III
7.7
III

Album de BADBADNOTGOOD (2014)

BADBADNOTGOOD, ou BBNG pour les intimes, est un groupe que j'ai vu s'épanouir, avec tout le temps beaucoup de joie et d'amour. J'écoutais déjà leur premier album passionnément et j'ai été littéralement subjugué par le second lors de sa sortie. Je m'en étais tout juste remis lors de l'annonce de la sortie de leur troisième album, il y a bien un an maintenant, avec la révélation du sensationnel Hedron (nous y reviendrons, ne vous inquiétez pas). J'ai compté les jours qui nous séparaient de la sortie de l'album dont il est question aujourd'hui et je n'en pouvais plus d'essuyer les reports. Si je n'ai pu résister à goûter à Can't Leave The Night, je me suis toutefois abstenu d'écouter les morceaux suivants au fur et à mesure des annonces, pour pouvoir y goûter avec le plus grand délice. Tout ça pour dire que ce foutu disque, ça fait une paie que je l'attends et que j'en bave.

Si vous ne connaissez pas encore BADBADNOTGOOD, c'est un trio composé d'un bassiste, d'un pianiste et d'un batteur. Ils se sont fait connaître grâce à leurs son unique, froid et désespéré, ainsi que leurs reprises jazzy de grands standards de hip-hop : The World Is Yours de Nas, Fall in Love de Slum Village, Electric Relaxation de A Tribe Called Quest, ou bien entendu la phénoménale Flashing Lights de Kanye West. À côté de ça, ils nous régalaient également avec quelques pioches de choix comme Transmission de Joy Division, Limit To Your Love de James Blake et même des musiques de Koji Kondo en provenance de Zelda : Ocarina of Time, le chef d’œuvre de la Nintendo 64. Bref, une sélection éclectique, un poil hipster mais définitivement jouissive.

III est le premier album intégralement composé par les trois membres du groupe, le challenge était donc de taille. Ils avaient déjà trouvés un son, il leur fallait maintenant une manière de s'exprimer. Ils devaient concrétiser tout ce savoir-faire dans un disque unique, et je dois dire que je m'attendais même à ce qu'ils transcendent certains codes de musique.

Et je dois dire que le premier constat a été amer.

Les pistes de cet album sont en moyenne bien moins spontanées et endiablées que sur leurs précédents albums, tout comme le son qui est complètement différent. L'arrivée d'une production massive a complètement changé la donne. La batterie par exemple est bien plus en retrait, bien plus discrète. Finis les grands élans punk, place à des rythmiques plus trip-hop dans leur composition, même si on garde quand même la substance du son jazz hip-hop. On note aussi beaucoup d'expérimentations électroniques du côté du synthé, alors qu'auparavant Matthew Tavarez, le pianiste jouait principalement avec un clavier classique. Enfin, la basse de Chester Hansen a carrément viré au mélange improbable de funk et de trip-hop, auquel le froid de la production projette un aspect lugubre. À tout cela, on peut ajouter un sampler qui vient notamment balancer un énooooorme rythme de basse sur Can't Leave The Night.

Toutefois, maintenant que j'ai pu prendre un peu de recul, deux mois après la parution de l'album, je dois avouer que mon avis était un peu sévère. Plutôt que de prendre III comme une extension à leurs précédents travaux, c'est un véritable nouveau départ que le trio canadien opère. J'en ai déjà parlé deux fois lors de cette critique, mais Can't Leave The Night pose définitivement l'ambiance dès le second morceau. Dans une veine très hip-hop, des sonorités héritées de la cold wave acheminent une brise glaciale sur l'auditeur, jusqu'à ce qu'il se prenne une baffe énorme avec des gigantesques basses transcendantes en provenance direct des nouveaux standards du hip-hop, qu'ils ont contribué à instaurer dans leurs nombreuses collaborations avec la scène actuelle comme Earl Sweatshirt. Le cocktail est détonnant et il s'agit peut-être de la meilleure piste du disque, ni plus ni moins. Au niveau des expérimentations, impossible de passer outre Since You Asked Kindly, et son rythme house trippant.

Pour continuer dans les très bons morceaux, Confessions déglingue littéralement. Le morceau est propulsé grâce au beat de Alexander Sowinski qui vient soutenir les superbes envolées lyriques du saxophoniste Leland Whitty, lui aussi de retour le temps d'une piste, tandis que les élégants solos de clavier dansent sur le rythme minimaliste de la basse. Hedron est le morceau le plus classique de l'ensemble, mais n'en demeure pas moins une excellente piste. On y retrouve un temps la fougue des premiers albums et ça fait du bien. C'est aussi un peu le cas de Kaleidoscope, le plus long morceau de la galette, qui recèle notamment la meilleure partition de Chester Hansen.

Eyes Closed et Diffently, Still sont un peu plus atypiques. La première commence de manière minimaliste et prend peu à peu en ampleur pour finir dans une urgence très post-rock, avec notamment l'utilisation d'une guitare électrique. La seconde est le morceau le plus jazz qu'ils n'aient jamais joué (c'est fou ce que l'utilisation de pinceaux peut changer un son), une très belle pièce, savoureuse et équilibrée.

Le bât blesse en fait sur la cohérence de l'album. Il y a tant et tant de choses variées que l'on y perd un peu sur l'ambiance, malgré la remarquable direction choisie et assumée par le groupe. Cela se ressent particulièrement sur la première et la dernière piste de III, Triangle et CS60. L'un peine à nous plonger dans l'atmosphère tandis que l'autre conclut avec difficulté les 50 minutes de musique. Sans être fondamentalement des mauvais morceaux, il leur manque un peu de corps et d'audace pour vraiment briller.

On a parfois un peu de mal à savoir sur quel pied danser à l'écoute de cet album formidablement riche. Les bons morceaux sont là, et en nombre, mais tous ne semblent pas toujours être à leur place. Ma première écoute a été de fait douloureuse, surtout au vu de mes attentes, même si les suivantes ont su me réconforter avec lui. Il me semble difficile de terminer cette critique sur cette note négative, et je ne peux de toute façon que conseiller d'écouter III, car il reste malgré tout unique dans le paysage de la musique. Un peu avant-gardiste, il modernise considérablement le jazz et ouvre à de très très bons albums à venir j'en suis sûr. Et vous ne pouvez pas passer à côté de Can't Leave The Night. Sans déconner. Plutôt qu'un blizzard, la musique de BADBADNOTGOOD s'est mue en un glacial courant d'air qui viendrait vous caresser l'échine, tard la nuit, dans votre chambre. Un peu comme maintenant en fait.
khms
8
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le 2 juil. 2014

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khms

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