★
7.6

Album de David Bowie (2016)

(Your) love is like the wind, and wild is the wind

"[…] elle avait les yeux pers". A la fin de cette phrase dictée par ma prof de français en 5ème, et face à notre incrédulité, cette dernière ajoutait "ou on peut dire qu’elle avait des yeux vairons". Face à notre incapacité à orthographier et à comprendre les deux termes, elle tenta de nous éclairer un peu plus en nous donnant un exemple "[…]…tiens, David Bowie". Fin du cours. Sur un bon vieux Packard-Bell et à l’aide d’une connexion 56 K, mon écran en mode "balayage" laisse apparaître le visage de David Bowie. Petite recherche Lycos (sic) et recherche sur sa discographie, forcément LE titre de l’artiste me fait tilter… "ah mais c’est celui qui chante Let’s Dance ! Mais bien sûr que je connais"…


Janvier 2016, sur le quai d’un métro francilien. Dans l’attente d’une rame et "accompagnée" de la voix intimant les passagers à demeurer "attentif ensemble", mon regard se pose de l’autre côté du quai. Et là apparaît sur une affiche son portrait de profil. Ultime ironie : le matin, comme "tout le monde" j’apprenais sa disparition. Et pourtant la promotion de son nouvel opus bat son plein, comme en témoigne les affiches jonchant ce quai.


Entre les deux me diriez-vous beaucoup de temps et de choses. D’abord, à mon inscription sur ce site, face à ma méconnaissance abyssale d’un genre musical pourtant magnifié, promesse fut faite d’explorer sa discographie. La raison est simple : outre le pedigree de l’artiste, quelque chose a toujours attisé ma curiosité. Avec du recul, forcément l’analyse est plus que cristalline. Il y a en premier lieu l’image. Pas que la promotion de ce dernier album donc. Mais ce soin particulier à se mettre en scène. A se mettre en image. Quelque chose qui transcende quelque peu les orientations sexuelles et qui lie l’artiste aux termes classe, soigné, magnétique. A rebours d’une génération d’artiste qui a fait de l’occupation de l’espace médiatique une maxime, David Bowie faisait de ses apparitions un rendez-vous scruté, attendu et ardemment espéré.


Du coup, Blackstar ne déroge pas aux canons imposés par David Bowie tout le long de sa discographie. Sons cliniques, petite gourmandise (le saxophone), claustrer cette tentation de ne se résumer qu’à du rock dandy/britannique, accompagner le tout d’une mise en image à la hauteur de cette créativité. Alors oui, débat il y a sur ces nombreux virages pris dans la deuxième partie de sa carrière mais c’est ce qui rend le parcours initiatique encore plus savoureux : honnir l’indifférence, fouler des territoires musicaux et s’en imprégner, provoquer (l’ire comme l’admiration) de son auditoire, bref être intemporel sans le revendiquer, être méticuleux sans que cela puisse desservir le résultat final.


La disparition de l’artiste aurait presque tendance à "desservir" le CD. Outre le concert de louange, l’émotion suscitée a presque eu tendance à créer un consensus autour de son ultime galette. Jadis en perdition, décontenançant ses fans par ce surplus d’électro et cet abandon (criminel ?) du rock, Blackstar serait donc un coup de maître. Qui sait si cette entreprise de réhabilitation participera à mettre en avant des titres tels que "Telling Lies", "Something in the air" ou "Teenage Wildlife".


Finalement, Blackstar et la discographie de David Bowie renvoient aux fondements de SensCritique : apprécier, déprécier, découvrir, nourrir ses tympans mais aussi jauger sans vouer automatiquement aux gémonies les tours et détours pris par un artiste. Acceptation, tolérance, indulgence, complaisance…soit autant de termes convergeant vers un point, tant lors de la découverte d’œuvres sur ce site qu’au moment de refermer la discographie de David Bowie, le décloisonnement de la culture en l’occurrence. Avec un premier album sorti en 1967, David Bowie n’a pas que résisté à l’épreuve du temps. Il a su s’essayer à des "genres", se réinventer, se redéfinir, se brûler pour mieux renaître. C’est ce qui paraît un peu dommage avec le battage autour de Blackstar. L’évaluation est presque biaisée par le décès de l’artiste retirant tout le panache et le mérite de l’artiste à sans cesse proposer des albums voguant dans des contrées mélodiques vastes et oniriques. Et bien au-delà des disques, des décennies, subsiste cette malice de l'artiste à orchestrer des retours comme des morceaux improbables, à fédérer autour de lui guitariste et autre artiste de génie (de Rodgers en passant par Lennon). A déplacer sur le terrain de l'absurde les "modèles" ardemment vendus, défendus (rayer la mention inutile) par les pontes de l'industrie musicale: oui un artiste musical peut se définir comme inclassable, oui un artiste peut faire une tournée sans forcément promouvoir un album. Et donc d'incarner cette catégorie d'artiste ayant participé à l'amélioration, le décloisonnement de la musique. Le tout bien sûr avec élégance, irrévérence...et amour!

RaZom
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le 22 févr. 2016

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RaZom

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