41
7.9
41

Album de Swell (1994)

Avec le temps qui passe, on se rend compte sans trop savoir pourquoi qu'il y a quelques disques vers lesquels on revient sans cesse.


41, le troisième album studio du trio originaire de San Francisco Swell, fait clairement partie de ceux-là. Enregistré en 1993 dans un studio situé à Tenderloin, alors encore considéré comme un quartier interlope de la ville californienne, cet album s'articule à partir de fragments de bruits du quotidien (sonnerie de téléphone, discussions, clameur d'une fête foraine, etc.) s'entremêlant autour de chansons à l'intensité rare et à la tristesse infinie.


Il faut dire que David Freel, chanteur et guitariste du groupe, semble habité par une mélancolie indéfectible, sa voix ténébreuse, ses textes souvent désabusés et son jeu de guitare faussement apaisé (on n'est tout de même jamais à l'abri d'un riff qui vous prend à la gorge comme par surprise) sont autant d'éléments qui rendent l'univers de cet opus à la fois mystérieux et hypnotique. Ajouté à cela l'apport non négligeable, voire même essentiel des parties de batterie complexes jouées par Sean Kirkpatrick qui, comme par magie, arrive à les rendre presque lo-fi (basse fidélité) à l'oreille, un peu comme si les micros avaient capté les répétitions du groupe, comme si le décor de la pièce où ces chansons ont été enregistrées était là devant nous.


Mais pourquoi revenir constamment vers ce disque à l'allure simpliste et brute de décoffrage ?


Sans doute parce que le son de cet album n'a pas ou peu d'équivalent. Pourtant à la même époque des groupes comme les Red House Painters, menés par un autre torturé notoire, le très ténébreux Mark Kozelek, mais aussi les groupes Idaho de Jeff Martin ou encore American Music Club de Mark Eitzel, arpentaient les mêmes chemins de traverse brumeux et suffocants où spectres et autres démons jonchaient des terres arides meurtries de blessures encore fraîches et purulentes.


Mais ce qui fait de 41 un disque à part, c'est sans doute son côté énigmatique, ces sonorités captant le pouls de la ville, de ce qu'on arrive à peine à deviner de ce décor hanté, de cet univers qu'on nous laisse imaginer à partir de cette simple photographie ornant la pochette de l'album : un escalier que l'on monte et qui donne déjà le vertige. D'ailleurs, les premières secondes du disque, sur une première plage au titre explicite (« In the Door, up the Stairs »), durant lesquelles on peut entendre les murmures de la ville, des clés que l'on agite, une porte grinçante qui daigne s'ouvrir et une personne qui monte un étage avec, au loin, les premiers accords de guitare du disque, illustrent parfaitement cette image d'un univers qui reste à découvrir.


Situé au centre de la photographie qui illustre cet article, le 41 de Swell (disque n°626 de ma collection, acheté le lundi 6 juin 1994 : je viens de me rappeler qu'à l'époque j'indiquais au crayon et en tout petit ce type d'infos « essentielles » à l'intérieur de la pochette du CD) semble déjà hors du temps, comme figé en apesanteur sans qu'on puisse à aucun moment s'en saisir, et pourtant il sera encore et encore écouté, jusqu'à la lie, sans en comprendre la ou les raisons, même plus de 30 ans après sa sortie.

DavidMennessier
10
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le 7 févr. 2024

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