Drop
8
Drop

Album de Colfax Abbey (1996)

Parler du shoegaze après sa mort médiatique chez les bouffeurs de puddings, ce n’est pas si simple. Il fut contraint de muter là-bas au risque de disparaître (comme s’assimiler à la britpop) ou bien de s’exporter. Parce que s’il y a bien une chose dont on s’est rendu compte seulement depuis peu, c’est que ce sous-genre a eu une influence considérable sur le reste du monde. Des scènes shoegazing ont fleuri un peu partout. Que ce soit en Europe de l’est, en Asie, en Amérique du sud et, bien entendu, au pays de l’Oncle Sam.


Quantité ne rime pas avec qualité. Il y à boire et à manger dans cet underground impossible à explorer dans ses moindres recoins. Toutefois, l’Amérique a eu son lot de groupes très intéressants et parfois même novateurs. Colfax Abbey fait partie de ceux qui ont continué là où ça s’était arrêté en Angleterre. Mais pendant que certains vont seulement se contenter de cloner les références, eux vont plus loin. Directement inspiré par le space rock, dont celui de The Verve, ils vont apporter une patte et un grand talent mélodique. Drop, c’est définitivement le disque qu’il faut écouter pour rentrer en douceur dans ce mélange space rock / shoegaze qui aura donné naissance à plusieurs grandes œuvres.


« Feel » a beau nous faire pénétrer dans une musique nébuleuse, difficile de ne pas ressentir des frissons à l’écoute de cette voix innocente planant tout en douceur sur ces énormes saturations. Surtout quand le refrain nous parvient aux oreilles pour dévoiler une émotion particulièrement palpable, malgré ces ressacs de guitares noisy nous enveloppant.


La force de Drop, c’est ce doux lyrisme flottant à surface d’un shoegaze incroyablement planant et dense. Une certaine idée de mettre de l’évidence dans des compositions qui ne le sont pas du tout à la base. « Snowshine » commence avec un arpège féérique qui sera en quelque sorte le refrain de cette masse informe de sons atmosphériques. Un refrain dans une musique absolument pas pop en apparence. « On the Edge of a Heathery Moor » semble confirmer cette sensation avec ses percussions cosmiques s’éteignant dans une réverbération spatiale, alors qu’il s’agit néanmoins du titre le moins bon. La faute à cette outro ambient rallongeant la sauce inutilement et faisant office d’unique défaut sur cette sortie.


La voix de Christian Rangel donne pourtant une coloration pop à ce space rock inaccessible sur le papier. Il n’est pas un grand chanteur mais la passion qu’il dépose de temps à autre dans ses interventions vocales change la donne. Notamment quand il pousse sa voix au même moment que la batterie et les guitares s’enclenchent pour franchir le mur du son (« Silver »). Comme si la bande cherchait à déchirer l’espace-temps en balançant une vague de sons acérés sans se départir de cet aspect cotonneux typique de la dream pop. Toujours avec des guitares inventives au point qu’il arrive qu’on puisse les confondre avec des sonorités électroniques (« Once in Awhile »). Cependant, on peut entendre l’influence des formations de post-punk dreamy dans ces accords rêveurs et mélodiques parsemant chacune de leurs compositions (« Chameleon » rend hommage au groupe du même nom rien qu’avec son titre).


L’album atteint son paroxysme avec « Shanesong » ou la bande-son parfaite pour l’hallucinante scène finale de 2001, l’Odyssée de l’espace. La voix de Rangel s’éteignant peu à peu au milieu du morceau car englouti par des guitares d’une puissance écrasante. On assiste, ni plus, ni moins, à la mort d’une étoile, à la désintégration d’un corps céleste.


Une partie du shoegazing aura très bien su se réapproprier l’héritage du renouveau space rock des années 1980 (Spacemen 3 et Loop). Ils ont gardé son extrémisme sonore tout en faisant plus facilement détacher les pieds du sol afin d'explorer des contrées atmosphériques où le ciel est bleu et jamais gris. Drop appartient à cette catégorie et c’est ce qui justifie son statut de grand classique oublié.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
9
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le 14 févr. 2016

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Seijitsu

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