Lorsqu’on écoute la discographie de Manowar de manière chronologique, cet enregistrement en direct (ce live quoi, fieffé têtu) est celui qui clôt la série. C’est donc après deux bonnes dizaines d’écoutes ininterrompues de Gods of War que je sors la galette du lecteur pour introduire son homonyme, affublé du pédoncule « Live ». Est-ce Gods of War joué en intégralité en concert ? Non. Il y a deux disques, le premier contient quelques classiques, et l’autre des morceaux de l’album éponyme.

Les esgourdes remplies de divinités nordiques et de symphonie wagnérienne, je savoure ce retour aux classiques avec une sorte de nostalgie. Quel plaisir d’entendre de nouveau les premiers titres du groupe, surtout lorsque celui-ci nous joue un joyau sous-coté comme Each Dawn I Die ! Eric Adams est frappé par le poids de l’âge, sa voix n’a plus la fureur ronflante d’antan, mais elle comporte une rondeur nouvelle qui donne davantage de coffre à son ambitus. Parfois, on le pense en peine, mais quand on l’entend s’égosiller comme un beau diable sur Each Dawn I Die, faire étalage de la maîtrise de son organe sur un morceau aussi difficile vocalement parlant que The Oath, ou nous hypnotiser avec les paroles mystiques de Gloves of Metal, c’est là qu’on comprend qu’il nous a trompés ! Il est loin d’être à la ramasse, le bougre ! Il parvient même à émouvoir sur le magnifique Mountains ou le surprenant Secret of Steel ! Holy War, que j’estime mais sans plus, se trouve sublimée dans cet album. Je redécouvre la chanson et me surprend à la chanter comme jamais je ne l’avais fait lors de mes innombrables marathons Manowaresques. Ce paragraphe comporte beaucoup de points d’exclamation, je n’arrive toujours pas à rester de marbre face à de telles performances vocales. Mais quel être humain peut rester de marbre quand il a le sternum perforé et le cœur tout entier illuminé ? Et parce qu’Eric Adams tutoie aussi les dieux à la fin de Secret of Steel, comment notre âme peut-elle résister à une voix qui transperce l’éther ?

Quant au reste du groupe, il délivre l’énergie explosive nécessaire pour soutenir toute la fougue des morceaux. Le capitaine DeMaio guide sa machine de guerre et enchaîne les obus sans trembler. Ses artificiers mitraillent l’auditeur, lui brûle l’âme, lui calcine ses passions, lui perce le cœur au laser pour qu’il soit marqué à tout jamais. Nous sommes Manowar, nous savons encore jouer à la perfection nos fondamentaux, prends-ça dans ta face, ce n’est que la première partie, le meilleur reste à venir, comme disent les gonzesses pour annoncer leur grossesse via les réseaux sociaux. L’enchaînement instantané entre la fin de Gloves of Metal et le début de Each Dawn I Die me secoue encore le palpitant tellement il m’a fait bondir de joie. Le passage musical servant de pont entre la fin du solo de Kings of Metal et le début du troisième couplet est une pluie de météorites soutenue par un orage de magma, ça rend complètement fou.

Joey DeMaio est comme sa basse, il assène les rythmiques avec son acoustique cinglante et claquante, ses coups de fouet imperturbables sont reconnaissables entre mille autres, il dompte son arme avec son incommensurable égo, assistant, imperturbable, aux assauts divins délivrés par ses bombardiers. La basse soutient tout, donne du corps à la folie, de l’épaisseur aux flammes. Joey est cet empereur qui, de ses prunelles d’aigle attisées par le feu de la bataille, regarde ses maréchaux répandre le chaos. Les victimes sont nos oreilles, notre âme, elles se retrouvent à jamais marquées par Manowar et son inénarrable fureur guerrière musicale. Le pinacle est atteint à la fin de Black Wind, Fire and Steel, qui clôt le premier disque. Le dionysiaque Manowaresque, de nouveau. Des obus à droite, des missiles à gauche, des mines au sol, des flammes au ciel, du tonnerre dans les oreilles, un ouragan dans la cervelle, un sceau éternel dans l’âme.

Le deuxième disque est du même acabit. Reprenez tout ce que je viens d’écrire et adaptez-le à la sauce wagnérienne, ajoutez des valkyries dans les cieux, placez Odin, Thor et Loki et imaginez -les déployer leurs pouvoirs divins pour vous atomiser les esgourdes et marquer encore plus votre centre émotionnel. Invoqués par le quatuor, les divinités nordiques leur prêtent main forte pour mieux nous gifler, pour venir faire briller notre cœur à l’aide d’une déflagration qui ouvre les portes du Valhalla. Les lieutenants des Dieux Norrois nous invitent à la bataille finale, la livrent pour nous. Les ondes de choc fracassent vos muscles, les chœurs vampirisent votre raison, les valkyries emportent votre entendement pour laisser toute la place aux émotions, qui s’imbibent du Ragnarök délivré par quatre Vikings en marcel de cuir. C’est ahurissant, on n’analyse plus, on ne réfléchit plus, tout cela nous dépasse, nous, auditeurs humains. On vit, on ressent, on aime. D’entrée, l’introduction de Sons of Odin nous met en transe (le riff de la chanson qui fait directement suite à la narration qui annonce avec emphase les fils d’Odin est un moment grandiose), avant que le morceau en lui-même nous enchante les esgourdes par la présence des chœurs qui harmonisent le chant d’Eric Adams. L’introduction de Gods of War est un parfait exemple de transcendance esthétique : on entend le claquement sourd et calibré qui symbolise les pas des dieux se rendant sur Terre, et la qualité du son est telle qu’on imagine parfaitement les manches des épées frapper les boucliers en rythme avec les explosions flamboyantes présentes en arrière-plan. On regrette simplement de ne pas être sur scène pour pouvoir ajouter le visu à l’audible. C’est vraiment classe !

Jouer sur scène n’effraie pas Manowar, c’est même tout le contraire, il leur est arrivé de jouer pendant près de cinq heures d’affilée, à ces putain de mâles alpha. Pouvoir retranscrire un album aussi symphonique que Gods of War sur scène n’avait rien d’une sinécure, mais ils ont relevé le défi haut la main. Les passages narratifs que sont Glory, Majesty, Unity et The Blood of Odin sont sublimés par la réelle présence d’une foule qui peut répondre aux exhortations solennelles du narrateur. En studio ou en concert, Gloire aux Dieux de la Guerre !

Ubuesque_jarapaf
8

Créée

le 14 août 2022

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