Book Number 7
8.1
Book Number 7

Album de K‐Rino (2007)

C’est en fouillant dans un vieux grenier que j’lai trouvé. Derrière une malle, enveloppé dans un chiffon si poussiéreux que je n’ai pas pu m’empêcher d’éternuer pendant au moins cinq minutes. Un livre pas vraiment épais, sans inscription aucune au verso, juste la photo d’un mec que je ne connaissais pas. Au recto, comme gravé dans la couverture noire, un titre « Book Number seven ».
Mon instinct m’a soufflé de ne pas l’ouvrir, mais curieux de nature et malgré les avertissements de mon pote monté avec moi ce jour-là, je l’ouvris.

Je vis que l’ouvrage était découpé en 17 chapitres ; mais n’eut pas le temps d’en voir plus : une explosion de lumière et un tourbillon de vent se soulevèrent dans le vieux grenier, m’envoyant valser en arrière. Un longue silhouette fantomatique sortit alors du livre en baillant et en s’étirant, et malgré ma terreur je reconnu l’homme au verso du livre.
Tel un génie sortit de sa lampe, il se dressa au-dessus de moi, entendant confusément qu’il me remerciait de l’avoir libérer.
Une musique se mit alors à résonner dans le grenier, me faisant vibrer tout le corps, jusqu’à la mâchoire. Le « génie » se mit alors à rapper à toute allure, balançant un égo trip sur la musique. Je n’arrivais pas à avoir peur, j’étais plutôt fasciné par le spectacle. Mon pote lui, s’était évanoui en se pissant dessus.

-Ce n’est que l’intro (1), me dit le génie-rappeur avec un clin d’œil. Viens avec moi. »
Je vois sa longue main maigre, qu’il me tend. Est-ce que je m’en empare ? Mais ou veut-il m’emmener ? Sans me poser plus de question, je la saisis.
Et moins d’une seconde plus tard, nous n’étions plus dans mon grenier dans survolant un quartier que je ne connaissais pas. Nous étions dans les airs, oui ! Mais je n’avais pas le vertige, je survolais le toit des bâtiments et d’un parc. Je vis un panneau « South Park ».
Le génie rappait, volant à côté de moi, sur une instru avec quelques relents westcoast. Il me raconte son quartier, comment on y vit et comment les choses se passent, et quel genre de personnes on croise.(2)
Puis tout s’envole et je me retrouve dans une chambre d’hôpital. Il est allongé, la tête bandé, dévisageant sans comprendre une femme qu’il ne reconnait pas. Il rappe qu’il souffre d’amnésie, qu’il ne reconnait rien, ni même les mots. La musique qui se joue dans ma tête est douce, presque mélancolique, et son refrain chantonné n’arrange pas mon humeur qui devient vite triste. Une chanson magnifique, avec une conclusion originale.(3)
Qu’est-ce que la souffrance et la trahison ? me demande-t-il alors qu’on survole l’hôpital.
-Je…
-J’vais t’expliquer, petit. »
Et ce qu’il fait, définissant tant et si bien par les images et situations qu’il m’expose à travers ses paroles, intenses et recherchés que je me sens mal.(4)
Le « génie » voit que je me sens mal, alors il change de thème et m’explique qui il est : un enculé de tueur au micro, le plus dangereux que j’ai pu entendre sur une chanson. Et à travers trois couplets assassins déposés sur une instru menaçante quoi qu’un peu raté à mon goût (en me gardant bien de lui dire) il me le prouve.

I hate doing second verses, after one what's left
The first one usually be so hard, I'm scared to follow myself

J’en reste bouche bée, d’une telle maitrise du langage et de la possession du mic(5). Avec la chanson suivante il évoque la situation des noirs face à la police et la manière dont ils sont traités parfois ; et m’évoque aussi la situation des soldats envoyés en Iraq. Il a l’air bien en colère, alors j’en perds pas une miette en comprenant bien que l’injustice il n’aime pas ça.(6)

Puis on atterrit dans une place lumineuse, ou le soleil resplendit La belle voix suave d’un chanteur entonne un refrain et le génie se met à m’évoquer la chance qu’on a d’être en vie, la beauté de la vie en général, avec tant de talent que je me surprends à me dire qu’effectivement, tout peux s’arrêter du jour au lendemain. Chaque jour et un beau jour, et je me jure d’en profiter à fond après tout ce délire si je suis encore vivant.(7)

Soudain, tout se bouscule, et je vois une silhouette se faufiler vers nous à toute vitesse. Reculant prestement, je vis un homme venir vers le génie et le « check ». Les 2 se partagent alors un micro qui finit en miette en quelques minutes, sur une mélodie dantesque et presque une invitation au combat.
Je suis moi-même empli d’adrénaline et si ‘j’osais, je leur demanderais le mic pour cracher quelques mesures moi aussi. Même les immeubles autour de nous en tremblent !
Un gros égo trip qui résonne encore dans mes oreilles, et l’invité s’éclipse.
-Good to see You, Nip ! le salue le “genie”.(8)
Il s’étire et me regarde.
-On continue ? T’es du genre à finir un livre d’un coup ? On arrive au chapitre neuf.
-Je.. Je…
-Ouais, je vois. Allez viens petit. »
On décolle de nouveau.
-On à tous un jardin secret, hein petit ?
-Oui, oui… »

Il m’évoque alors le « moi » qu’on garde caché. Les émotions qu’on contient, les regrets et les pensées intimes. J’en ai un sacré paquet, en effet. Nous survolons toujours, au hasard.(9)
-Regarde autour de toi. Regarde le monde. »
C’est le thème de la prochaine chanson. Il me parle des gens qui nous entoure, leurs habitudes, tout ce qu’on ne soupçonne pas. Tout ce qu’on peut apprendre des autres, aussi.(10)
Viens alors de sa part, comme pour se détendre après tout ce temps enfermé dans le livre numéro 7 ; un long égotrip impressionnant en rimes internes et multi syllabiques. Un exercice monstrueux qu’il maitrise super bien.(11)
Puis on se retrouve dans une maison. Une belle maison calme. Je le vois, avec une magnifique femme aux formes généreuses.
-C’était le bon temps, me souffle-t-il à l’oreille. Je jouais avec le feu. »
Un petit rire nostalgique accompagne sa confidence, puis me racontant une histoire en rappant, il me dit comment il jonglait entre deux femmes et comment ça lui est retombé dessus. Serait-ce pour ça qu’il s’est retrouvé enfermé dans un livre ? Je n’ose pas lui poser la question.(12)
-C’est jamais bon, de mentir. »
Sur cette conclusion, on s’éloigne. Une musique lente et menaçante s’infiltre dans mon crâne.
-C’est pas marrant. »
Il me regarde d’un air grave.
-Je veux dire, jouer avec les gens, ce n’est pas pas marrant. Mentir, manipuler les émotions.
-J’suis d’accord. »
Il m’expose alors à travers trois couplets ce qu’il en pense, et m’évoque le cas de femmes à qui l’on ment, à qui l’on promet la lune.(13)

Un dénommé Charlie Boy se joint au génie pour la chanson suivante ; un égotrip de plus(14). Je commence à me demander quand on va retourner au grenier. Non pas que j’ai peur, mais je vous assure que voyager dans les airs avec un génie comme guide, c’est spécial.
Une voix de femme transperce les airs et nous berce gentiment, nous demandant d’imaginer. Et c’est ce que le « génie » fait, me décrivant plusieurs situations à travers un 42 mesures, très immersif dans ses paroles. Je vois littéralement tout ce qu’il me dit. Chaque personnage est formé dans l’imagination de celui qui le précède, c’est très bien fait.(15)
La musique redevient sombre, menaçante ; amis je m’aperçois alors, mi soulagé mi déçu, qu’on est revenu au-dessus du toit de ma maison. C’est donc presque fini.
-Marche doucement derrière moi. C’est dangereux. Ne franchis surtout pas la ligne. »
Apeuré, je le suis, presque collé à ses baskets. Ligne par ligne à travers 3 couplets, il s’enflamme dans un égo trip fort bien écrit. Il déverse le tout sur l’instru, en faisant un véritable cocktail Molotov prêt à me péter a la gueule. Enorme.(16)

-Voilà quelques amis, me fit-il en souriant.
Je vis alors d’énormes silhouettes se dessiner dans le ciel. Des rappeurs transperçant le ciel à travers les nuages, et se jetant un mic énorme entre eux. Ils sont gigantesque, et pour les regarder je dois lever la tête comme pas possible, j‘ai vite mal au cou. Mais je savoure, bien que tous ne soit pas au même niveau.(17)
Le génie me regarde avec un sourire, et soudain une fumée épaisse se met à envahir le ciel, me bouchant la vue alors que les gigantesques silhouettes des rappeurs s‘évaporent.
-N’oublie pas petit ! me lance le génie, alors qu’il s’évapore lui aussi. Je m’appelle K-Rino. Et je répondrais présent dès que tu voudrais écouter du vrai rap. »
Puis ce fut les ténèbres.
-Jo ? T’es dans la Lune ? »
Mon pote m’appelle depuis bien cinq minutes. J’ai les yeux rivés sur le livre que je viens de découvrir, ce mystérieux ouvrage appelé « Book Number 7 ». Mais est ce que je viens de tout imaginer ? Rien ne s’est passé ?
J’éternue à cause de la poussière.
-On redescend où quoi ?
-Vas-y, j’arrive. »
Il hausse les épaules et descend. Je fixe le livre, et le retourne. K-Rino, au verso, m’observe. Je suis sans doute fatigué, mais je pourrais jurer qu’il vient de me faire un clin d’œil.
Je repose le livre par terre et l’enveloppe dans un chiffon. Je ne suis pas certain de ce que je viens de vivre, mais une chose est sûre : réel ou pas, c’était génial.
Je refermai la porte du grenier derrière moi et me précipitai pour faire des recherches sur internet sur ce fameux livre. En moins de dix minutes j’appris qu’il était recherché par des collectionneurs du monde entier. Et bien fuck. Je l’avais, et je comptais bien l’ouvrir encore une fois.
JonathanAsia
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le 1 oct. 2013

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Jonathan Asia

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