La musique africaine traditionnelle dans le post-punk et l'électronique, ça vous parle ? De mon côté, impossible de ne pas penser à un certain My Life In The Bush Of Ghosts de 1981, par Brian Eno et David Byrne, ou à son pendant le Remain In Light des Talking Heads. D'ailleurs, à l'écoute de From Kinshasa du collectif congolais Mbongwana Star, on aura du mal à ne pas s'y référer. Pourtant, il s'agit ici de l'approche inverse : l'introduction de post-punk et d'électro dans la musique africaine.


Nuance qui a son importance ; contrairement à la démarche d'Eno & Byrne (que je vais m'empresser de laisser de côté avant qu'ils ne deviennent trop envahissants...), la base ici ce sont les rythmes et les mélodies congolaises – les motifs de percussions répétitifs et les brèves lignes de guitare entêtantes – sur lesquelles viennent se poser les sonorités post-punk. Le mariage des sonorités est détonnant. Dès la brève intro "From Kinshasa To The Moon" on est plongé dans les contradictions groovies de Mbongwana Star : la production est étouffante, la basse énorme et chaloupée foutue au premier plan du mix, le synthé est angoissant, pourtant le ton semble à la fête. Les membres du groupe entament un chant et des choeurs pour un question-réponse exalté. Et voilà From Kinshasa dans un mouchoir de poche : un disque qui fera se remuer le badaud tout sourire, tout en le prenant dans une atmosphère sombre qui lui fera jeter un œil inquiet par dessus son épaule entre deux déhanchés fiévreux. Un peu comme si l'on avait croisé la route d'un congolais au beau milieu de la nuit et qu'il nous avait adressé un sourire jusqu'aux oreilles ; mais l'obscurité alentour nous aurait empêché de déterminer si ses dents blanches nous renvoyaient un sourire carnassier ou bien amical... Les rares faiblesses de leur formule affleurent lorsque la rythmique devient binaire, transformant leur atout hypnotique en menace d'ennui. En témoignent d'une part "Nganshé" qui semble avoir été mis en pilote automatique pendant 6 minutes, d'autre part "Suzanna" qui se tape un beat de boite de nuit trop pupute pour captiver durablement (malgré une ritournelle chantée qui elle en revanche saura s'installer durablement dans le crâne de l'auditeur imprudent).


Quand on se souvient qu'à l'époque Martin Hannett avait déjà plombé (dans le " bon " sens du terme) le reggae d'un Basement 5 pour le rendre froid et désespéré – voire carrément post-apo – en le faisant passer par son cocon glacial, on apprécie d'autant plus que les congolais aient réussi le pari de garder une pêche contagieuse au long de ce disque étrange et ambigu.
Sinon, quitte à vanter les mérites de la musique répétitive, j'attends encore qu'on me fasse découvrir un groupe de krautrock d'afrique noire, j'ai le sentiment que ça passerait vachement bien.


Chronique provenant de XSilence

TWazoo
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2015 en musique depuis ma boîte bleu, Les meilleurs albums de 2015 et Je t'ai donné la vie... mais on ne m'a pas donné le droit de te la reprendre

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le 2 juin 2015

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T. Wazoo

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