100.000 raisons de dire bonjour à Harmonium et au Québec

Quiconque ne vit pas au Québec ne peut connaître l'impact de cet album sur toute la belle province. En avril 74, Harmonium frappa, comme précédemment Charlebois Beau Dommage Diane Dufresne l'avaient fait, de son univers chargé de mille instruments . La folie s'empara du Québec. C'était la montée lente du nationalisme Québécois et De Gaulle 7 ans auparavant nous avait crié que nous avions le droit d'être libre. Alors planait sur le “pays” un souffle nouveau qui lentement se transformerait en tsunami jusqu'à la victoire du parti indépendantiste de René Lévesque (1976). C'était le temps de se remettre au monde à chaque seconde, de dire bonjour à la vie, de jouer dehors comme des enfants, de regarder loin. Avec ce premier album d'Harmonium le Québec mettait au monde sa musique , sa sensibilité à la façon un peu de Crosby, Still, Nash and Young.(le jam à la fin de: Aujourd'hui je dis bonjour à la vie en est un exemple) Mais les influences sont subtiles et sont probablement aussi dû à l'air du temps qui unifie toujours les artistes sur cette planète commune.

L'enfance est au cœur de l'album et revient en leitmotiv dans les cris des enfants qui jouent dans la cour de récréation ou de la ruelle. Quelques vieilles courroies entre les doigts , le cheval de bois et les rêves d'autrefois se glissent en nous. Dans un étrange mystère le groupe unit l'enfance à la vieillesse , métaphore sublime pour un peuple qui se meurt dans une dernière résurrection. Car les années 70 seront bien les dernières de l'espoir pour les Québécois avant le dernier coup de grâce de 1995.

Mais pour l'instant il était encore le temps de fêter ensemble et il y a effectivement 100.000 raisons de faire la fête quand l'envol est si prometteur. On rêve de grands jours de fêtes et il est clair qu'Harmonium (avec Beau Dommage) en est (en sont) les grands orchestrateurs...mais éventuellement elles tourneront en rond ces 100.000 raisons !

Mais après la fête il faut bien affronter les lundis matins, le travail, la maison, les obligations et Harmonium avec sa géniale simplicité nous emporte dans la noirceur avec une joie qui nous ordonne de s'évader de ce monde et de retrouver notre liberté. Ah les fleurs en papier fanées au bout d'une semaine ! Il faut choisir cœur ou raison. Chaque homme , un jour , est confronté à ce dilemme ,il faut plonger: l'ennui de la routine ou la découverte d'un nouveau monde où les heures disparaîtront. Est-ce une métaphore, pour l'indépendance ? Harmonium était-il conscient ou était-ce si ancré profondément dans la cervelle des Québécois qu'ils ne furent qu'un miroir ? Mais le temps file et le métronome finit la chanson!

Pour un instant, l'artiste oublie son nom, il retourne son miroir, il fonce dans le noir , pris comme un loup qui n'a plus d'espoir... Encore ici la quête de l'artiste rejoint la quête d'un pays. Et il chante : “Des inconnus vivent en roi chez moi, moi qui avait accepté leurs lois” Et avant le cri western qui enracine le groupe dans l'Amérique le constat est simple : Il faut se trouver une histoire à se conter.
Et pour écrire la chanson , pour accéder à la parole de tout le Québec, l'artiste doit oublier son nom.
Il est extraordinaire de voir comment Fiori en partant de lui, élève par ses textes à un niveau hautement philosophique, s'approche de la pensée de Krishnamurti (très en vogue sur la côte Ouest Américaine et ailleurs dans le monde à l'époque), et en faisant cela il atteint une parole -miroir du Québec.
Il n'y a que l'amour perdu qui lui fait perdre la tête et le garde sur le plancher des vaches. De la Chambre au Salon est en effet la seule chanson qui nous semble totalement personnelle. Comme un enfant perdu il erre...

Mais peut-être qu'il se voit juste comme un musicien parmi tant d'autres ? Puisqu'à la porte du café où il joue les noms ne font que changer. Et le constat est cinglant: Comme un enfant on ne vit qu'une fois. Mais on a mis un enfant au monde , on devrait peut-être l'écouter ?

Finalement comme s'il prévoyait le pire , ou constatant l'échec du rêve de l'enfance, il se demande: Où est passé tout ce monde qui avait quelque chose à raconter ?
40 ans après avoir dit non une première fois à son indépendance et 25 ans après un deuxième refus d'exister , on se demande vraiment où est passé tout ce monde qui avait quelque chose à raconter ?
La réponse est claire: Ils rêvent de conquérir Vegas, Les States, la France. Le cri de De Gaulle à l'hôtel de ville est bien loin... Le Québec a-t-il accepté pour toujours les lois de la colonisation ? Les rois semblent vivent pour toujours chez lui.

À la porte du café du monde son nom vient de s'effacer.