L’œuvre de Bon Iver se divise en 4 saisons. Du propre aveu de son leader Justin Vernon, For Emma Forever Ago est l'album de rupture hivernale par excellence, les premiers bourgeons du printemps éclosent à l’orée de Bon Iver, alors que 22, A Million nous plonge dans un été étouffant pour enfin finir avec I,I qui annonçait un automne plus doux, plus sage, certainement l'aboutissement d'une réflexion entière sur la musique et la place de l'artiste au sein d'un projet comme celui-ci.
Si la justification par saisons peu faire sourire (il est après tout bien facile de poser les thématiques qu'on veut sur un groupe d'œuvres) on y verrait quand même bien quelques indices sur des pochettes ou des ambiances musicales et on accepte volontiers le postulat. Il serait pourtant bien peu malin de ne pas l'appliquer à l'ensemble de la carrière de Justin Vernon, ne se limitant pas à son groupe concept (qui intègre désormais artistes visuels ou danseurs par exemple) mais englobant aussi de nombreuses collaborations et quelques side project dont Volcano Choir et celui qui nous intéresse aujourd'hui Big Red Machine.


En deux albums le changement de direction artistique peu surprendre mais pouvait s'anticiper à l'analyse des fameuses 4 saisons de Vernon. L'album éponyme Big Red Machine arrive donc en 2018 à la fin d'un été résolument expérimentale. Certainement moins aventureux que 22, A Milion, la dizaine de morceaux ose tout de même des choses. Toujours accompagnées de rythmes de batteries qui dénotent par leur sonorités assez numériques et une certaine arythmie, Justin Vernon fait ce qu'il sait faire de mieux avec sa voix à présent, c'est-à-dire tout tenter. Il ne se prive d'aucun registre, hauteur de note et surtout d'un flow comme on aurait pu lui en attribuer d'offices dans son hiver folk.
Mais ce ne serait pas honoré ce groupe que d'oublier l'autre homme du match Aaron Dessner, membre émérite de The National et qui montre ici encore son talent pour les lignes de guitares exigeantes tantôt planantes comme elles peuvent aussi être d'un accompagnement dynamique efficace. On retrouve aussi certaines parties importantes au piano, instrument très affectionné des deux compères qui permet parfois comme sur Hymnostic de ramener l'album à des notes plus classiques et rassurantes pour l'auditeur non averti.


Mais rien n'y fait, la soif d'experimenter est plus forte et des ovnis comme Air Stryp surprennent encore à l'heure actuel tant la composition semble schizophrène dans tout ce qu'elle veut montrer en 2 minutes top chrono. C'est finalement sur des morceaux hybride empruntant autant aux sonorités des deux groupes superstars d'origines cités plus haut que l'alchimie fonctionne le mieux. Deep Green ou Forest Green se permettant le luxe de mélanger voix triturées au vocoder avec des lignes de guitare d'une simplicité et d'une justesse parfaite.


Après un premier essai agréablement réussi même si il ne fera aucune vague, l'annonce d'un second album paraît donc alléchante même si désormais, l'automne est arrivée et avec lui son lot de déconvenues. Car si I,I aura le tord de partir dans beaucoup trop de directions et de peut-être oublié un poil la composition pour d'autre versants du projets (cette fois-ci un plus grand soin est apporté aux clips avec de la danse par exemple, on pourra aussi citer le grand militantisme de Justin Vernon qui fait de Bon Iver un groupe éminemment politique) il marquera surement moins que les deux premiers excellents albums et un troisième qui avait au moins le mérite de trancher radicalement les avis.
Le plus grand indice de ce que va advenir Big Red Machine réside dans la participation des deux partenaires aux albums Folklore et Evermore de Taylor Swift. Autant dans la composition que le chant, l'apport est là mais l'on reste bien évidemment face à une œuvre très prototypée, qui ne révolutionnera pas l'industrie musicale et permettra juste à la 11 fois gagnante aux Grammy Awards de se donner une image un peu plus indie, le tout dans un environnement très automnale, tiens tiens...


Juste retour des choses, Taylor Alison Swift vient donc prêter sa voix pour deux titres : Birch et Renegade. Et le deal est clairement à leur avantage puisque Renegade, poussé en single explose les compteurs comparés aux habituelles sorties du groupe. Il est certain que l'apport de Taylor Swift amènera une partie de sa fanbase à découvrir Big Red Machine. Et contrairement à leur précédent effort, ici personne ne sera décontenancé, car How Long Do You Think It's Gonna Last ? verse dans le classicisme à tout les étages. Aucun morceau ne dépasse du lot et les compositions s'enchaînent les unes après les autres sans remous. La plus grande faiblesse de cet album serait donc le précédent. Pris à part, que vaut-il vraiment ? Indéniablement, Vernon et Dessner sont de beaux songwritings. Ici le temps n'est plus à l’expérimentation mais au plaisir direct. Comme autant de petites jams, la quinzaines de morceaux n'aspire pas à repousser encore les barrières de l'indie rock mais au contraire à revenir aux sources de la folk et parfois même d'une sorte de pop très chill.


Au-delà de la simplification des structures musicales, le plus gros changement survient dans le lead musical. On aurait pu bêtement penser que Justin Vernon serait rester comme dans nombre de ses projets à la tête de la partie vocale mais HLYTIGL rejoint le rang des albums chorales, genre qui a le vent en poupe en ce début de décennie (il suffit de citer simplement The Avalanches ou Gorillaz et leur sorties les plus récentes). Une dizaine d'artistes rejoignent au total les rangs du super groupe pour des participations plus ou moins inspirées. Car à l'image des compositions qui n'osent plus, les featurings se contentent de dérouler la bande magnétique.
On sent bien l'authenticité, surtout dans un album avec des thématiques aussi personnelles que l'enfance ou les troubles mentaux mais des participations comme celles de Taylor Swift confirment qu'une belle voix ne fait pas une belle chanson. Sans aucune saveur, les chœurs de Birch nous rappellent aux hits pop de la bande FM, alors que Robin Pecknold sur Phoenix enrobe de mielleux un titre qui avait pourtant un bon potentiel.


Même quand Dessner lui même s'essaye au chant lead sur The Ghost of Cincinnati, on lui préfèrera un José Gonzales et sa voix plus nuancée et porteuse de chansons. Ici le duo chant guitare folk au mieux permet une petite pause sur un album qui jusque là n'avait pas vraiment secoué les enceintes ou le canal auditif.
Les morceaux qui reviennent à la formation classique comme Hoping Then sont au final les plus intéressants même si du coup ils constituent une zone de confort au sein d'un effort collectif.
Easy to Sabotage constitue presque l'unique tour de force de l'album puisqu'il fait appel au rappeur Naeem (oui, comme l'un des titres de I,I qui contient d'ailleurs un sample de sa voix) et apporte donc un peau de saveur inédite dans ce qui constitue en plus l'un des titres les plus rock et ambitieux du disque.


En soi, HLYTIGL n'a rien de repoussant (si ce n'est le dyptique de Swift beaucoup trop lyophilisé) et fonctionne même comme un bonbon très doux façon Werther's Original. Dès le premier morceau on a une bonne idée de ce que va être le reste de l'écoute, on s'installe dans des pantoufles bien chaudes et ensuite les nombreuses collaborations font le travail. Ainsi sur *June's a Rive*r on entendra bien un timide clavier qui tente quelque chose mais Ben Howard et This Is the Kit prennent le pas pour ne jamais faire décoller le morceau. En saisissant bien le concept de l'album et même la période artistique dans laquelle sont les deux leaders, il serait dur de leur en demander plus, Big Red Machine reste un défouloir, une tendre parenthèse qui si elle permet de pouvoir encore tenter des choses (le vocoder est maintenant un exercice usuel) veut surtout ne pas se prendre la tête. D'autant plus en période de pandémie ou pouvoir réunir pléthores d'artistes (et surtout amis on imagine) est déjà une réjouissance en soi.


Toujours aussi discret, Vernon s'efface un peu plus pour laisser le collectif porter ce second album que Dessner aurait bien eu du mal à défendre seul. Via une poignée de clips au goût particulier, c'est surtout les paroles qui sont mises en avant, à l'image de ce que produit Bon Iver depuis maintenant plusieurs années. Une mélancolie indéniable, qui hante tout un album éternellement tourné vers le passé. Une tendresse aussi, qui invite à se relever après la dépression, à ne pas rester seul (Brycie, nommée d'après le frère jumeau d'Aaron) et à chérir le moment présent, qui deviendra à son tour un souvenir, espérons le bon comme une friandise au caramel.

Kaptain-Kharma
6
Écrit par

Créée

le 24 août 2021

Critique lue 102 fois

Kaptain-Kharma

Écrit par

Critique lue 102 fois

D'autres avis sur How Long Do You Think It’s Gonna Last?

Du même critique

We Will Always Love You
Kaptain-Kharma
10

Des samples et des hommes

Inutile de rabâcher l'histoire de The Avalanches, un simili Beastie Boys au départ (un délice que ce live On Recovery où Tony Diblasi essaye de casser un vinyle, en vain) qui laissera ensuite le...

le 15 déc. 2020

23 j'aime

1

The World Is Mine
Kaptain-Kharma
8

Le monde a mauvaise mine

A force de lire des shonens bâtards quand on a 15 il y a deux voies qui s'ouvrent à nous : continuer à lire uniquement du One Piece, Dragon Ball Z et Naruto en pensant que le manga se résume...

le 3 déc. 2013

16 j'aime

2