Delta Machine
6.6
Delta Machine

Album de Depeche Mode (2013)

DEPECHE MODE, CHAPITRE 13 : « DELTA MACHINE » OU LE COUP DE BLUES MAÎTRISÉ.

Commencer un album par un morceau qui se nomme « Welcome to my world » quand on s’appelle Depeche Mode, que l’on a vendu plus de 100 millions d’albums sur plus de trois décennies, que l’on est considéré comme une source d’influence musicale assez importante que ça soit dans le rock ou l’électro, et que tes plus grands tubes ont étés repris un paquet de fois…ça peut paraître étrange! Et pourtant, c’est bien dans un nouveau territoire que le groupe veut nous faire rentrer ici…car Depeche Mode a toujours été et sera toujours un groupe innovant et novateur même au bout de 13 albums! Des sons de synthés très minimalistes ouvrent l’album et la voix de Dave vient se poser comme une plume au milieu d’un vide sonore consternant et déstabilisant de prime abord. Puis, très vite…la (delta) machine se met en place, des sons très beaux et « pures » comme Depeche Mode a toujours si bien su en créer avec de simples machines surgissent et viennent enrichir progressivement la texture sonore du morceau qui ne cesse de gagner en densité et en intensité grâce notamment à une performance vocale de Dave et Martin relativement mémorable.


Mais alors? En quoi est-ce nouveau ce que Depeche Mode fait ici? C’est toujours aussi froid et synthétique non? Pas exactement…il y a pour ainsi dire deux innovations importantes que l’on retrouve déjà en bonne partie sur cette entrée en matière et sur tout le reste du disque ensuite! La première c’est…le BLUES! En effet, sur cet album Depeche Mode a décidé de se mettre à faire du blues électronique. Alors, certes ce n’est pas la première fois que l’on sent l’influence du blues dans leur musique…on pouvait déjà la sentir par intermittence sur des chefs d’oeuvres du groupe tels que « Ultra » ou encore « Songs of faith and devotion ». Mais ici le « blues » domine tout…mais quand je dis « blues » je ne veux pas parler du vieux blues poussiéreux que reprenait Led Zep sur son premier album, (ou de celui que reprend actuellement les Stones sur son dernier disque). Il ne s’agit pas du blues que l’on imagine chanté par les noirs dans leurs champs de cotons…mais d’un feeling, d’un rythme, et d’un chant très souvent propres au blues! La preuve (entre autre) avec « Slow » : rythme lent et pesant, chant très appuyé et léger riff de guitare bien bluesy. Et cette formule se retrouve sur un paquet de morceaux du disque (dont le rythme global sera un peu plus lent et lourd que sur « Sounds of the universe »).


La seconde nouveauté (qui est un peu liée à la première) c’est la voix de Dave Gahan…elle a gagné ici une technicité réellement impressionnante! Non content d’être un immense chanteur qui n’a d’ores et déjà plus rien à prouver à qui que ce soit, le filou a très clairement re-travaillé sa voix pour l’occasion (voix qui dévoilait déjà une palette plutôt riche sur « Sounds of the universe »). Ainsi, on a droit à des modulations inédites que l’on avait encore jamais (trop) entendues jusqu’à présent…sur « Welcome to my world » effectivement, mais surtout sur le morceau suivant : « Angel »! Sur « Angel » la voix du père Gahan fait véritablement l’effet d’un coup de massue sur les couplets où son chant est extrêmement grave et hargneux (tel un authentique bluesman justement ce qui prouve qu’il a bien retravaillé sa voix pour coller au nouveau style du groupe) et plutôt doux et apaisé sur les refrains planants et décontractés. Cette sorte d’electro/blues/rock fera sans aucun doute plaisir à tous les fans de « Personal jesus » et autres « I feel you » sur les disques précédents. Il n’y a pas de grosse ressemblance (ne serait-ce qu’à cause des secousses synthétiques permanentes dont dispose le morceau) si ce n’est ce côté « décadent » du riff et ce côté bluesy. D’ailleurs j’aimerais bien que ces scrogneugneu de critiques qui cherchent à comparer les nouvelles parutions du disque avec « Violator » à chaque fois se calment un peu…le groupe ne fait pas l’effort de se réinventer pour qu’on compare sans cesse leurs nouveaux disques avec des exploits passés, et il le prouve encore une fois avec un disque très ingénieux et novateur!


En parlant de se renouveler je dois avouer que j’ai été très surpris à l’époque de la parution par le choix du single chargé de représenter l’album! Sur le disque précédent on avait eu droit à une bombe : « Wrong » (assez agressive pour du Depeche Mode il faut bien le reconnaître) et on a droit ici à une ballade (« Heaven ») à la mélancolie et à la profondeur absolument « anti-commerciale »! Quand j’ai vu que Depeche Mode avait sorti un nouveau single j’étais tout content! Après l’avoir écouté j’étais vraiment déstabilisé…je m’attendais vraiment à quelque chose de plus sautillant ou accrocheur! Et puis en fait je me suis rendu compte qu’il s’agissait encore une fois d’un très grand morceau! « Heaven » synthétise assez bien la teneur du disque : mélancolique, profond, bourré de maturité à ne plus savoir quoi en faire…et réussi! Les notes de piano qui accompagnent le morceau sont bien trouvées, le chant de Dave plus touchant que jamais, les chœurs de Gore apportent énormément aux refrains, la guitare est discrète mais donne le côté blues et profond nécessaire au morceau…quant-aux sons électroniques ils sont plus que jamais maîtrisés et divins à écouter! Bref, « Heaven » n’est pas le genre de tube qui va cartonner au même titre qu’un « Wrong » ou un « Precious » mais il n’empêche que c’est un très beau morceau pouvant plaire à un public assez large!


Quant-à parler des grands morceaux, parlons précisément de « Soothe my soul » : un des rares morceaux bien rythmés du disque. Ce titre est ce qu’il convient de nommer une bonne petite tuerie : la rythmique audacieuse et brinquebalante, les refrains où les voix de Dave et Martin se succèdent exceptionnellement au lieu de se compléter, et cette petite touche de sensualité en plus (que le clip illustre bien) : excellent, et encore je peux vous dire qu’en live c’est tout simplement un des meilleurs moments du concert! Dans un style un peu plus aérien et mid-tempo on retrouve « Should be higher » (qui sera un des singles du disque) où Dave Gahan nous éblouit encore par la maîtrise de son organe vocal, il nous éblouit même par son talent de compositeur encore une fois vu qu’il s’agit d’un de ses trois morceaux sur le disque! Dave est effectivement en forme non pas qu’en tant que chanteur mais en tant que compositeur vu que trois des sommets du disque sont signés par lui : « Secret to the end » (aux refrains originaux où les voix de Dave et Martin se succèdent de façon déroutante créant une sorte de groove curieux), et « Broken ».


Je ne vais pas m’attarder sur chaque morceau du disque étant donné ça serait trop long et qu’il y en a des moins intéressants que d’autres sur lesquels je ne sais pas trop quoi dire (« My little universe », ou « The child inside » seul morceau chanté par Gore qui a le mérite d’oser proposer un des trucs les plus insolites et surtout les plus épurés que j’ai jamais entendu), mais sachez que « Broken » est un bien beau morceau! La voix de Dave y est tour à tour chaleureuse, réconfortante, et les refrains sont réellement touchants et réussis, le tout sur un rythme tendu qui refait un peu décoller le disque à un moment où on aurait presque fini par s’ennuyer… On retrouvera un peu le même processus avec un « Soft touch/raw nerve » très pop et survolté par rapport au reste chargé d’apporter un peu de rythme à un disque qui en aurait presque manqué…on dirait presque un morceau sur lequel le groupe cherche à rendre hommage à ses premiers morceaux pop de débuts de carrière avec la modernité en plus.


Le disque sera très bien accueilli par la critique globalement qui aura l’impression de découvrir un Depeche Mode toujours au sommet de son art dans une tonalité toujours plus mâture…on se rend bien compte à l’écoute du disque que l’on a à faire à des quinquagénaires expérimentés qui n’appréhendent plus du tout la musique de la même façon que sur les albums précédents effectivement! Plus calme et posé que jamais (à part sur « Exciter ») le groupe prend le risque de proposer un disque dans une tonalité blues (plus que jamais illustrée par un « Goodbye » logique de conclusion qui synthétise assez bien le son présent ici). Depeche Mode délivre ici une ambiance parfois assez austère et peu facile d’accès où la chaleur émane le plus souvent de la voix de Dave…et pourtant les fans répondent toujours présents! A cause de deux ou trois morceaux dont je ne suis pas ultra « fan » et d’un côté particulièrement épuré dans l’ensemble (la palme revenant à « The child inside ») on ne peut pas non plus crier au chef d’oeuvre évidemment…sans parler du fait que ce côté plus que jamais « froid » et rigide de l’ensemble aura un peu de mal à séduire par instants.


Mais dans l’ensemble « Delta machine » demeure un très…trèèès bon album, pratiquement excellent même! Il est la preuve que Depeche Mode après 34 ans de carrière n’avait toujours pas fini de se réinventer et qu’il était un des rares artistes dans sa catégorie (avec un certain Bowie…RIP) encore capable de rester pertinent musicalement et de sortir des albums pas seulement pour le fric, et ça c’est plus que pas mal…c’est admirable! Au risque de passer encore une fois pour un fanatique Depeche Mode est un immense groupe! Un groupe qui aura su se réinventer d’albums en albums, aspirant toujours ce qui lui fait obstacle, qu’il s’agisse des modes ou des déboires existentiels et humains qu’il aura rencontré pour le synthétiser dans sa musique et en tirer le meilleur au sein d’albums toujours riches, profonds, et personnels! 13 albums et aucun échec, un chanteur plus que jamais au top, et des concerts toujours grandioses…moi je dis : longue vie à Depeche Mode et vivement le prochain album « Spirit » qui sortira dans quelques mois en 2017!


Alors que cette (longue) rétrospective sur Depeche Mode prend fin…il ne me reste plus qu’à dresser un bilan des notes que je mettrais aux albums du groupe (en restant le plus objectif possible malgré ma « fanatitude »), je le fais surtout pour que ceux qui tombent un jour dessus puissent avoir une idée des albums à écouter en priorité (bien qu’ils doivent tous être écoutés dans l’absolu).


Bilan de l’intégrale Depeche Mode :


-Speak and spell : 14/20


-A broken frame : 13/20


-Construction time again : 14/20


-Some great reward : 18/20


-Black celebration : 18/20


-Music for the masses : 19/20


-Violator : 20/20


-Songs of faith and devotion : 20/20


-Ultra : 20/20


-Exciter : 17/20


-Playing the angel : 19/20


-Sounds of the universe : 16/20 (après rééééécoute)


-Delta machine : 17/20


Un grand merci à tous ceux qui auraient pris la peine de lire ne serait-ce qu’un ou deux articles de ce long parcours au sein d’une discographie pour le moins assez longue! Et à bientôt pour une nouvelle aventure qui concernera sans doute un autre groupe mythique!

Venomesque
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le 10 déc. 2016

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