Il est temps d'enfin baptiser ce compte senscritique, par un acte symbolique ; quoi de mieux que d'écrire la première critique de cet album, dont l'artiste est si improbablement devenu mon favori ? Quoi de mieux que d'apporter sa pierre à l'édifice, pour enfin sortir cette œuvre géniale du cercle des initiés ? Oui, les lecteurs de Rock&Folk connaissent déjà tous Gaspard. Mais les autres ? Comme je suis la première ici, je peux me permettre de vous renvoyer la question "pastiche sixties" de l'album, mi-aguicheuse mi-provocante, aussi sérieuse que désinvolte et facétieuse : Have you met Gaspard Royant ? Ou plutôt ; Comment ? Vous ne connaissez pas encore Gaspard ? Mais il faut rectifier ça ! Et pour ce faire, cet album est une initiation intéressante.

Comme tous les albums entièrement originaux de Gaspard jusqu'ici, ce disque est un 10 incontestable. Et pourtant, Have you Met Gaspard Royant ? n'est pas mon album préféré. Ce n'est pas non plus un album virtuose sur tous les plans. En revanche, c'est le premier que j'ai écouté - et je l'ai découvert sur scène. Il a pour moi fait office de porte d'entrée à l'univers royantien - c'est raccord avec le titre de l'album au moins -, ce pourquoi je commence par ce disque au lieu de prendre la discographie chronologiquement ; et voilà qui n'est, litote évidente, pas la pire des introductions !

Avant d'entrer dans le vif du sujet - les chansons pardis -, un mot sur la pochette : pour bien connaître l'artiste, que j'ai vu des fois et des fois en concert et autres showcases, elle est extrêmement révélatrice de sa scénographie - laquelle n'est pas sans lien avec sa personnalité (il faut dire que j'ai également, au fil des ans, un peu discuté avec Gaspard). Gaspard adopte une esthétique classe et rétro, mais sans jamais se prendre au sérieux. C'est là toute l'intelligence de l'esthétique royantienne - c'est pour ça que ça fonctionne si bien : Gaspard a un univers très authentique, très marqué, qui se répercute sur les visuels, mais il est terriblement sympathique et plein d'autodérision ; impossible donc que ladite esthétique ne devienne lourde et prétentieuse. Imaginez ; un type qui se pointe tous les soirs en costume tiré à quatre épingles, pas une seule mèche de cheveux qui dépasse, et qui ne se déleste jamais de ses lunettes de soleil (oui, sur scène, il a à peu près le même look que sur la pochette, et l'adéquation était d'autant plus frappante sur la tournée de cet album-ci) : on serait tenté de se dire qu'il se la joue un peu trop. Justement ; oui, Gaspard surjoue, c'est volontaire, c'est fait pour que vous le remarquiez. Ce sont des paillettes, assumées comme telles, ça n'empêche absolument pas la démarche créative d'être profonde, ni l'artiste d'être humble (mais pas pusillanime : Gaspard se reconnaît presque à sa juste valeur ; il oublie juste régulièrement qu'il est génial) ; et en même temps, c'est l'affirmation d'un projet artistique : celui d'abord de transposer la pop sixties et le rock'n'roll au 21e siècle, de les fondre enfin dans un style hautement authentique qui ne saurait s'étiqueter... Mais calmons le jeu, ici nous sommes en 2016, et pour vraiment prendre la pleine mesure de la sublimation des inspirations royantiennes, il faudra attendre 6 ans et l'album suivant. Cela dit, ce deuxième album en porte déjà les prémisses...

Have you met, donc ; produit par Edwyn Collins ! Et la seule incursion de Gaspard chez Sony à ce jour. Une volonté sans doute de toucher plus largement le public ; peut-être aussi celle de sortir des galères de l'autoproduction, de voir autre chose. Gaspard est aventureux. Il aime bien tester des trucs. Il n'a jamais rien créé de la même façon, ou dans le même contexte. Musicalement, ça se sent aussi : d'un son vraiment très rock "à l'ancienne", on passe ici à un jeu dialogique avec une soul beaucoup plus prégnante qu'avant (une soul déjà un peu expérimentale, d'où le choix d'Edwyn), et plus encore ; les (nombreux) choeurs (féminins) ont quelque chose du gospel, les ballades perdent parfois leur guitare, au profit d'un piano et d'un orchestre de cordes ("Summer's Gone", "Here for Nobody"), qui d'une manière générale sont très présents sur l'album, mais on a aussi des chansons portées par l'éternel trio rock basse-batterie-guitare, dont les mélodies, les riffs et les lignes rythmiques n'ont pas à rougir ("7 " club", acclamée et à raison par la critique spécialisée, "Solo artist of the year", dans une moindre mesure "Hard Times" et "New Religion"). Qu'on soit bien d'accord, je suis une quiche en musicologie, je n'ai pas les termes techniques, mais j'ai une bonne intuition, du fait que j'écoute pas mal de choses ; et la discographie de Gaspard, je l'ai très considérablement saignée. Je suis allée écouter une partie de ses influences. J'ai essayé de comprendre son cheminement artistique, de la douce folk de son premier EP à cette soul pétrie de modernité sur The Real Thing, en passant par ce rock si old school typique de 10 Hits Wonder. Have you met est une transition ; il reste ce côté très dansant du premier album ("Baby I'm with you"), avec ses mélodies entêtantes et soutenues ("Getaway", également symptomatique dans son texte de cette autodérision un peu ironique qu'est celle de Gaspard, laquelle rafraîchit considérablement le mode d'écriture de la ballade et en efface le côté niais qu'elle pourrait avoir) ; et l'intégration des clochettes, xylophones et autres tambourins aux compositions musicales est une sympathique curiosité royantienne qu'on retrouve pas mal dans cet album également. Je disais précédemment que le disque n'était pas sans faiblesse ; en effet. L'inverse tient de toute façon de la rareté la plus extrême, voire même du mythe. L'intelligence de Have you met et de la musique de Gaspard en général, cela dit, c'est sa capacité à compenser ses lacunes. Vocalement, et là je vais être en partie subjective évidement, Gaspard a de très très jolis graves et, fait incroyable me concernant, une voix de tête que je trouve vraiment très belle ("Night in the city"). Je suis très sensible à son timbre. J'ai toujours aimé la texture que son vibrato très resserré donnait à sa musique. Mais, si Gaspard a d'innombrables qualités vocales, il ne les a pas toutes (logique, on ne peut pas tout avoir, sinon ça s'appelle être Dieu). En particulier, Gaspard a tendance à "manquer de puissance". Là où un Alexis Lloyd provoque un séisme en ouvrant la bouche s'il le souhaite, Gaspard va parfois galérer à ne pas laisser sa voix se faire submerger par une guitare un peu trop énervée (heureusement que le talentueux Laurent Blot et Gaspard savent s'écouter sur scène !). Qu'à cela ne tienne ; faisons des contraintes techniques une force créatrice ! Voilà que Gaspard s'improvise maître de la ballade d'une part ("Speed my Heart", parmi celles que je n'ai pas encore citées), et d'autre part, qu'il compose intelligemment quand il veut écrire des morceaux qui envoient. Exemple en est avec "Solo artist of the year" ; elle se veut être une chanson câblée pour la performance, et elle fonctionne ! Un autre truc que j'aime chez Gaspard ; il est capable de chanter "au fond du rythme". Je pense (d'ailleurs) à "Follow the rythm", mais c'est une tendance un peu générale qu'on retrouve aussi sur le premier album. Je ne sais pas trop comment le dire ; ce sont des chansons qui vous donnent envie d'esquisser des pas de jive, avec leur côté infatigable et sautillant, mais vocalement Gaspard s'y promène avec une apparente aisance, presque liquide, alors qu'on attendrait quelques chose de beaucoup plus haché, de beaucoup plus calqué sur la batterie. Il suit pourtant bien le rythme, pour reprendre le titre de la chanson ! C'est là encore une particularité que j'apprécie beaucoup. À vrai dire, le seul morceau pour lequel j'émets quelques réserves, c'est "Cutest in Town". Et ça tient surtout au mixage, je crois. Le morceau en lui-même, la composition comme la performance vocale, j'en suis assez cliente, sans problème ; mais je trouve le rendu global beaucoup plus froid que ne l'est le reste de l'album. Mais enfin ; pas de quoi lui ôter ne serait-ce qu'une étoile !

Je terminerai en évoquant la performance scénique de cet album : "7 " club", devenue un classique du show royantien, est toujours un moment exceptionnel ; l'occasion pour Léo Cotten (clavier) et Laurent Blot (guitariste) de se lâcher dans des solos qui mettent tout le monde d'accord, et pour Gaspard d'achever d'enthousiasmer son public. C'est l'un des meilleurs morceaux pour découvrir Gaspard ; d'autant plus que, je me permets l'aparté, le clip est très très bon ! (https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://m.youtube.com/watch%3Fv%3Dl31W9_vC0Bo&ved=2ahUKEwidweb2zoWDAxUOVKQEHXi4CrUQwqsBegQIDRAF&usg=AOvVaw0fQLFTLNxSz7OV8LaebloD)

Pour rendre à César ce qui est à César, je reprendrai à mon compte cette phrase royantienne apposée derrière le disque, quand on le sort de sa pochette : "Nice to meet you", Gaspard. Et très heureuse pour toi qu'Emilie ait dit oui (clin d'oeil aux plus attentifs des auditeurs de l'artiste).

lolitalaura_
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le 11 déc. 2023

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le 11 déc. 2023

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