Harlequins of Love
7.3
Harlequins of Love

Album de Customs (2011)

"I can play all my cards but the house will win".

Nous sommes en 2011 et l’un des albums majeurs de la post new-wave fait son apparition dans les bacs, sauf que tout le monde a l’air de s’en foutre. Et pour cause : en France, personne ne connaît les Customs. Dans notre beau pays, les gens qui écoutent de la post new-wave font déjà partie d’une minorité, et même à l’intérieur de celle-ci, ce groupe semble relativement méconnu. Vous l’aurez compris, cette critique aura donc pour but de les mettre en lumière. D’une, je me sentirai moins seul, et de deux… Ils le méritent amplement.


Harlequins of Love est le second album du groupe belge (oui, pas anglais, ni américain, mais belge). Le premier, Enter the Characters, était sorti en 2009, mais face au To Lose My Life des White Lies, il n’avait que peu de chances de se faire remarquer, malgré sa qualité. Deux ans plus tard, la couverture médiatique est toujours d’une discrétion sidérante, incompréhensible : car non seulement Harlequins of Love est un disque d’une efficacité renversante, mais que ce soit au niveau de la prod’ ou des mélodies, les Customs mettent clairement la fessée à d’autres formations davantage encensées, comme Franz Ferdinand ou The Hives, desquelles on peut sans doute les rapprocher (sans compter les habituelles comparaisons avec Interpol ou Editors). Prenons par exemple le morceau d’intro, Onwards and upwards : dès les premières notes, l’originalité des sonorités saute aux oreilles. Une sorte de clavecin faussement désaccordé nous entraîne vers une piste de danse un peu baroque, que l’on ne quittera que très rarement. Le manège s’emballe au rythme de guitares bondissantes, et la voix de Kristof Uittebroek, plus gutturale qu’à l’accoutumée sur ce titre, nous cueille sans prévenir ; il voudrait nous foutre la trouille qu’il ne s’y prendrait pas autrement. “Am I interrupting ? I didn’t think so”, lâche-t-il soudain. Bon, tout ça c’est bien joli, mais maintenant que tu m’as bien fait (sur)sauter, qu’est-ce que t’as à me proposer, à part des frites ?


Ah oui… Mais c’est qu’il est carrément bon, ce début d’album, mon salaud ! Meilleur que des frites, je vois qu’il y en a qui suivent ! Je suis franchement enthousiaste là, et après avoir entendu Harlequins, excellent single au demeurant, je commence à voir où vous vous voulez en venir, toi et tes potes : comme vos illustres aînés, vous voulez nous faire bouger, malgré vos textes à double tranchant, qui parlent d’amour contrarié, de petites mésaventures, de fortune et d’infortunes ! Soit : je suis adepte de cette dichotomie caractéristique, d’autant que l’autodérision dont vous faites preuve, à vous faire passer pour les fous du roi (ou plutôt de la reine) inspire immédiatement la sympathie. Tout le disque est en effet résumé dans ce refrain : “The harlequins of love are on the loose / And it’s by me they like to be amused”. Que ce soit par les mauvaises grâces d’une dame ou celles du destin, c’est une vérité qui vous revient parfois en pleine figure : la vie, les sentiments amoureux, font de vous des pantins, et vous ne pouvez que vous amuser, voire vous effrayer, de la façon dont vous êtes, plus ou moins consciemment, tombé dans le panneau. Comme dans Samstag, im Lido, il y a par exemple ces occasions manquées qui vous frustrent : une fois la soirée terminée, vous ne pouvez que ronger votre frein en espérant qu’il y ait une suite favorable (“One last kiss and then I’ll have to wait for a week / She must be joking !”). Blague à part, j’ai rarement entendu, que ce soit dans la new-wave des années 80 ou sa petite soeur contemporaine, un titre d’une énergie aussi débordante… Le rythme réveillerait un mort !


Cet aspect percutant, c’est d’ailleurs l’atout majeur de cet opus, qui fait encore des merveilles sur l’insaisissable Toupee (sorte d’hymne anti-fataliste, aka “le verre à moitié plein”) et la frémissante The house will win, au message totalement contraire (dans le “casino de nos vies”, les dés sont pipés, et le verre à moitié vide, donc !). Du début à la fin, la signature sonore est toujours là, unique, faisant de Harlequins of Love un album-concept qui s’ignore. Les titres plus lents, quant à eux, ne sont pas en reste. Signalons par exemple la particularité du texte de Insanity’s famous last words, où l’espiègle Uittebroek détourne et réarrange à sa sauce le début du Let it be des Beatles. Le fantôme des années 60 / 70 plane également sur le jardin défendu de Your roses, où le Starman de Bowie s’accorde une brève apparition. Quant à Velvet love, c’est davantage l’aspect instrumental de la chanson qui est cette fois impacté, notamment grâce à un flanger un peu rétro et les choeurs en conclusion.


On l’aura donc remarqué assez vite, le groupe, en forme olympique, livre avec ce second essai un disque sidérant d’efficacité, notamment au niveau des mélodies. L’impression de “clônes d’Interpol” que l’on pouvait éventuellement reprocher à Enter the Characters s’efface largement et laisse apparaître une véritable identité musicale, et surtout un potentiel énorme d’outsiders très convaincants, même lorsqu’ils s’aventurent sur de nouveaux chemins. Minuet for a gentleman est à ce titre le morceau le plus surprenant de l’album : plus progressif dans sa construction que tout ce à quoi les belges nous avaient habitués, il commence par une longue intro guitare / voix assez minimaliste pour se terminer à la manière d’un hymne rock stadium qui n’a rien à envier à ceux de Muse. Bref, pour en revenir à cette lamentable injustice que j’évoquais au début, je reste plutôt dubitatif quant au sort réservé à Harlequins of Love (qui figure dans mon top 10 !) et aux Customs en général… Et j’espère qu’après avoir lu cette critique, vous le serez, vous aussi.

Psychedeclic
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le 21 sept. 2015

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