, ou même s'en souviendrait? Mais aussi surprenant que ça puisse paraître, cela a pris des proportions bien plus importantes que je ne pouvais l'imaginer.



(http://411mania.com/games/411-mania-games-exclusive-an-interview-with-the-angry-video-game-nerd/). Mais comment la genèse d’une telle recette pouvait elle venir d’ailleurs que d'un des berceaux du jeu vidéo, au pays outre-Atlantique de tous les excès où l’insulte et la régression sont élevées au rang de culture à part entière, au pinacle d’une société parfois infantile et infantilisée à l’extrême ?



J'ai lâché quelques injures au début, uniquement car je pensais avoir besoin de bien faire comprendre à quel point le Nerd est énervé. Mais les fans n'ont cessé de pousser dans ce sens, je suis donc allé de plus en plus loin avec ça. Tout le monde pensait que c'était hilarant. Je n'aurais jamais pu deviner que cela deviendrait un tel trait de caractère.



Guère étonnant que la transposition française incarnée par le JDG ait tout de même due être plus subtilement adaptée : chemise hawaïenne, accent du sud, un propos relativement moins pipi - caca… Ne fais pas du pur James Rofle qui veut et où il veut. Qu’à cela ne tienne, aux Etats-Unis comme en France, le créneau " haine et retro gaming " était à prendre et a su trouver son public avec le succès qu’on connait.



AMOUR



Ce que j’apprécie particulièrement dans cette web série, c’est l‘amour du jeu vidéo qui transpire paradoxalement de tous les pores de notre fulminant AVGN. D’un double contre-pied à la fois temporel (parler de retro gaming en 2006, date de la première vidéo) et critique (se concentrer exclusivement sur ce que le jeu vidéo a de mauvais), il a jeté avec fureur un pavé dans la mare un peu trop lisse de la presse vidéoludique, et quand bien même son discours est en soi négatif, le public ainsi rencontré auquel il a su toucher l’âme de gamer prouve la justesse de son double discours : haïr -ou du moins prétendre haïr- UN jeu vidéo c’est souvent aimer ce même jeu, et c'est surtout aimer LE jeu vidéo. Un simple regard sur sa collection de jeux et autres accessoires NES lève le voile sur le culte qu’il voue à la console, omniprésente et centrale dans son propos.


C’est cette passion débordante à peine dissimulée derrière le poids de la frustration de joueur et derrière le flot des immondices verbales qui le rend si touchant et au fond crédible dans ses diatribes monologuées : un jeu est mauvais avant tout en ce qu’il s’inclut dans la grande famille des jeux vidéo, ses ancêtres, ses modèles et ses échecs. Le Nerd fait souvent mention des références vidéoludiques auxquelles un tel mauvais jeu a sans doute voulu s’inspirer, sans parler des innombrables références faites à la pop culture des années 70/80, déjà à l’époque parfois allègrement bafouée et piétinée par l’opportunisme éditorial des sociétés de jeu vidéo.


Plus globalement, le Nerd nous rappelle que se tourner vers des mauvais jeux est parfois tout aussi importants dans un parcours de gamer que vers des classiques, ne serait-ce que pour mieux pouvoir apprécier la qualité de ces derniers. Qui n’a pas de souvenirs passionnés d’une relation sulfureuse entretenue avec un jeu épouvantable qu'on adore détester / déteste adorer? C’est aussi sur cette corde que tire AVGN, qui lui même affirme à propos de Castelvania 2 : Simon's Quest :



Je me souviendrais toujours du jour où je l'ai acheté à Toys R Us, il y a longtemps, et ces moments sont des bons souvenirs. Mais vous savez quoi? Ce jeu craint. C'est une relation d'amour/haine.




PERSONNAGE



Enfin, AVGN c’est bien évidemment un personnage qui en tant que tel surjoue parfois ses réactions fulmineuses, mais le fond reste quant à lui toujours bel et bien authentique :



Ouai, tout cela est un spectacle. Les gens semblent totalement apprécier cela, et c'est ce qui compte vraiment pour moi. C'est vrai que j'exagère beaucoup de choses, mais ça s'inspire de la réalité.



Un personnage d'autant plus attachant qu’il reste flexible et modulable, et donc "éternel" : alors que le Nerd joue exceptionnellement à l'excellent jeu que constitue Super Mario Bros. 3 sur NES, il parvient encore à partir dans un trip colérique contre ce qu’il voit comme un véritable complot démoniaque habilement distillé dans le jeu, auquel s’ensuit un très court remake de l'Exorciste, puis l’arrivée fracassante dans sa chambre d’un montage kitch d'un Jésus - Robocop venu l’épauler… un régal. Comme une synthèse, un internaute commente alors :



Cet épisode est la preuve que l'AVGN n'a pas besoin de jouer à des mauvais jeux. Ceux ci doivent juste contenir quelque chose d'irritant, mais qui n'est pas nécessairement mauvais.



Le meilleur étant pour un épisode récent consacré aux jeux réalisés en l’honneur de l’AVGN, comble de la consécration pour le Nerd qui décide de les jouer avec la même consternation rageuse, alors qu’on devine le bonheur que posséder une telle communauté de fan peut pourtant représenter à ses yeux. Il restera quoi qu’il arrive dans son personnage, soit la meilleure façon de retourner l’hommage qui lui est ainsi rendu, de la même façon qu’incendier les mauvais jeux rétro a été sa manière bien à lui de rendre un bien bel hommage au jeu vidéo, qui lui (et nous) a tant donné.

DoubleRaimbault
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le 8 déc. 2014

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