Anders Leben!?
8.2
Anders Leben!?

Album de Yage (2003)

Vivre autrement!
Exclamation sous forme d'appel à l'action, affirmation de l'existence d'une alternative, invitation à exister pleinement dans celle-ci.
Vivre autrement?
Interrogation sous forme de questionnement de ces alternatives, du monde et de soi-même; perception des contradictions inhérentes à toute forme d'action.

C'est au carrefour de ces deux réflexions que nous laisse Yage avec son dernier album au titre évocateur : Anders leben !? ("Vivre autrement !?"). C'est peut-être également le fait d'être arrivé à ce moment de la vie où, malgré des convictions et une envie toujours présentes, l'on ne sait comment continuer, qui aura poussé le groupe à stopper ici l'aventure, tout en continuant à s'investir en tant que personnes (labels, ...). Toujours est-il que Yage nous livre ici son ultime disque, testament d'une carrière, point final d'une oeuvre émotive et personnelle, sincère et passionnée.
Dès les premières secondes, on reconnaît la touche du groupe: guitares alambiquées, mélodiques, rythmique qui nous guide, chant plaintif tantôt écorché tantôt plus clair. La force d'immersion de la musique de Yage est intacte, les allemands ont toujours cette propension à nous rendre à la fois triste et heureux. Plus posé, plus abouti, peut-être tout simplement plus mature que leurs efforts précédents, ce Anders leben!? possède toutefois ce côté direct de l'emo du milieu des années 90 (avec toute l'écurie du label Ebulition notamment).
Pourtant, malgré ces références, la musique des allemands est aussi résolument moderne: les riffs hypnotiques mélancoliques lorgnant du côté d'un City of Caterpillar qui aurait raccourci ses morceaux les plus longs laissent place à un mur de son qui nous renverrait plutôt aux japonais d'Envy, avec des sonorités et une production bien plus brutes néanmoins. Et tout comme ces deux groupes, Yage sait calmer le jeu afin de nous mener au summum de l'émotion par la suite avec des montées en puissance qui font mouche.
Tous les morceaux suivent le modus operandi de l'emo en nous servant la panoplie complète du style: passages en chant clair, chant hurlé, spoken words, explosions et accalmies... Et surtout, chaque titre est un petit chef d'oeuvre parfaitement composé. Sur « We lost beauty » ou « Leben leben », Yage nous enrobe progressivement avec cette rythmique répétitive sur fond de superposition progressive des lignes mélodiques jusqu'à nous mener au paroxysme de l'émotion. Mais la musique est portée avant tout par ce tumulte guitaristique transcendantal, cet enchevêtrement de mélodies mélancoliques que nous assènent ces 12 cordes tout au long de cet album. Des morceaux comme "128", "Lange Lügenbeine" ou "Anderes Leben" illustrent parfaitement cette symbiose entre les deux guitares qui confère un aspect proche du post-rock à certains titres, d'autant plus que les vocalises se trouvent quelque fois mises en retrait. Quant aux paroles, tour à tour écrites en allemand ou en anglais, elles illustrent parfaitement les côtés désabusés ("Situations are like cells") ou "mélancoliquement vindicatifs" de la musique, comme sur ce "Leben leben", appel désespéré à vivre une "vraie vie" et questionnement du sens de celle-ci ("Que devient-on alors ?"). Enfin, quelque fois, l'espoir surgit au détour d'un morceau, le temps d'un riff ("Save the fear slave"), illustrant le kaléidoscope d'émotions que renferme cette musique.

Cités souvent comme l'un des fers de lance du screamo avec Envy, Yage partage avec nos Japonais ce talent du songwriting, l'art de laisser respirer le morceau afin qu'il dévoile toute sa saveur, l'intelligence de caler le bon break au bon moment. Loin, bien loin de pas mal de groupes actuels incorporant de plus en plus d'éléments « metal » dans leur musique, Yage reste fidèle à l'esprit plus punk, plus DIY de la vague emo du milieu des années 90 et ce Anders leben !? se pose comme l'un des mètres étalon du genre. Bref, Yage termine sa carrière sans fausse note, sur cet album de grande classe, à découvrir ou à redécouvrir en versant une larme sur cet ultime recueil.
R.I.P.
Chinaski
9
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le 3 janv. 2012

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