Qui est Blind Willie Johnson ?



Ça remonte à un temps que les moins de 120 ans ne peuvent pas connaître.
Mais avant de vous en dire un peu plus, laissez-moi vous conter cette anecdote : en 1977, les humains envoient la sonde Voyager dans l’espace. Elle transporte un disque en or sur lequel sont gavés des échantillons vidéo et sonores représentatifs de la culture humaine : des morceaux de musiques classiques et autres sonorités dont le blues, représenté par le morceau « Dark was the night, cold was the ground » datant de 1927 du bluesman Blind Willie Johnson.
Débauche d’égo démesuré qui consisterait à penser que les extra-terrestres n’y connaissent rien et n’ont aucune idée du blues ?
Sans doute, telle n'est pas la question.



Qui est Blind Willie Johnson disais-je ?



Ce bluesman texan est découvert à la fin des années 20 par l’ethnomusicologue Alan Lomax. Il enregistre méthodiquement ses compositions qui dormiront par la suite à la bibliothèque du Congrès.
Au début des années 90, je découvre le titre "Dark was the night...", particulièrement planant et inspiré, en écoutant la B.O. du film de Wim Wenders, Paris-Texas, sorti en 1984 et interprété par Ry Cooder.
A ce moment précis, je n’ai de cesse de rechercher l’original.
Et je cherche, je cherche sans trouver.
Jusqu’à cette glorieuse année de 1993 où je tombe, au hasard des références d’une discothèque municipale, sur l’intégrale de B.W. Johnson, au total 29 morceaux.



C’est à ce moment précis que ma vie bascule.



Bercé jusqu’alors par les grands pontes du blues abordables tels Eric Clapton, Stevie Ray Vaughn, Led Zeppelin, The Rolling Stones, John Mayall, je découvre, effondré, la duperie : je me suis trompé, j’ai perdu mon temps avec ces Blancs-Becs, certes respectables mais de grands plagieurs devant l’Eternel.
A ce moment précis, je passe du statut de consommateur cocacolesque de musique à celui d’amateur éclairé. Je dois tout apprendre, tout entendre, tout comprendre. Me reconstruire.
Ainsi, je me retrouve face à face avec la musique joué par Blind Will Johnson. Le duel n’est pas équilibré.
Je n’y connais rien pourtant je ressens au fond de mes tripes une forme d’empathie. Je n’ai pas toute les clés, qu’importe le blues de Blind est le plus mystérieux, le plus archaïque, le plus spirituel, le plus subtil. Sa musique me transperce, me bouleverse : elle est le Tout, la Matrice, la Source.
Elle est l’Erèbe.
Le jeu de guitare slide accompagne la voix qui émerge d’outre-tombe, caverneuse. Il chante comme pour vouloir se sauver lui-même des Enfers. Il implore Dieu et surtout le craint.
Tout est là ! Quand j’écoute B.W. Johnson, je suis aux confins du monde, situé entre celui des vivants et des morts, oscillant entre le Paradis espéré et l’Enfer vécu.



Mais qui est donc Blind Willie Johnson ?



On connait peu de choses sur lui : il est né en 1897, orphelin de mère. Victime de la violence de son père, il perd la vue à coup de détergent. Il enregistre 29 morceaux entre 1927 et 1930.
C’est un homme noir en costume, bien coiffé, apprêté et tenant entre ses mains sa guitare Stella. Son visage est calme, le regard aveugle scelle son mystère : il se sait à la frontière entre lumière et ténèbres.
Il meurt d’une pneumonie en 1947.
Sur son lit de mort, mesure-t-il le début de cette ère nouvelle, où le chant des esclaves et le blues ancestrale donneront naissance à une musique rebelle, iconoclaste (le rock’n’roll) et dont il est un fondateur incontestable ?
Sans doute, la place qu’occupe Robert Johnson dans le blues, certes juste, a sans doute occulté l’influence de Blind Willie Johnson et Il était grand temps de rendre hommage à cet artiste bouleversant.
Preuve en est avec cette compilation hommage qui permet une entrée honorable dans la musique de B.W. Johnson.
Je remercie vivement ces contemporains, dignes héritiers qui veillent au grain et égrènent le chapelet artistique de ce grand bluesman : la joie de Tom Waits qui nous proposent, entre autre, une reprise au swing charbonneux de « The soul of a man ».
Les Cowboy Junkies et de Truck & Tedeschi qui se laissent emporter par les chansons comme s’ils sautaient dans un wagon d'un train de la Silver Star.
Rickie Lee Jones qui s’attaque comme une seule femme au mythique et intersidérale « Dark was the night… » : on s'y croirait : la douceur éreintée d’une vieille bronchitique qui pleure son enfant mort.


Alors aussi loin qu'ira cette sonde dans cet infini et au délà, je suis absolument certain d'une chose : les étoiles ont rencontré une star.

Ramblinrose
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 15 avr. 2016

Critique lue 231 fois

4 j'aime

3 commentaires

Ramblinrose

Écrit par

Critique lue 231 fois

4
3

Du même critique

Electric Ladyland
Ramblinrose
10

A CHACUN SON MOZART

Au début...Voilà ce que je connaissais de Jimi Hendrix : une guitare brûlée, "Hey Joe" et l'hymne américain à Woodstock. Et puis c'est tout. Ce qui reviens à dire : RIENDes personnes bien...

le 23 déc. 2011

69 j'aime

15

L'Attrape-Cœurs
Ramblinrose
10

L'Attrape Coeur - L'Attrape Ame

Monsieur Salinger Merci Monsieur d'avoir écrit ce livre. Vous dire pourquoi, j'en suis bien incapable. Ai-je pleuré ? oui. Ai-je ri ? oui. Vous ai-je haïs ? oui. Et vous ai-je aimé ? oh oui,...

le 26 oct. 2010

56 j'aime

3

Histoire de Melody Nelson
Ramblinrose
10

"MELODY NELSON, C'EST MOI"

C'est décidé, vieille canaille, à mon tour de chroniquer les disques qui ont marqué mon éducation musicale. Je me la suis construite à la force... de quoi d'ailleurs ? Oui, oui, j'entends ici les...

le 23 déc. 2011

51 j'aime

10