Atom Heart Mother
7.8
Atom Heart Mother

Album de Pink Floyd (1970)

Piteux Ummagumma. En 1969, King Crimson ravage les ondes psychédéliques d’un progressisme révolutionnaire, Yes propose un rock baroque classique et efficace, Frank Zappa propose avec Hot Rats un jazz-rock audacieux et réussi. Pendant ce temps là, Pink Floyd sort Ummagumma, l’expérimentation poussée vers les frontières de l’inutile, du surfait et du bizarroïde faussement intellectualisant. Le départ de Syd Barrett, accompagné de la volonté des autres musiciens de continuer l’œuvre du Floyd malgré cette absence de leader, sont les récurrentes excuses assumées par les adorateurs, incapables qu’ils sont de reconnaître simplement qu’Ummagumma est un album mauvais, n’ayant ni les moyens de ses ambitions, ni la maturité d’une réflexion assez poussée pour être immortalisée sur disque. Peut-être les Floyd aurait-ils dû patienter et méditer des suites de leur carrière sans Barrett ? A l’inverse, peut-être ont-ils eu raison de pondre un de leurs plus mauvais albums, sa superficialité passagère leur permettant une évolution forcément positive… ? Toujours est-il qu’un an plus tard, Atom Heart Mother voit le jour, marquant une recrudescence en qualité salvatrice, où le contenu musical n’est pas outrepassé par sa forme onanique.

Toutefois, de forme il est nouvellement question : cinq morceaux, deux de plus de dix minutes dont un dépassant les vingt. Pink Floyd abandonne l’interminable format instrumental de l’album précédent, sans pour autant délaisser celui du rock progressif encore bourgeonnant. Il va sans dire que l’exil du schizophrène magnifique influe directement sur la direction musicale empruntée, et Atom Heart Mother peut-être considéré comme le premier album mature du Floyd en son absence. L’album à la vache est composé à moitié par le groupe, à moitié par ses individualités. Pourtant, une simple interrogation se pose irréfutablement à l’écoute de l'ovni superfétatoire « Alan’s Psychedelic Breakfast », mélange de musique concrète et de psychédélisme matinal : comment, morbleu de cornegidouille, quatre personnes se concertent-elles pour écrire une ânerie pareille, ânerie qui, rappelons-le, aura valu aux Floyd moult et évasives éloges ? Une nouvelle fois, l’épée de Damoclès gisant au dessus des créations trop aventureuses, celles confondant expérimentations stériles et inventivité salutaire, n’aura pas manqué de s’y abattre tant ce morceau afflige par sa carence en véritable proposition artistique. De fait et heureusement, si en 1970, Pink Floyd est toujours plongé dans le psychédélisme, il s’en échappe peu à peu pour le plus grand bonheur de tous. Le morceau titre en est la preuve réjouissante.

Pourtant, il s’agit là d’ « une des pires chansons de la carrière du groupe » selon Roger Waters… Peut-être fait-il allusion aux maladroites orchestrations du Philip Jones Brass Ensemble. Peut-être son égo légendaire est-il simplement déçu de ne pas avoir trouvé par lui-même le thème principal, les crédits revenant à David Gilmour. Qu’on se le dise : « Atom Heart Mother » n’est ni le chef d’œuvre adulé par les fans, ni la bouse cataclysmique excommuniée par Waters. Il s’agit là d’une transition, un intermédiaire plutôt réussi entre une période psychédélique difficile à achever (tout Ummagumma) et une tournure musicale plus progressive (« Echoes », l’unique véritable réussite à rallonge du quartet). Ici, les digressions attraient plus au remplissage qu’à une véritable cohérence, et même si certains passages touchent par leur aspect joyeusement épique, ils ne sont que trop peu nombreux. Malgré tout, David Gilmour s’y dévoile sous un jour nouveau à travers son jeu au bottleneck dans « Breast Milky », seconde partie de la suite (à environ 3’00), mais aussi pour son splendide solo blues au sein de « Funky Dung », quatrième partie (à environ 11’00). Il ne faut pas non plus retirer à « Atom Heart Mother » son influence sur les multiples contrées musicales de l’époque : ses chœurs ne sont pas sans rappeler ceux empruntés plus tard par le Kobaïen de Magma, et son lyrisme minimaliste et symphonique, même si pas exactement nouveau, sera repris par la suite par de nombreuses formations de Krautrock, parmi lesquelles Tangerine Dream, Klaus Schulze ou Ash Ra Tempel.

Les trois autres chansons, sympathiques mais dans la veine des anciennes compositions du Floyd, ne flamboient pas par leur originalité ni leur grande efficacité, malgré quelques bons moments. A l’image du disque, en somme. Hormis la détestable conclusion de l’album, rien n’est particulièrement honteux, mais rien n’est particulièrement rayonnant non plus. Parfois même quelques instants se révèlent vigoureusement délicieux. Mais Atom Heart Mother n’a rien du chef d’œuvre flagorné par tous. Il faut attendre un an pour cela.
BenoitBayl
6
Écrit par

Créée

le 5 déc. 2013

Critique lue 1.2K fois

2 j'aime

Benoit Baylé

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

2

D'autres avis sur Atom Heart Mother

Atom Heart Mother
Erw
6

Critique de Atom Heart Mother par Erw

Atom Heart Mother semble suivre une règle très ancienne, une sorte de malédiction antique sûrement lancée par une secte secrète qui toucherait tous les albums, de préférence de rock progressif, qui...

Par

le 24 déc. 2011

21 j'aime

8

Atom Heart Mother
Ze_Big_Nowhere
8

La Vache qui (mû)rit

La réception d'Ummagumma malgré une volonté expérimentale évidente et le refus d'un quelconque compromis sur la direction artistique qu'ils souhaitaient prendre (le fort caractère de Waters et son...

le 5 mai 2023

17 j'aime

2

Atom Heart Mother
Manclédu13
10

Critique de Atom Heart Mother par Manclédu13

Et on peut vraiment effleurer la main invisible du tout-puissant quand on découvre que la pochette au symbolisme chiadé de mère nourricière de l'album , qui colle si bien à de terribles parties...

le 21 déc. 2011

14 j'aime

1

Du même critique

First Utterance
BenoitBayl
9

Critique de First Utterance par Benoit Baylé

Souvent de pair, les amateurs de rock progressif et de mythologie connaissent bien Comus. A ne pas confondre avec son père, Dionysos, divinité des intoxications liquides et autres joies éphémères, ou...

le 9 déc. 2013

23 j'aime

Alice in Chains
BenoitBayl
9

Critique de Alice in Chains par Benoit Baylé

La révélation mélancolique Il y a maintenant 5 ans, alors que ma vie se partageait entre une stérile végétation quotidienne et une passion tout aussi inutile pour le basket-ball, je découvris la...

le 9 déc. 2013

22 j'aime

2

Kobaïa
BenoitBayl
8

Critique de Kobaïa par Benoit Baylé

A l'heure où la sphère journalistique spécialisée pleure la disparition pourtant prévisible de Noir Désir, espère la reformation du messie saugrenu Téléphone et déifie les nubiles BB Brunes, les...

le 5 déc. 2013

15 j'aime

1