Il est des rencontres que rien ne destine.
Il est des associations si improbables que leur évocation hérisse la nuque du moins sceptique.
Des aberrations condamnées d'avance.
Affirmant cela, l'image de l'atroce Lulu s'affiche au premier plan.
Juste en retrait, louvoyant comme si de rien n'était, il y a Pornophonique et sa musique dont l'ambition affichée - dès le titre même de ce premier opus - est d'imbriquer en un tout qui se veut cohérent un rock électro-acoustique et les bandes-son bruitistes de nos chères consoles vidéoludiques 8-bits.
L'utopie a tout du fantasme geek.
Il serait fou d'en attendre plus que la déconnade réglementaire.
Il serait fou d'y voir autre chose qu'une marade bonne-enfant pour dimanches matins comateux.
Une fois n'est pas coutume, les fous auront raison.
8-bit lagerfeuer passe comme un éclair, une tornade dévastatrice de préjugés.
Les premières implémentations acoustiques, décuplant l'impact du bit roi, et ce chant impeccablement placé comme une cerise sur ce gâteau numérique effondrent en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "sad robot" les idées bêtement reçues. Tandis que l'interjection fuse, imparable :
"Mais ça le fait! "
Et même que c'est beau et pas gnangnan pour un sou.
Le secret vite éventé réside, non dans quelque virtuosité particulière - elle serait l'exacte antithèse du concept initial - mais dans un soucis maniaque du détail et une audace de tous les instants. Ici un arpège des plus anodins enrobe ce tut-tut fantasque. Ici le chant clair, privé de tout artifice électronique offre le contraste parfait au bruitage d'époque. Ici encore, une brusque attaque saturée fait voler en éclat le paisible solo 8-bitien.
Une affaire d'opposés qui s'attirent irrémédiablement comme la nature ne cesse de le prouver. Il suffisait d'ouvrir les yeux. 8-bit lagerfeuer se veut ainsi un manifeste simplissime, à portée de tous, de la toute puissance des petits riens du quotidien, des évidences jamais dites.
La bêtise y est reine mais il s'agit bel et bien de cette bêtise raisonnée, acquise au prix de longues heures de contemplation du monde et de l'espèce humaine posée dessus. Une bêtise revendiquée. Contre tous, contre tout. Un bouclier fait de négligence et d'humour face aux tourments du quotidien.
Une immense métaphore aussi peu subtile qu'essentielle.
Impossible de ne pas voir dans les tourments du "sad robot" (all alone), les questionnements de son géniteur. Impossible de ne pas tiquer alors que notre héros du jour réclame une "extra-life" à grand renfort de "bonus coins" tintinnabulants. Impossible encore de ne pas s'attendrir de la complainte "I want to be a machine", appel au secours imparable.
Un regard compatissant posé sur les misères de l'espèce humaine, le regard de celui qui prend l'infime recul nécessaire à l'observation de ses pairs sans pour autant quitter le bouillon originel et son cri de détresse alors qu'irrémédiablement il voit s'enfuir ce qu'il chérissait et tenait pour acquis, alors qu'il se reconnaît de moins en moins dans la société qui le vit naître, qu'il se sent comme un "space invader" parmi les siens.
Pornophonique, drapé de sa toute-puissante désinvolture, porte son message humaniste sans ciller. Et s'offre même le luxe d'une montée en puissance maîtrisée de bout en bout, des premiers émois robotiques au fédérateur "Rock'n'roll hall of fame", bâtissant de ce fait un album entitaire au cheminement philosophique clairement identifiable.
Un nouvel éloge de la folie, né des cendres encore chaudes du XXème siècle et fermement ancré dans le XXIème.