Definitely Maybe
7.2
Definitely Maybe

Album de Oasis (1994)

Il y a cette scène assez drôle dans le film Yesterday de Danny Boyle où l’on constate que, si les Beatles n’avaient pas existé, Oasis n’existerait pas non plus. Tellement vrai.


J’en vois venir certains, qui rétorqueront qu’on pourrait en dire autant d’à peu près 80 % des groupes de rock. Sauf que les véritables artistes savent « extraire » des Beatles (ou de n’importe quels autres artistes pionniers) ce qu’il y a de meilleur et l’incorporer intelligemment dans leur propre style tout en ayant une multitude d’autres influences plus ou moins évidentes, ce qui fait qu’au final les morceaux ressemblent autant à ceux des Beatles qu’à ceux de Jacques Brel ou de Kraftwerk. Oasis fait tout l’inverse : ils retiennent des Beatles ce qui n’est pas forcément le meilleur, s’en inspirent mal, et le mêlent trop peu avec d’autres sources d’inspiration.


Fers de lance de ce courant régressif que l’on appelle la « Britpop » (rien que le nom donne envie de se cogner la tête contre les murs), les frères Gallagher et leurs acolytes produisent donc une sorte de dégénérescence insipide et rabâchée dans la filiation des hits de Paul McCartney tels que « Let It Be » ou « Hey Jude ». L’intention en elle-même est médiocre, le résultat est carrément désastreux. Les morceaux se ressemblent tous : toujours ces mêmes guitares grasses, ces rythmes bateaux, cette voix tonitruante aux émotions si peu crédibles. Niveau composition, c’est le néant. On est à cent lieues de la beauté des lignes mélodiques d’un Bob Dylan, d’un John Lennon ou même d’un Morrissey, pour prendre un exemple plus proche. Les hits tels que « Rock ‘n’ Roll Star », « Supersonic » ou « Cigarettes & Alcohol » ne parviennent pas à relever le niveau. Les couplets sont vides, les refrains sont imbuvables. La subtilité est proche de zéro.


Ce disque connaît cependant une popularité rarement observée pour un premier album et une véritable « Oasismania » se met en place. Comment expliquer un tel engouement, non seulement de la part du public mais aussi des critiques ? Certains invoqueront, avec un peu de raccourcis ou de mauvaise foi, des raisons historiques. Ainsi peut-on lire dans les 1001 albums qu’il faut avoir écoutés dans sa vie, livre pourtant fort recommandable dans son ensemble : « On oublie souvent à quel point le paysage musical britannique était aride en 1994 ». Admettons, et alors… ? Si une scène musicale est « aride », eh bien on réécoute les albums des années précédentes ou on va voir ailleurs. Les bons albums de rock sortis aux Etats-Unis cette même année 1994 ne manquent pas : The Downward Spiral de Nine Inch Nails, Crooked Rain, Crooked Rain de Pavement, Grace de Jeff Buckley, Experimental Jet Set, Trash and No Star de Sonic Youth pour ne citer qu’eux.


L’auteur poursuit : « Cinq types des plus ordinaires issus de la classe ouvrière suffisent à embraser le pays et à changer la donne ». Essaierait-on en creux de mieux faire passer la pilule avec une caution « classe ouvrière » (qui ne dure qu’un temps, puisque ces gars-là s’habituent vite à la vie de palace quand ils commencent à toucher un peu de droits d’auteurs) ? Mais de nombreux artistes talentueux sont aussi issus de la classe ouvrière, notamment au sein des groupes de punk et de post-punk, qui dans l’ensemble ont su conserver une attitude beaucoup plus authentique. Les origines sociales d’Oasis ne changent rien à l’appréciation que l’on peut porter sur leur musique.


Non, ce qui rend ce groupe si populaire, c’est tout simplement… sa simplicité. Oasis produit de la musique de feignasse, pour les feignasses, et le revendique. Pourquoi se prendre la tête à expérimenter, à chercher de nouveaux accords, des structures qui sortent de l’ordinaire… ? L’idéal pour Oasis, ce sont des morceaux de 4 ou 5 minutes alignés sur des albums de 45 minutes, bien lissés pour passer à la radio. Faits pour plaire et surtout pas pour sortir l’auditeur d’une zone de confort qu’ils s’évertuent eux-mêmes à tracer. Toute émotion authentique, toute surprise, est ainsi proscrite. C’est finalement très nihiliste, mais d’un nihilisme non pas rebelle comme celui des punks mais terriblement conformiste. Comme cela vient d’individus sans réel talent observé à ce jour, on peut taxer cette démarche d’opportuniste.


Ajoutez à cela un ego gros comme un pomelo et une attitude de pseudo-rébellion qui passe essentiellement par des chicanes dont tout le monde se contre-fiche et par des attaques totalement gratuites, et vous tirez le gros lot du groupe le plus insupportable de l’histoire de la musique. D’autant que les saillies des frères Gallagher, qui conservent encore à l'âge de 50 ans leurs mentalités d’ados attardés, visent indifféremment des groupes aussi vains et insipides qu’eux et d’authentiques artistes. Les frangins se chamaillent entre eux et insultent leurs rivaux de Blur, c’est ridicule mais grand bien leur en fasse ; mais qu’ils osent s’en prendre ainsi à Radiohead, à Nirvana, à Muse, à alt-J… c’est carrément indécent. Mieux vaut en rire après tout. Quand on connaît le chef d’œuvre The Bends de Radiohead paru un an après Definitely Maybe, la série de tweets de Liam Gallagher bourré qui est « forcé » d’écouter cet album à une soirée (pauvre chou !) revêtent un aspect comique aux dépens de leur auteur. Ou de triste si l’on songe que cela masque peut-être une profonde jalousie.


Le pire, dans tout ça, est peut-être que leur mégalomanie se double d’un crime de lèse-majesté, car leur sentiment de supériorité s’étend même aux Beatles, qui sont infiniment plus qu’eux, et sans qui ils ne seraient rien. Ainsi, selon Noël Gallagher : « Lennon avait raison les Beatles étaient plus célèbres que Jésus. Nous sommes donc plus grands que Jésus, et bientôt plus grands que les Beatles ». Même pas foutu de faire un syllogisme correctement… Et pourquoi pas « plus gros que Dieu », tant qu’à faire ? Oh, wait! Qu’est-ce que tu dis, Liam ? « Si je n’étais pas musicien, je ne sais pas. Je serais Dieu, peut-être ? Ce serait un bon boulot ». Tout est dit.


Terminons, pour le plaisir, par une dernière citation du père Noël : « J'adore mes fans, mais à part eux je hais tout le monde ». Tu aimerais peut-être, mon cher, que « tout le monde à part tes fans » te le rende bien. Même pas, en fait : en 2020, alors que la musique est toujours plus féconde en créations originales qui demeureront inaccessibles à ton ego de clown boursouflé, tes élucubrations suscitent à peu près autant d’intérêt que les cris inaudibles d’une larve échouée sur la plage au bord d’une falaise. Oasis est ce que le rock anglo-saxon a enfanté de moins glorieux en termes de qualité musicale mais aussi d’image, notamment auprès du public peu initié au rock (terme qui pourrait être banni tant il veut tout et rien dire). Une large frange du public a en partie du rock cette image déplorable, ce qui est bien dommage. Alors pitié les gars, commencez par fermer vos grandes gueules puis allez vous refaire une éducation.

Créée

le 10 mai 2020

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