True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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En seulement huit épisodes, True Detective aura fait couler beaucoup d’encre, en tout cas plus que celui qui noircit les pages de son scénario épuré. Si c’est d’abord la tournure étonnante de la carrière de Matthew McConaughey qui aura amené du monde devant l’écran, il faut avouer qu’elle a ensuite su les garder car elle dépassait d’assez loin le retour à la lumière d’une seule de ses figures. Alors c’est vrai que la troupe des séries policières monomaniaques qui pullulent sur les écrans avaient de quoi rendre rendre dubitatif quant à une nouvelle histoire de détectives, HBO ou non, mais, d’emblée, le superbe générique composé par le studio Elastic nous promet qu’on ne sera pas devant l’énième Experts à Miami, Manhattan…

On pourra d’ailleurs se satisfaire de l’élégance de la série en général, une ambiance pesante et glauque typique des bayous de Louisiane (du moins celle montrée dans les films…) que Cary Fukunaga, le partenaire réalisateur de Pizzolatto, aura su balayer avec une lenteur contemplative dont les séries policières ne sont pas vraiment coutumières. Une patience dans la réalisation qui ne fait que mieux mettre en valeur les rares fulgurances ; on pense évidemment au fameux plan séquence qui conclut le quatrième épisode de la série, où tension et brutalité de l’action côtoient une minutie de mise en scène impressionnante que ce soit dans le déplacement de la caméra, celui des personnages, ou la chorégraphie parfaite qui combine ce double-jeu de mouvements. « Double-jeu », tel pourrait bien être le sous-titre d’une œuvre qui aura poussé la dualité jusqu’à une binarité schizophrénique. Très vite, on passe du duo de policier à une double personnalité de chacun d’eux dont les tourments intimes viennent se mêler à l’enquête, parfois en l’éclairant, souvent en la troublant, mais sans la bouleverser totalement comme on aurait pu le penser (et l’espérer) à mi-parcours.

Beaucoup commenté, et moqué parfois, la série adopte un ton auteurisant qui semble chercher l’absolu dans les choses les plus simples, si bien que la complexité de l’intrigue que promettent les premiers épisodes est délaissée au profit d’échanges métaphysiques qui constituent une bonne partie des conversations entre Marty Hart et Rust Cohle. Des deux détectives, c’est d’ailleurs l’esprit torturé du second qui porte clairement cette identité accolée à True Detective. Sa figure complexe et sa trajectoire chaotique donnent la mesure à l’enquête toute entière qui, soumise à ses coups de génie comme à la menace perpétuelle de son implosion, promet davantage de nouvelles questions qu’elle n’amènera de réponses. A mesure qu’on avance dans cette Louisiane brumeuse et ravagée, on s’enfonce dans l’esprit de Cohle, si bien qu’on finit par voir l’environnement extérieur comme le paysage mental du détective — ses hallucinations prennent forme à travers la nature, les oiseaux notamment. D’ailleurs, comme lui, l’enquête s’abîme dans des considérations surnaturelles où les devil’s trap (les chasseurs de rêves, grigris laissés sur les lieux de crime) seraient les symboles d’une tentative d’appropriation de cet irrationnel, mais dont le sens nous fuirait toujours.

Pas si anecdotique si l’on considère que toute la série s’est construite sur un tropisme mystique, une obsession qu’elle finit par abandonner comme une désillusion, comme un désenchantement, une sécularisation en accélérée. Il n’y a qu’à voir comment la fin de l’enquête dégonfle la piste surnaturelle construite sur des indices qui ne sont finalement le fruit que de notre emballement face à l’étrange mais qui ne portent rien en eux de magique. Le virage rationnel que prend True Detective dans ses derniers épisodes peut nourrir à la fois le doute quant à la faisabilité d’une quête policière et mystique en huit épisodes, mais peut également se voir comme une rupture volontairement déceptive qui ramènerait le spectateur devant la froideur du réalisme, où toute transcendance n’est jamais, à un degré plus ou moins élevé, qu’un fétichisme, qu’un délire dont on pourchasserait sans cesse une interprétation qui n’a d’origine que nous. Cependant, le season finale ne tranche pas et nous laisse devant une ambiguïté assez inattendue quant à la volonté des réalisateurs, sans doute pour ne fermer ni une piste, ni l’autre, et faire de True Detective elle-même, un objet de mystères et de fantasmes.

Mais tout le sérieux et la noirceur de True Detective ne l’empêche pas de s’offrir des instants plus détendus, et comme c’est dans l’humour qu’on lit le mieux l’intelligence, il faut le reconnaître à la série. Avec subtilité, Pizzolatto s’amuse des schémas archétypaux du policier et le fameux « good cop, bad cop » qu’induirait le premier épisode, s’inverse puis se brouille si bien qu’on ne peut analyser leurs trajectoires personnelles et communes sous cette simple grille dont la série finit par se moquer ouvertement durant l’interview de Marty Hart lorsque celui-ci essaie de deviner lequel des deux enquêteurs en train de l’interroger est le « bad cop » — l’ironie est délicieuse. L’occasion d’ailleurs de dire du bien d’un Woody Harrelson transfiguré qui offre un pendant terre-à-terre parfait au lyrique et envoûtant Mattew McConaughey.

Un duo qui, aussi saisissant soit-il, ne sera pas reconduit pour la deuxième saison, le choix ayant été fait de ne garder que le concept et varier les acteurs, les lieux, etc. Alors qu’on annonce déjà Brad Pitt pour la prochaine édition, l’hystérie générale autour de la série ne fait vraisemblablement que commencer.
Heisenberg
8
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le 11 avr. 2014

Critique lue 1.2K fois

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Heisenberg

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