Years and Years
7.7
Years and Years

Série BBC One (2019)

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Ca partait pourtant bien.
En illustrant, dans le premier épisode, à quel point la scène politique internationale est par essence fragile, et combien il est facile de basculer dans le chaos, Years and Years capte instantanément notre attention. La montée des populismes, la démagogie politique, les dérives des tensions sociales, la série semble de prime abord en parler si bien qu'on fait vite abstraction du reste.


Et par reste, je fais bien sûr allusion à la famille Lyons, qui va nous servir, six épisodes durant, de prisme pour témoigner de ce futur peu radieux. Car cette famille a tout de même quelque chose qui sonne un peu faux. Comment dire... Comment appelez vous une gentille petite famille anglaise bien soudée, qui vraisemblablement vit dans l'opulence financière mais soutient dur comme fer le parti travailliste, et se compose pêle-mêle d'un couple interracial avec deux enfants métisses, d'un couple homosexuel masculin, d'un couple homosexuel féminin, d'un petit asiatique adopté (qui se révèlera transgenre), et d'une handicapée en chaise roulante ? Personnellement, j'appelle ça une publicité Benetton. Autrement dit, une façon particulièrement malhonnête de cocher toutes les cases de l'inclusion sociale pour s'attirer les bonnes grâces du public et se rendre inattaquable sous peine d'être étiqueté comme oppresseur.
Mais comme je le disais, j'ai d'abord fait abstraction de tout ça. Car accordant à la série le bénéfice du doute, je me suis dit naïvement que c'était peut-être là un moyen de gratter le vernis pour révéler l'artificialité derrière les postures idéologiques de ces bobos.


Puis les premiers épisodes passent. Peu à peu, il s'avère que cette histoire a finalement très peu de choses à dire sur le monde de demain et ses grandes tendances idéologiques, et préfère se focaliser sur les petites priorités nombrilistes de ses protagonistes. Et la série de muter alors en simili-Plus Belle La Vie, où est question tour à tour de ramener un immigré renvoyé en Ukraine dont s'est entiché l'un, d'une crise financière dont les seules répercussions sociales apparentes sont la perte d'emplois de deux membres de la famille, des pérégrinations hasardeuses d'une ado vers le transhumanisme, d'enterrer (ou plutôt dissoudre) un papa mort après avoir été éraflé par un vélo, d'un adultère, de lancer un food-truck, le tout entre quelques repas de famille.
Et la politique pendant ce temps-là ? Réduite à une toile de fond faite de montages succins de JT internationaux qui nous présentent des gouvernements de plus en plus autoritaires, des peuples de plus en plus nationalistes, et Emma Thompson en version british de Trump qui séduit les foules à base de discours simplistes et de raccourcis idéologiques.


Tout ça pourrait ne pas être si grave. Après tout, on a beau se faire berner après un premier épisode qui semblait annoncer un ton beaucoup plus osé et ambitieux, si le projet de ses créateurs est de faire de leur série une chronique un peu naïve sur fond de dystopie facile, pourquoi pas.
Le problème, c'est que Russell T Davies, à l'œuvre derrière ce simulacre, est persuadé d'avoir des idées politiques. Et qu'il entend bien les distiller ici.


Et la vision du monde que défend cette série se dévoile lentement derrière ses nombreux choix.
D'abord avec le sujet des migrants, dont il ne faut à aucun moment questionner le véritable enjeu de la gestion et de l'accueil, mais dont le traitement binaire consiste à montrer des méchants oppresseurs qui les parquent en camps de concentration tandis que ces derniers veulent juste survivre.
Avec le libéralisme, dont tous les personnages sont des contributeurs bienheureux mais qui, à aucun moment ne remettent profondément en cause sa légitimité, car ça serait questionner leur confort de vie. On préfère ici pointer du doigt des petites inégalités de façades, en trouvant plutôt cool de se transhumaniser. Après tout, c'est pas comme si les géants du web étaient à l'origine même d'un système globalisé qui asphyxie les plus pauvres et creuse toujours plus d'inégalités.
Et je ne parle même pas du champ idéologique de la politique, qui est balayé d'un sublime revers de main par un sentencieux "Au bout d'un moment, l'extrême-gauche et l'extrême-droite ça se rejoint". C'est tellement plus simple d'amalgamer tous les projets politiques derrière la bannière du fascisme que de se questionner sur les origines réelles des idées.


Mais le tour de force absolu de cette série, son sommet de dégueulasserie idéologique, c'est ce passe-passe fabuleux par lequel n'importe quelle minorité sociale devient par essence même une victime des méchants fascistes majoritaires.
Être gay ? C'est se faire harceler par les gouvernements autoritaires. Être migrant ? C'est être la cible préférée des méchants policiers et des politiques qui complotent dans l'ombre. Être noir ? C'est risquer de se faire cocu par son mari blanc avec une blanche (oui, apparemment, c'est un problème qu'elle soit blanche, puisque cette information semble écœurer la jeune Bethany). Être pauvre ? C'est devenir la victime privilégiée de représentants de l'ordre qui se cachent derrière des grilles pour les insulter et les railler.


En rendant le monde et ses enjeux manichéens et binaires, en définissant les individus selon un schéma basique et universel d'oppressés/oppresseurs, Years and Years réussit à annihiler tout débat de fond, à empêcher de questionner les influences et les valeurs des individus indépendamment de ce qu'ils sont censés représenter dans la société.
Il n'est dès lors même plus question de comprendre d'où viennent les problèmes et quelles sont des idées qui séparent les gens, mais simplement les étiqueter avec d'un côté ceux qui se battent pour le bien, et de l'autre ceux qui font le mal.


Cette vision binaire de la société, c'est exactement celle qui a conduit à la montée des populismes et à l'élection de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis. A toujours pointer du doigt les méchants sans comprendre les raisons profondes de la fracture sociale, à désigner les oppresseurs en leur retirant tout droit de réponse, ce pays s'est divisé en deux blocs plus ennemis que jamais. Avec d'un côté les néo-progressistes, imposant leur regard sur le monde sans contrepoint comme une nouvelle forme de fascisme, et de l'autre côté, des conservateurs qui par réaction deviennent toujours plus radicaux et haineux. Et au milieu de tout ça, les modérés se taisent, disparaissent lentement dans l'ombre, de peur d'être amalgamés à un camp ou à l'autre au moindre pas de travers.


Years and Years apporte sa pierre à l'édifice de cet effondrement intellectuel. Et c'est d'autant plus risible et comique qu'elle se présente en surface comme une pourfendeuse, un brulot contre les dérives autoritaires. Mais en confortant les spectateurs amorphes dans leur bien-pensance rassurante, elle fait tout l'inverse : elle participe à former les nouveaux fascistes de demain.

ANOZER
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le 24 nov. 2020

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