German Oak
7.9
German Oak

Album de German Oak (1972)

L'herbe qui pousse à l'ombre du vieux chêne

German Oak est un groupe de krautrock originaire de Düsseldorf, Rhénanie du Nord. Leur premier album, éponyme, est sorti en 72’ et a été enregistré dans un Luftschutzbunker de Heerdt, quartier sud-ouest de la ville.


Musicalement, c’est franchement pas mal : on retrouve les habituelles impros d’un quart d’heure et les phases ambientes expérimentales propre au krautrock. Sans être un grand connaisseur du genre, German Oak me rappelle très nettement Amon Düül II et CAN. C’est de la musique qui me parle, et que je prends réellement plaisir à écouter.


Mais ça n’est pas tant la musique de German Oak qui m’intéresse que l’imagerie sur laquelle s’appuie le groupe. Car cet album, qui évoque la Seconde Guerre Mondiale, est littéralement flippant. J’imagine les visages horrifiés des mélomanes teutons qui tombaient là-dessus chez leur disquaire préféré. Habitant moi-même dans la région à l’heure où j’écris cette critique, je pense éviter de partager cette découverte avec mes amis allemands. Le fait est qu’en 72’, la RFA (Allemagne de l’Ouest), est super tendue politiquement. L’Allemagne sort, comme la France, d’une période d’émeutes étudiantes bien vnr, et la Fraction Armée Rouge commence à faire parler d’elle. Les jeunes (qui n’ont pas connu le nazisme) ont entre 20 et 25 ans et commencent à se poser des questions sur les rémanences de lu IIIème Reich dans l’Allemagne Fédérale. De 66’ à 69’, Kurt Georg Kissinger est chancelier fédéral. Une belle manière de finir sa carrière politique pour un homme qui a adhéré activement au NSDAP dès 1933, avant de devenir le directeur-adjoint de la propagande radiophonique du Reich vers l'étranger.
La jeunesse allemande commence donc à mettre en question le régime politique sous lequel elle vit, et en même temps essaye de regarder en arrière, pour essayer de comprendre la douleur que représente l’expérience du totalitarisme pour la génération aînée. Culturellement, cela se traduit notamment par l’émergence du neues deutsches Kino (Je vous recommande le dyptique Deutschland im Herbst / Die Patriotin.), et visiblement aussi en musique.


Tâchons alors d’interroger la représentation que fait German Oak du nazisme, pour en tenter d’en saisir les principales implications.


L’artwork de German Oak représente un soldat de la Wehrmacht, casqué, en noir et blanc, entouré du logo du groupe. On retrouve de nombreux samples à travers tout l’album (Hitler sur The Third Reich, Goebbels –je crois-, ainsi que des enregistrements de bombardements sur Shadows Of War : A) Rain of Destruction, B) To London.). Bien que l’album soit instrumental, la tracklist est assez évocatrice.
German Oak tente de se réapproprier l’histoire et la mémoire du IIIème Reich, afin de dépasser le tabou qui pesait sur l’Allemagne de l’Ouest à l’époque. Le groupe déclare ainsi la chose suivante « We dedicate this record to our parents which had a bad time in World War II. ». Une déclaration dont il est malaisé de contester la sincérité, mais dont il serait absurde de nier qu’elle est maladroite et imprégnée d’un pathos simpliste.


Avec ce premier album, les membres de German Oak tentent de se confronter au passé qui les conditionne. Le problème reste que l’esthétique sur laquelle ils s’appuient est tout à fait dénuée d’esprit critique vis-à-vis de ce que le IIIème Reich représente dans l’Allemagne de 72’. Dans la mesure où les seules paroles prononcées de l’album sont celles d’Adolf Hitler qui finit sa tirade sur les mots suivants «Ehrlichkeit, Gerechtigkeit, Amen ! » (« Honneur, Justice, Amen ! »), il est compliqué de voir dans cet album autre chose qu’une représentation finalement assez cynique de la période nazie. Par ailleurs, si vous ne considérez que la pochette de l’album et son petit soldat de la Wehrmacht auréolé de blanc, il est impossible de ne pas penser à un album de rock/oï nazi quelconque. Dans un sens, German Oak s’embourbe dans un parti pris qui confine au cynisme vis-à-vis d’un passé traumatisant. C’est un problème (ou un choix artistique assumé ?) qu’on retrouvera par la suite dans pas mal de groupes, notamment dans la sphère metal Des groupes comme Sodom, Hail Of Bullets ou Sabaton évoquent explicitement la Seconde Guerre Mondiale, mais en exaltent le caractère héroïque et guerrier. Impossible pour autant de considérer ces groupes comme des partisans néo-nazis. C’est cette incompréhension qui me pose problème avec German Oak.


Je ne sais pas quoi penser de cet album. J’en apprécie réellement les compositions. Cependant la posture idéologique qu’il sous-tend est vraiment maladroite. Sauf qu’on peut la comprendre en reconsidérant le contexte politique et culturel de l’Allemagne de l’Ouest au début des années 70. Contexte politique qui n’excuse pas pour autant la maladresse du propos tenu. Je ne sais pas comment noter cet album. D’habitude quand ça arrive je fais pile ou face entre 2 notes probables, mais je peux malheureusement pas faire pile ou face entre 10 possibilités. Je vais me contenter de vous recommander German Oak, en espérant que vous l’apprécierez, et que vous apprendrez des trucs sur l'histoire de l'Allemagne.


Edit: Askip la note est obligatoire pour publier une critique. Faites pas gaffe à ce 7, il n'en vaut pas la peine les camarades.

P1ngou1n
7
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le 29 mai 2016

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