Fly From Here
6.8
Fly From Here

Album de Yes (2011)

Flash back en 2011. Un nouveau Yes déboulait ! Morose. On pouvait rester un peu incrédule devant la chose tant elle fut annoncée, annulée, relancée, dénoncée. Derrière une pochette à nouveau ripolinée par l’inextinguible Roger Dean, Fly From Here avait donc été accouché dans la douleur et un chaos alentour qui condensait à lui seul l’historique d’un groupe carré d’as du prog-rock estampillé âge d’or. Dans le microcosme des amateurs, chacun apprécia la portée de l’événement.



« Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? »
« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie »


Sous couvert d’un line-up volatile (Jon Anderson et Rick Wakeman balayés, Oliver Wakeman un temps derrière les claviers, lui-même congédié), le leadership croisé de Chris Squire et Steve Howe s’imposait in extenso. Encadrés par Alan White et Geoff Downes sous la houlette du précieux producteur Trevor Horn, nous voici très proche de la formation période Drama (1980). Miséricorde ! Dans l’historique chaotique du groupe anglais, chacun sait à quel point Drama fait encore figure de Cassandre musical, comme un prémice à la plongée aux enfers de la pop et des charts.


Précisons le choses : l’histoire n’en finissant pas de se retourner, Fly From Here avait donc vu l’éviction un peu malsaine du chanteur iconique et haut perché Jon Anderson. Rien de bien surprenant pour qui s’est déjà penché sur l’histoire interne d’un groupe en fission permanente. Anderson sur la touche, Chris Squire est donc allé recruter le québécois Benoît David, chanteur dans les clous de Mystery Pour se rassurer, le groupe s’est ensuite arque bouté sur les accents témoins de « We Can Fly », un morceau écrit à l’époque de Drama (encore !), rallongeant ici la sauce sur plus de vingt minutes. Et le résultat, loin de toute branchitude actuelle, sonne évidemment comme un mixage luxuriant entre les charnières Drama-Asia-90125. Pourtant, l’eau avait coulé sous les ponts.


Mais Yes aura pris le temps de nous livrer de petits moments de grâce, léger et chaleureux comme une veillée au coin du feu. Au fil d’une suite impeccable, les différentes périodes du groupe semblent s’être données rendez-vous sur un long fleuve tranquille : des mélodies entêtantes, sophistiquées (« We Can Fly »), une délicatesse qui flirte par moment avec la magie lunaire (« Sad Night at the Airfield », véritable chef d’œuvre qui évoque un certain Pink Floyd), raideurs faussement maladives (« Madman at the Screens »), friandise désarticulée (« Bumpy Ride ») et un final qui envoie galoper claviers, chœurs vibrants, basse dodue et guitare ciselée avec un réel brio. La production en béton armée eighties ajoute à la réussite nostalgique. Splendide !


Évidemment, difficile de tenir la corde plus longtemps. La tension baisse d’un cran sur les titres plus courts, moins ambitieux. Du folk joliment vintage de « The Man You Always Wanted Me To Be » au dramatisant « Life on a Film Set » en passant par la ballade élégante « Hour of Need », le versant acoustique donne la part belle à la guitare volubile de Steve Howe rarement mis en avant avec autant d’aplomb. Son solo sur le bien nommé « Solitaire » rappellera évidemment les grandes heures de « The Clap » et « Mood For A Day ». Avis aux amateurs.


On sent alors toute la volonté de Yes de renouer avec un peu de toute son histoire. Même le délicieux « Into the Storm », festif, positif, avec le flonflon d’antan et cette vocation à rendre heureux, emprunte à l’œuvre sa matière première. Dans cette énergie, puissante, de remettre son travail à l’ouvrage, Yes embarque l’auditeur avec lui.


Et Benoît David dans tout cela ? Ciblé comme l’hérétique de l’histoire, la pièce rapportée qui, forcément, devait transformer l’album en simili Yes-classical, en vague ersatz de la grandeur d’antan. Il est vrai qu’au-delà de sa voix aventureuse, on ne peut s’empêcher d’imaginer chaque titre porté par Jon Anderson. Une impression nettoyée au fil des écoutes. On sera d’ailleurs gré à Benoît David de ne jamais imiter ou caricaturer son prédécesseur. Que sa prestation ne fasse pas imploser Fly From Here en plein vol tient de l’exploit remarquable. Certes, Yes a déjà culminé sur de plus hauts sommets. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Tout ce qui fait qu’il fut et reste un grand groupe est là. Et dans la multitude des albums proposés, pleins de cette fausse imagination nourrie aux décalcomanies, il était heureux de les entendre recouvrer le sens du plaisir simple. Avec ce sentiment du soleil qui poudroie et de l’herbe qui verdoie. .


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le 15 janv. 2012

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