Ces dernières années, les dystopies sont devenues plus qu'un genre, une formule éditoriale pour la littérature des "jeunes adultes" dont le succès a entraîné une déferlante, par feedback, sur le cinéma et le télé ( The hunger games, etc...). Comme presque tout le reste de la science fiction et de l'anticipation (courant dans lequel s'inscrit The Handmaid's tale), les dystopies permettent de réfléchir à notre présent en se projetant dans "ce qui pourrait être". Mais, à la différence du reste de la SF, les Dystopies radicalisent ces évolutions. Si cela permet de rendre le phénomène mieux observable, c'est un exercice d'autant plus délicat qu'il questionne la crédibilité.


D'une part, les dystopies réussies : celles ou l'ordre social est légitimé par les individus eux-mêmes: son instauration doit moins à un parti de "méchants" qu'a une conclusion de nos propres tendances.
Par excellence, on trouve dans cette catégorie le Meilleur des mondes, qui par définition est aussi une utopie (ambiguë selon le sous titre du livre). Elle ne tient pas par la force, mais par l'adhésion volontaire de ses membres qui sont persuadés d'avoir effectivement mis au point la meilleure société possible. Les trois saisons de Black Miroir déclinent le principe de façon magistrale, autour de l'utilisation des nouvelles technologies. Bienvenue à Gattaca s'inscrit également dans ces univers ou la rébellion armes a la main n'a pas de sens. Même s'il triche, le personnage utilise le système de valeurs dominants.


On reconnait en général ce type de "bonnes" dystopies à ce que les protagonistes n'ont pas de discours "anti-système". Bien au contraire, on est souvent dans un "noir" ou ils essaient de "faire avec". Soleil Vert, avec son flic corrompu et ripoux, en est un bon exemple.


Malheureusement, il semble que la dystopie-mania actuelle a de toutes autres racines. Plus proches du 1984 d'Orwell, on les reconnait à ce que la cause de ce qui a mal tourné est incarnée dans un groupe de facheux et que ceux ci règnent presque toujours par la force. Les protagonistes y sont donc des sortes de Che-Gueverra luttant pour la restauration de la "bonne" société": la nôtre.


Le propos n'est évidemment pas le même: il est manichéen et ne fait que nous confirmer sur le fait que nous vivons dans le "bon" monde. A la limite, il est réactionnaire.


The Hunger games en fait partie. Et malheureusement, malgré ses qualités, The Handmaid Tales semble tomber plutôt dans cette catégorie. Des méchants ont pris le pouvoir et régent par la force. il suffirait de taper plus fort que eux pour rétablir le cours "normal" des choses.


On comprend que le succès de ce type de dystopie repose sur l'utilisation d'un ressort identitaire puissant : les méchants pas comme nous ont triomphé et ont imposé leurs vues. Le pas dans l'imaginaire sert à exalter des valeurs mais appauvrit encore le complexité, et donc la réflexion, sinon le débat..


C'est dommage, car sur le thème de la "gestion de la fécondité" il y aurait eut beaucoup plus intéressant à faire. Le deux ex machina de sa raréfaction étant posé comme aiguillon, on aurait pu par exemple imaginer un monde ou elle est totalement prise en charge par les technologies bio-médicales, hors du corps des femmes, et poser la question de jusqu’où des identités sexuées peuvent exister sans (aucun) rapport avec leur dimension biologique.Mais ça ne procure pas facilement de bons conflits. Et ça ne caresse pas dans le sens du poil.


Ou plus pernicieux, trouver comment le virage régressif se met en place de lui-même (et par les femmes elles-mêmes). Dans l'actualité, les féministes d'un certain age (Isabelle Bandinter en tête) sont déjà consternées sinon critiques à l'égard de succès social du "maternage" et autres "hyper-mamans" qui, volontairement, en reviennent jusqu'au lavage de couches non jetables.


La critique était toute trouvée : dans une société ou le maternage - avec les meilleures intentions du monde et suite au déclin de la fécondité - est devenu l’idéal et la norme, une femme est tentée par la déviance....


Sur ces questions, au delà des dystopies et de la littérature blanche, la SF "classique" a pourtant bien des perles. Que l'on pense au monde hermaphrodite de "La main gauche de la nuit" ou, plus proche du sujet, "La Question de Seggri. Dans cette nouvelle, on découvre une société ou les hommes, ne représentant que 10 % de la population, sont cantonnés aux fonctions de reproduction et exclus de facto la sphère politique et professionnelle. L'arrivée des humains sur cette planète leur permet de "guérir" cette dysmétrie des naissances, ce qui, au fur et à mesure de la progression du nombre des hommes vers la parité, fait craquer l'ordre social. Une excellente métaphore de vous savez quoi.


Bref, The handmaid's tale semble être une occasion manquée, malgré ses ambitions et ses qualités. C'est certainement une série correcte, mais pas une bonne dystopie.

Maitresinh
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le 27 juil. 2017

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