Critique couplée avec Loudon Wainwright III


Vu de loin, Perry Leopold et Loudon Wainwright ont des bases communes ; tous deux issus de la scène folk foisonnante de l'aube des années 70, ils enregistrent leur premier album en temps très bref, seuls en studio avec leur guitare comme seule compagne face au micro avide. Pourtant dans le ton et l'approche de l'espace sonore, leur musique ne saurait être plus dissociable.


Fasciné par Timothy Leary, intello illuminé et guitariste acoustique à ses heures, Perry Leopold n'est pas dans un studio, non. Il baigne dans la soupe primitive de l'Univers, occupé à y faire des longueurs. Je m'imagine Perry comme un sage souriant, le regard tranquillement pointé vers les étoiles, qui semble toujours regarder au delà de toi lorsqu'il te parle. Un peu le genre prophète quoi. Un putain de hippie, en d'autres mots. Et cet Univers qui l'entoure, il vient tranquillement le chatouiller de ses arpèges continus en faisant virevolter ses doigts sans effort, donnant parfois l'illusion que deux guitares se chevauchent – alors même qu'il ne joue pas si vite que ça. Un peu à l'image d'un John Fahey. Experiments In Metaphysics ne tire pas son titre de nulle part ; l'homme déblatère de grands discours éclairés, mystiques (jusqu'à s'autoriser un passage spoken-word dans l'ouverture à la limite du ridicule, mais qui finit par passer comme une lettre à la poste) qui résonnent comme jamais dans ce grand espace vide qu'il n'utilisera plus de cette façon à l'avenir – Christian Lucifer, second essai du chevelu, s'aventurera en territoires orchestraux.


S'il s'agit bien d'une expérience en terre dépouillée, le disque ne peut être taxé pour autant d'expérimental tant tout coule de source et semble maîtrisé. Décidé à brouiller les pistes, monsieur le conceptuel de service s'autorise la petite fantaisie de nommer sa première face « Kommercial » et la seconde « Acid-Folk » (on lui devrait semble-t-il une des premières occurrences du terme). D'ailleurs il peut bien s'autoriser ce qu'il veut, cet homme là, puisque son disque – qu'il enregistra en 5 heures top-chrono – il le fit imprimer lui-même en 300 exemplaires, dont il distribua 90% à des passants au hasard dans la rue, pour ensuite garder le reste pour lui. Un joli pied-de-nez à l'industrie du disque – si dérisoire fût-il.


Loin d'un universalisme intello, le profil de Loudon Wainwright III est tout autre. Lorsque lui rentre en studio et décide d'interpréter seul avec sa guitare un premier album qui porte simplement son nom, il semble que ce n'est pas tant le fruit d'une démarche réfléchie qu'une nécessité physique de coucher sur bandes le plus rapidement possible ces morceaux vibrants qui lui encombrent la gorge. Et de fait, sur chacune des pistes, sur la moindre intonation du chant et chacun des accords furieux qu'il arrache douloureusement à sa guitare, ce qui frappe c'est cette tension qui ne quitte jamais vraiment le futur papa de Martha et Rufus, un tension sublimée par les éclats d'une voix étonnamment haut-perchée qui gémit des textes ambigus. Difficile de savoir quand le chanteur – aux faux-airs du Tom Waits blond de Closing Time – est sérieux et quand est-ce qu'il se moque (de tout, souvent de lui-même).


Cette tension étouffante, Loudon semble avoir choisi l'humour pour la tromper ; un humour noir et ambivalent, toujours sur le fil entre le pince-sans-rire et le cynisme. Comme sur le ravageur « Glad To See You've Got Religion » et son texte mi-figue mi-raisin dont on se demande s'il démontre d'une sincère sympathie envers ce badaud tout juste reconverti, s'il se moque avec force ironie et moult manières (plus vraisemblable) ou si derrière tout cela ne se cacherait pas une plainte auto-dépréciative et amère d'un Loudon miséreux. Les morceaux de Loudon Wainwright III sont bruts, puissants, baignant dans une ambiance presque étouffante, diffusant un sentiment d'urgence et de promiscuité alors qu'il se dévoile à nos pudiques oreilles avec de telles fêlures dans sa voix tremblante. Comme si le songwriter était seul dans un placard à marteler furieusement son instrument.


Proches par le genre sous lequel on les a placés, proches par leur solitude courageuse face au micro, leur exclusivité guitare/chant, mais chacun opposé à l'autre dans la manière d'occuper l'espace ; l'Univers en communion d'un côté contre un mouchoir de poche névrosé de l'autre. Une preuve parmi tant d'autre de la richesse d'un format sobre, ascétique en apparence, alors que lui mieux qu'aucun autre permet de mettre à nu les aspérités de l'artiste. Perry comme Loudon s'en iront plus tard vers des contrées plus riches en arrangement, mais en attendant resteront toujours ces premiers essais, braves et dépouillés.

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le 27 sept. 2015

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T. Wazoo

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