First Ditch Effort
6.8
First Ditch Effort

Album de NOFX (2016)

C’était à croire qu’il avait fait le tour du sujet, qu’il n’avait plus rien à prouver, dite la messe, pliée la boutique, fauchée la jeunesse.
L’indéboulonnable sourire paresseux aux lèvres, toujours là pour une blague, le rire bon enfant, apparemment imperméable à tous les tracas anodins accumulés par la bête capitaliste en un vilain tas d’immondices autour de sa grasse personne.


Fat Mike.


Cinquante printemps au compteur. Treize albums.


C’était à se dire qu’il ne fatiguerait jamais, lancé qu’il était sur les rails d’un Punk adulescents érigé en art de vivre, bouffi du talent reconnu qui tend vers la facilité (Self Entitled). On le voyait déjà cuver au soleil californien la cuite sans fin de son existence de survivant des 90’s. Intouchable. Trop vieux. Trop con. Trop Punk.


Mais c’était ignorer qu’à l’ombre du sourire, le tableau s’obscurcissait. C’était oublier que le succès n’efface jamais tout à fait les cicatrices, qu’il ne peut rien contre la médiocrité commune et son regard insistant vers cet homme bizarrement épanoui dans des vêtements de femme (I’m a transvest-lite)
Il était utopique de penser que la désinvolture tiendrait si longtemps.


Car en coulisse et aux racines de la rage, il y a une enfance sans père, un démissionnaire de plus, on ne s’en remet jamais tout à fait, aucun sourire ne peut dissimuler ça éternellement. Comment le dire ? Comment cracher au monde quarante années de doute familial ? On tente une ligne de basse apaisante, on exorcise, on part sur de nouveaux terrains, l’illusion de l’harmonie se fait, cache à nouveau la vérité sous une pile de bons sentiments. Ça ne peut pas durer. Ça dure depuis trop d’années. Mike explose et c’est une grande claque dans la gueule



Fuck you Paul Burket, I’m glad that you are dead



A peine si on reconnaît l’homme. Où est passée sa rassurante bonhommie ? Qu’est-il donc advenu de son adipeuse philosophie ? Qui est l’inconnu à la barre du fou navire ?


A peine si on parvient à se remémorer l’éclat de son sourire.
Sa bouille de gros nounours.
Sa basse galopante, absolument Punk, tout à fait californienne.


Aujourd’hui, Mike explore, réinvente dans l’indifférence générale les facettes oubliées d’un Punk-Rock sorti d’un coup de l’adolescence.


Car en coulisse les adultes ont gagné. Loin des concerts, des nuits sans fin, des tournées, du soleil et du golf sous amphèt’.


De l’autre côté du miroir.
Il y a un monde atroce. Un monde cruel où les drogues ne font plus rire personne, où les addictions deviennent un poids insupportable, un quotidien de manque



I want some cocaine but it’s making me insane



un monde où les miroirs dévorent l’ego (I don’t like me anymore). Ce monde s’effondre sous le poids de sa bêtise congénitale mais il faut y jouer au père en priant pour le salut d’une progéniture qu’on sait condamnée à grandir en territoire hostile (Generation Z)



I think that our kids will probably see, the end of humanity



Ce monde fait peur, ce monde est vide, ce monde collapse. Le monde de Mike est absurde, dans le monde de Mike, Donald Trump s’épanche à la télévision, dans le monde de Mike, Tony Sly est mort pour toujours et ça, aucune drogue ne peut l’effacer. Une dernière chanson pour l’ami, un dernier hommage qui n’exorcisera qu’un temps la douleur (I’m so sorry Tony).



His dying isn’t tragic. It’s a fucking catastrophe



Ainsi donc Fat Mike ne rit plus.
C’est la fin de quelque chose. D’une innocence chèrement payée.
Un bel album avant tout. Aux airs grossiers de fin du monde, d’abandon. Déchirant. Blessant. Mais désespérément beau.
Pas sûr qu’il soit possible de se réjouir bêtement de la qualité musicale de la chose, c’en serait presque indécent. Ne reste qu’à verser une inévitable larme de rage



When they lowered your body into the ground Even the piper began to
cry



et se plier à l’ultime commandement de l’ami endeuillé



From coast to coast, let’s raise our drinks and give a toast to Tony
Sly


-IgoR-
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le 11 oct. 2016

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