Cet album est un peu particulier en son genre. Il se pose quelque part entre le manifeste musical et un éloquent exercice de style. Particulièrement pointilleux de bout en bout, jamais Brain Damage n'aura été aussi juste. Malgré des qualités évidentes qui en auraient déjà fait un excellent album, on retient surtout son côté démonstratif et teigneux. Car Ashes to Ashes - Dub to Dub est un album d'une insolence formidable.


Les cinq premiers morceaux composent le matériau originel. Ils sont en soi un voyage lumineux à travers une musique reggae qui s'étale au gré de rythmiques roots jusqu'aux sonorités plus furieuses et urbaines. Musique à la fois d'hier et d'aujourd'hui, chaque morceau fait le lien avec ses voisins au travers d'une fresque en cinq actes. En ouverture et fermeture de ce pentaptyque, Black Sifichi, spoken word artist, sublime de son timbre quasi mystique les valeurs contemporaines de l'oeuvre, garant de la cohésion artistique assumée par Brain Damage. Dans l'entre-deux, Learoy Green se fait griot d'un style plus conventionnel. Un reggae d'hier, sobre et thématique, néanmoins savamment twisté par la technique irréprochable du groupe qui cherche à injecter ses balades de modernité tout en respectant les traditions.


Tout ceci aurait déjà été suffisant en soi, mais c'aurait été sans compter sur la seconde partie de l'album, qui est une version de la première. Le mot dub se justifie dans la pratique, bien entendu. Mais je préfère y voir ici un monstre du futur qui serait venu dévorer ses enfants, les digérer, pour en rejeter un artefact d'une nature nouvelle. Une pression supplémentaire s'applique à chaque morceau. One Dollar devient le Dollar Dub, une litanie aux pulsations entêtantes. Le Cube Dub une supplique industrielle difforme et surdéveloppée. Bref, chacun des cinq morceaux originaux sont soigneusement défigurés, et leurs énergies réattribués au service d'une dystopie musicale venue d'un autre temps.


Ashes to Ashes, Dub to Dub est un album boussole. Une borne sur laquelle il est possible de se repérer dans le temps lorsqu'on se sent perdu. Jamais un album produit par la scène dub n'aura été aussi brutal et juste dans l'appropriation de son genre, qui est déjà lui-même une voix composée de variation et de réinterprétation. Le perfectionnisme et la maturité de Brain Damage achèvent d'en faire une oeuvre unique, dont l'impertinence se traduit par sa capacité à se regarder et de ne répondre qu'à elle même. Exceptionnel.

Yaz
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le 5 juil. 2015

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